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Frissons (Ricardo Villalobos au Panorama Bar)

Le 2 septembre 2011 à Berlin

Par Jean-Sébastien Zanchi, le 17-11-2011
Musique

Minuit est passé. L’atmosphère est déjà fraiche et légèrement humide en ce début de mois de septembre. La file d’attente n’est pas longue, mais déjà assez fournie. Certains sont là depuis longtemps et impatients de rentrer.

Depuis que j’y suis aussi, j’ai quelques frissons. Non pas à cause de la fraicheur ambiante, mais parce que je ne suis absolument pas certain d’entrer au Panorama Bar. Comme à chaque fois, rien n’est fait ; cette impression de venir ici pour la première fois. Cette impression de tout recommencer à chaque fois. Frustration. Excitation.

Les portes s’ouvrent enfin. Tout le monde se tourne vers elles et regarde en sortir les physios au physique toujours aussi peu avenant. On se tait, on observe. Le premier groupe entre, les cerbères doivent être de bonne humeur ce soir. Le second se fait dégager d’un simple signe de tête indiquant l’extérieur. Finalement aussi peu commodes qu’à leur habitude. Le cérémonial continue invariablement, sans que personne ne sache sur qui le couperet va tomber. Garçons, filles, homos, hétéros, extravagants, introvertis : aucune règle n’est établie pour pouvoir entrer à tous les coups.

Plus l’on s’approche des portes, plus la pression monte. Les sourires sur les lèvres s’effacent au fur et à mesure. Les muscles se tendent, les nerfs sont à vifs. Le soulagement ne viendra que d’un hochement de tête positif. Ne pas être accepté jettera l’opprobre sur soi. On quittera la scène la tête basse, honteux d’avoir été rejeté. D’autres font semblant de rien et partent l’air de rien, en rigolant et se moquant de ceux qui restent. Tout le monde les regarde avec peine, sachant très bien qu’au fond d’eux la honte du rejet les a déjà envahis. Ils devront allez clubber ailleurs, dans un lieu de second choix. La première classe n’est pas pour eux ce soir.

On arrive devant lui, l’impression d’être nu face à un jury, comme dans un mauvais rêve dont on ne s’éveillerait pas.

Il nous observe, tatouages et piercings tout en avant. On est tellement différent de lui ; habillé chez Gap comme 50 millions de personnes dans le monde. On n’est personne, un banal mannequin tiré d’un mauvais catalogue de vente par correspondance. Des comme nous, on en croise mille dans les rues de toutes les capitales occidentales. Rien ne nous différencie des autres, rien.

On se sent petit, pas légitime d’être là. Pourquoi on mériterait d’entrer alors que d’autres sortent bien plus de l’ordinaire ? Ce manque de confiance en soi permanent qui m’assaille à chaque mouvement de ma vie est ce soir à son paroxysme. Aucune raison de faire une nouvelle fois partie de la fête. Cet endroit j’y suis déjà entrée plusieurs fois par miracle, mais aujourd’hui l’illusion ne tiendra pas. Son regard se pose sur moi de haut en bas. Aller-retour rapide, plusieurs fois, hésitation. Coup d’oeil à ses deux acolytes, sourires échangés, pas un mot de prononcé. Signe de tête vers l’intérieur du club, Ricardo Villalobos n’attendait que nous ; ce soir je me sens invincible, seulement ce soir.