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EL CHINO de Sebastián Borensztein

Sortie le 8 février 2012 - durée : 1H40min

Par Thomas Messias, le 20-02-2012
Cinéma et Séries

Comparer des œuvres à d’autres œuvres a ceci d’extrêmement réducteur que l’on ne peut composer qu’avec ses propres références : ainsi, si El Chino semble piocher du côté de Jean-Pierre Jeunet et Patrice Leconte, il n’est pas franchement certain que le réalisateur Sebastián Borensztein ait vraiment eu ces références en tête. À moins qu’il ne soit un éminent francophile…

Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’El Chino est bien l’oeuvre d’un cinéaste argentin : on y retrouve cette façon systématique de faire de la déprime et de la solitude les principaux ressorts du genre comique. Les comédies argentines sont rarement hilarantes ; elles lorgnent majoritairement vers des dérives existentialistes et des considérations sociales. Sur ce plan, El Chino se rapprocherait davantage des comédies glaciales des nordiques Bent Hamer et Aki Kaurismäki. Bref, s’il ne renie jamais son identité argentine, le film de Borensztein est également empreint d’un style européen, volontairement ou malgré lui. Une caractéristique typique du cinéma argentin, qui se démarque fortement de ses homologues sud-américains en préférant voguer vers l’Europe.

Débarrassons-nous de ce qui fâche : les moments les moins plaisants d’El Chino sont ceux où Borensztein emprunte les tics les plus agaçants de Jean-Pierre Jeunet. Il y a d’abord cet amour de l’anecdote couleur sépia, qui transparaît dès le prologue. On y apprend comment Jun, le héros chinois du film, a perdu sa fiancée suite à un concours de circonstances impliquant un avion, une vache et une goélette. Cette affection pour les historiettes pittoresques et/ou sordides revient régulièrement dans le film, justifiée par le hobby du héros joué par Ricardo Darín, qui collecte dans des classeurs les faits divers les plus étonnants de la presse argentine. Heureusement, Borensztein n’abuse pas de cet artifice et finit même par produire une auto-critique pour le moins salvatrice.

L’autre emprunt supposé à Jeunet, c’est cette façon de filmer les personnages frontalement et en gros plan, et d’utiliser un grand angle pour exploiter les décors en mode panoramique. Le tout dans des teintes gris vert rappelant les pires moments de Micmacs à tire-larigot. La comparaison s’arrête là, un autre réalisateur français venant prendre le relais. Cette fois, c’est une bonne nouvelle : avec son Darín en mode Marielle (à moins que ce soit Noiret, ou Rochefort), El Chino ressemble parfois à s’y méprendre aux meilleurs films de Patrice Leconte. Même regard bienveillant et gentiment acide sur les petites habitudes de personnages vieillissants. Même façon de se retourner sur des vies ratées, ou en tout cas mal exploitées, avec toujours cet espoir de se rattraper à la dernière minute. Seul dans son échoppe de quincailler, le Roberto incarné par Ricardo Darín a quelque chose du Mari de la coiffeuse… sans la coiffeuse.

Car El Chino est avant tout l’histoire de plusieurs solitudes qui se télescopent douloureusement, chacun s’étant résigné à vivre en lui-même et avec lui-même. Réduits au silence et à l’individualisme par des facteurs qu’ils n’ont pas su (ou pu) maîtriser, les personnages se cherchent… et se trouvent délicieusement. La cohabitation soudaine de Jun et Roberto donne lieu à quelques scènes de comédie tendre, bien loin du buddy movie auquel on aurait pu s’attendre. L’un parle espagnol, l’autre chinois, et c’est cette incommunicabilité, assortie de quelques divergences culturelles, que Borensztein met en scène sans trop en faire dans le côté « aimez-vous les uns les autres ». Évitant l’angélisme, se réservant toujours le droit de sombrer dans la mauvaise humeur, El Chino ressemble à Ricardo Darín : il peut être aussi lumineux que grave, aussi chaleureux que glacial. Brisé par la guerre des Malouines, drame encore frais qui ne date « que » de 1982, Roberto ne tente même plus de se reconstruire : il n’en a pas le temps. Sauf fin du monde, l’Argentine a encore des siècles et des des millénaires devant elle pour retrouver un équilibre perdu depuis bien longtemps ; lui est déjà en milieu de vie et semble persuadé d’avoir déjà laissé passer sa chance. La façon dont le film finit par lui montrer qu’il a tort est forcément un rien prévisible, mais elle a au moins le mérite de réchauffer un peu le cœur. « La noblesse et la douleur » : c’est ainsi que l’un des personnages décrit Roberto dans le film, et c’est la façon d’être de cet El Chino moins foldingue que ce que laisse entrevoir son affiche.