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Passionnante est la quête de Roman Flügel, artiste transversal qui, depuis le tout début des années 90, ne cesse de multiplier les interprétations contraires de la modernité électronique. Impossible de démêler avec lucidité tous les entrelacs de sa carrière. Partie prenante d’innombrables projets lors des premiers balbutiements de la techno en Europe, il a su digérer et réinterpréter des courants aussi différents que l’acid house, la trance, le techno de Detroit ou les dance music tribales sous des pseudos aussi fleuris qu’Acid Jesus, Warp 69, Pure Tribal ou Holy Garage. Quand il a su enfin se poser dans une formation pérenne, Alter Ego, c’est celle-ci même qui a perpétuellement muté au fil du temps – quel rapport en effet entre le down-tempo et futuriste Decoding The Hacker Myth (1996) et l’hymne electro-rock Rocker (2004) ? Alter Ego a comme seul fil conducteur son nom. La ligne artistique n’existe pas.

Changeant parce qu’instable, insatiable jeune loup, c’est l’impression qu’on pourrait avoir de Roman Flügel. Or la réalité est plus complexe. Nous pouvons en tout cas dire que sa carrière est depuis quelques années d’une telle cohérence, elle trace une ligne si pure qu’il est impensable qu’elle soit le fruit d’une maturité tout juste trouvée. Il est inimaginable que tout ce foisonnement passé s’éclaire d’un coup, se condamne à l’oubli à jamais pour recommencer à l’exact inverse, dans un déploiement de carrière entièrement programmé, structuré et pensé a priori.

On imagine plutôt que c’est le dévoilement de Roman Flügel sous son nom civil, en solo, qui change la donne. S’exerce désormais sur son nom d’artiste la même exigence que dans la vie privée de tout un chacun : l’exigence d’identité, et si possible avec clarté. Dans le flot de pseudos qu’il a utilisé au cours de ces vingt années, parfois dans le cadre de groupes aux rôles incertains, il n’a pas eu à se poser de questions ; on mettait des masques, on se réinventait chaque fois, on se projetait toujours ailleurs – mais toujours dans un espace virtuel. Ce n’est que quand il fût enfin tout seul, dans la nudité de son patronyme, que Roman Flügel devint tout à coup limpide.

Fatty Folders s’entend ainsi comme un accomplissement, dont on entendait les premiers schéma directeurs dans son projet solo le plus electronica, Eight Miles High. Dans un grand geste d’épure, Flügel a depuis quelques années élagué sa musique de pas mal de ses tentations passées. Plus de réinventions constantes, de gimmicks plaqués en provenance de genres contradictoires, plus de cache-cache incessant avec le public ; le Flügel solitaire est plus méthodique et plus didactique. Il a un style.

Cette signature qui s’affine depuis une demi-douzaine d’années a le mérite d’être clair : approche répétitive, perfectionnisme du son, distance émotionnelle, grande influence de l’électronique 80’s et des premières inspirations IDM. En guise de morceau clé, on peut noter Brian Le Bon, sorti en mai 2010, un morceau simplement gigantesque et déjà historique. Qu’on ne retrouve pas sur Fatty Folders, pas plus que ces innombrables remixes où Flügel s’est fait la main encore et encore (une dizaine sont sortis rien qu’en 2011). Fatty Folders n’est pas une compilation de ses meilleurs tracks, c’est juste un essai stylistique.

Ainsi on ne verra pas ici une sortie ultime, ni même indispensable – il n’y a guère là de morceaux extraordinaires –, Fatty Folders est certes un accomplissement, mais d’ordre strictement formel. Car malgré la grande disparité de genres cités, tous se rangent derrière une même rigueur, une même vision artistique extrêmement singulière. Quand Roman Flügel amène une basse disco (« Deo »), une rythmique africaine (« Bahia Blues Bootcamp ») ou un beau motif de piano (« How To Spread Lies », « Song With Blue »), le traitement est toujours identique, il y a systématiquement le même refus de dramaturgie, d’emballement, d’interprétation. Les éléments sonores sont pris pour ce qu’ils sont réellement, des phénomènes acoustiques qui, par eux-mêmes, n’évoquent rien. On est à l’opposée des joueurs d’ambiances comme Robag Wruhme, Roman Flügel est un constructeur, strict sensu.

On ne sera pas surpris de trouver dans Fatty Folders les signes de la modernité la plus éclatante (brisures UK Funky, traces éparses de ghetto music etc.) : en tant que bon architecte, Flügel fait avec les matériaux de son temps. Il agence et assemble du vieux, du neuf, du violent et du doux selon les mêmes principes, pour construire les mêmes squelettes. C’est rigide, oui, mais tellement adroit et pointu que cela en devient fascinant.

Il ne s’agit pas de dire que Fatty Folders laisse de marbre – au contraire les digressions electronica y sont bouleversantes, de même que les plages les plus technoïdes provoquent un malaise intrigant et jouissif. Il faut simplement constater que, contrairement à beaucoup, Roman Flügel ne cherche pas à faire passer a priori le moindre sentiment, la moindre émotion. Il est un formaliste, qui travaille le son jusqu’à n’en plus pouvoir. Son approche est à l’image de l’illustration de son album, abstrait, théorique et loin de la communauté des hommes. Mais il n’empêche qu’une fois les morceaux terminés, une fois l’album laissé en pâture aux auditeurs, la musique agit.

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