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LES ACACIAS de Pablo Giorgelli

Sortie le 4 janvier 2012 - durée : 1H25min

Par Thomas Messias, le 13-01-2012
Cinéma et Séries

Asunción – Buenos Aires : 1500 kilomètres de terres arides et de routes à perte de vue. Le genre de périple qui peut rapprocher les gens ou les éloigner à jamais. Premier film de Pablo Giorgelli, Les Acacias joue justement de cette frontière ténue entre répulsion des êtres et convergences des cœurs. Voilà un road movie qui ne triche pas, refuse de jouer avec les codes du genre, s’oppose même à la notion de genre, et exploite les figures de la route avec naturalisme et noblesse. Parcourir de grandes distances, a fortiori avec une personne que l’on ne connaît ni d’Ève ni d’Adam, peut donner lieu à de très longs silences teintés de gêne ou de timidité. Cela signifie-t-il pour autant que le voyage est raté ? Doit-on l’évaluer en fonction du temps de parole et du nombre de décibels émis ? Évidemment non. Les road trips les plus mémorables sont parfois les plus mutiques car ils peuvent être à l’origine de voyages intérieurs aussi réparateurs qu’inattendus.

Giorgelli envoie au diable ces films dans lesquels les compagnons de voyage se sentent tout de suite à l’aise, mettent la musique à fond et font preuve de répartie. La vie n’est pas une comédie romantique, et c’est tant mieux, les sentiments les plus rentrés étant parfois les plus beaux. Les Acacias va même plus loin dans le défi, ses personnages étant non seulement des gens très modestes, à la culture et à la conversation sans doute limitées, mais également des princes de la réserve, restant sur leurs gardes suite à des expériences passées les ayant rendus méfiants. Un chauffeur routier argentin, une jeune mère paraguayenne surtout pressée d’aller retrouver sa famille à Buenos Aires, et un bébé de quelques mois, forcément incapable de s’exprimer autrement qu’en braillant : bienvenue au royaume des taiseux.

Pourtant le miracle se produit. Peu à peu. On ne se séduit pas, on s’apprivoise. On tente de rendre le parcours moins long, moins pénible. On partage le peu qu’on possède. On ne raconte rien, par pudeur sans doute, mais on se raconte un peu quand même. Bien que les plans larges soient légion, la caméra de Giorgelli fait quasiment office de microscope, étudiant millimètre par millimètre l’évolution de ces personnages qui avalent les kilomètres mais ne semblent aller nulle part. Le voyage de Jacinta ressemble davantage à une fuite qu’à un exil prémédité ; celui de Rubén n’est qu’un trajet parmi tant d’autres. Buenos Aires a beau se rapprocher peu à peu, mais personne ne semble véritablement s’en réjouir.

Les Acacias ressemble à La Pivellina, incroyable premier film italien datant de 2009, par sa vision émerveillée de l’enfance comme moteur de rapprochement des adultes ainsi que par sa façon d’utiliser les gestes les plus ordinaires du quotidien pour tenter de déterminer qui ils sont. Et si le film ne tient qu’à un fil, c’est parce que l’équilibre d’une partie de ses scènes dépend du comportement imprévisible de Nayra Calle Mamani, plus jeune actrice de l’année, interprète malgré elle de la jeune Anahi. Ses sourires, ses bâillements, ses pleurs : chacune de ses attitudes fait office d’épée de Damoclès ou de catalyseur. Le rythme du film, tout comme le planning des deux héros, est insufflé par ce tout petit bout d’à peine quelques kilos, créant tour à tour tensions et apaisement.

Paradoxalement, ce très beau film sur les vertus du silence aime parfois s’abandonner à des jeux de langage simples mais séducteurs, capables en tout cas de créer un peu de chaleur. Paraguayenne d’origine, Jacinta parle à sa fille en guarani, langue qui fait jeu égal avec l’espagnol dans son pays. D’abord indifférent ou agacé, Rubén finira par être intrigué par ces mots dont il ne connait ni le sens ni la prononciation, tentant un premier geste en direction de cette inconnue qu’on lui a imposée. 1500 kilomètres séparent leurs capitales respectives, mais c’est pourtant tout un monde qui se situe entre eux. Des trésors de culture et des siècles d’histoires ancestrales. Pourtant, comme les grands acacias bruyamment abattus dans le prologue du film – au passage, le travail sur le son est exceptionnel -, ils perdent pied en abandonnant leurs racines, réduits à l’état de monolithes informes par une société tentant de singer le modèle européen. Le sous-texte émotionnel et politique des Acacias, bien que largement en filigrane, a de quoi bouleverser malgré la mécanique apparemment minimaliste d’un script faussement inoffensif.