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OR NOIR de Jean-Jacques Annaud

Sortie le 23 novembre - Durée : 2h09min

Par Alexandre Mathis, le 24-11-2011
Cinéma et Séries

La moindre étendue de sable sur grand écran se frotte au modèle David Lean. Comment filmer le désert aride quand Lawrence d’Arabie régit tout une imagerie ? A cela, Jean-Jacques Annaud aurait pu répondre par une grande fresque homérique, lui le réalisateur du Nom de la Rose. Ce film avait figé tout un imaginaire populaire du Moyen-Age gothique, romanesque à souhait, à mille lieux des réalités. L’aride comme pierre angulaire du souffle épique aurait ainsi compensé les deux petites heures de l’aventure face aux plus de trois heures du Lean. Pourquoi comparer ces deux films ? Parce qu’Or Noir marche clairement sur les traces de Lawrence d’Arabie. Voir Annaud se frotter aux histoires de princes en proie au pétrole et parler de géopolitique au sein d’un monde méconnu de l’occident devait apporter une beauté empoisonnée. A ce titre, le long-métrage bénéficie d’un double financement, celui des français et surtout celui des qataris.

Et c’est bien dans le choc du monde moderne que le film tire son (maigre) intérêt. La Tunisie, hôte du tournage, vécut sa révolution du Jasmin alors que les équipes du film bouffaient encore de la pellicule. Le grain de sable de l’événement constitue un fracas entre le devoir de travailler et une nécessité sociale que tout le monde pourra comprendre. En ressort une mise en abyme pas dénuée d’intérêt. Les soulèvements populaires du monde arabe rappellent à quel point les problèmes de clans, voire de peuples, compliquent infiniment les possibilités d’ententes nationales. Un sujet épineux qui saute aux yeux en Libye. Et Or Noir traite de ces complications. Deux émirs d’Arabie se disputent un territoire, une vision du monde et un fils. Ce gamin, c’est Tahar Rahim, jeune intellectuel tiraillé entre un père de sang et un preneur d’otage qui l’éleva. En chacun d’eux, il cherche le meilleur. Le premier (Mark Strong) inculque des valeurs d’honneur louables, mais aux réflexes traditionalistes jugés comme dangereux. Le second (Antonio Banderas) offre une possibilité d’ouverture au monde et donne un sentiment plus pacifiste. Il reste un manipulateur politique et un assoiffé de pouvoir. En échappant au manichéisme, le film travaille la troisième voie, celle des tribus rebelles. Seulement, tout cela reste très confus. A trop vouloir faire dans le fictif, Annaud ne s’appuie sur aucun repère terrestre. Tahar Rahim, paumé dans le désert et moralement, ne fait qu’écumer le monde des possibles. Nous aussi.

Conséquence paradoxale pour un film d’aventure : le pensum cérébral sur la condition arabe prend le dessus. Sans jamais aller fouiller aux sources, l’histoire se plaît à illustrer l’individualisme comme une maladie venue d’Occident. En chaque gêne d’émir peut sommeiller une soif du pouvoir. Banderas se voit obligé d’en faire des tonnes, charbon noir sous les yeux. Les raccourcis sont fallacieux, voire emprunts de propagande géopolitique pour le compte des émirs du Moyen-Orient. Le pétrole comme une beauté empoisonnée ne sent pas le sale. A peine voit-on un employé assassiné en étant moyé dans le mazout. La lumière manque de caractère, elle lisse les affects et ne souligne pas la dureté de l’épreuve. Tout est très aplani. Même l’épuisement des troupes de Tahar Rahim ne fait pas ressentir la soif, là où Rango et La dernière piste y parvenaient récemment. L’épique ne décolle que rarement. Même le combat final ressemble à un pétard mouillé. Comme si Annaud voulait faire de la confusion politique un élément structurel du manque de combats. Puisque les gens se tapent dessus sans savoir s’ils se détestent vraiment, autant avorter le duel. Hormis quelques jolies instrumentations de James Horner (déjà compositeur de la superbe B.O. de Stalingrad), le souffle des dialogues et des ambiances reste très mineur.

Paradoxalement, c’est Freda Pinto dans un rôle de figuration qui tire le mieux son épingle du jeu. Elle incarne bien la place de la femme dans ces sociétés. A savoir, mise à l’ombre du regard des hommes, ayant peu de mouvement de protestation. En épouse de Tahar Rahim, elle épie de ses yeux de biche un monde qui ne veut pas d’elle. Si Annaud doit renoncer à ses fameuses scènes de sexe torrides, il contourne le problème. Les femmes sous le voile islamique disent au revoir à leurs valeureux hommes partant en mission. Autorisée à aller dans la voiture avec son mari le temps de sortir de l’enceinte de la ville, Freda Pinto ferme les volets du véhicule, retire sa lourde tenue et étreint sauvagement son amant. Rien de plus sensuel que si l’interdit guette. Ici s’affiche toute la richesse inexploitée d’un film aux pistes de lectures intrigantes mais dont aucune ne donne de satisfaction à l’arrivée.