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Que reste t-il de Drive ?

Drive, sortie dvd/bluray le 8 février – durée : 1h 40 min Coffret collector NWR comprenant les films Drive, Valhalla Rising, Bronson, le documentaire NWR, le livre, la BOF et une affiche de Drive.

Par Alexandre Mathis, le 15-02-2012
Cinéma et Séries

22 mai 2011 : Nicolas Winding Refn reçoit des mains de Robert de Niro le prix de la mise en scène pour son film Drive. Pas loin d’un an plus tard, que reste t-il de l’événement ? Un peu comme Pulp Fiction à son époque, Drive redéfinit la série B aux yeux du grand public ; à savoir une espèce de shoot de plaisir pur, malignement mené par un réalisateur cinéphile et sûr de ses moyens techniques. Il n’y a qu’à voir le soin apporté à la lumière. Les jolis éclats en néons violets ou bleus sont autant une coquetterie d’esthète qu’un outil de découpage. Dans un plan qui réunit Ryan Gosling et Carey Mulligan, les lignes verticales des murs et des vitres sont accentuées par ces ruptures d’éclairage. Si les corps se sont rapprochés au cours d’une virée en voiture sur une route directement sortie de Terminator 2, la pudeur de ces deux êtres se résume par ce simple élément de cadre. C’est d’ailleurs dans l’oasis romantique que Winding Refn pose sa plus grande singularité. Il travaille une inertie de la narration par temps distincts. Il puise dans son préambule son héritage plastique à Michael Mann, une référence venue de la télévision, terroir de fertilité de mise en scène.

La suite est un espace de liberté amoureuse, fugace, idéalisée, presque dénuée de plausible. Comme tout le film d’ailleurs. On a à faire à un héros mutique, au look potentiellement ringard, qui devient classe et à une mafia fantasmée. Les éclairs de violence utilisent un langage de série B bien connu du réalisateur danois. En cela, le rapprochement avec Tarantino est évident. Chacun utilise à sa manière la jouissance dans le déchaînement à des fins plus subtiles que la plupart des productions sanglantes habituelles. Il suffit de voir comment Drive construit son personnage principal. Le conducteur n’a pas de nom, pas de passé, pas d’avenir. Il ne vit que le temps du film. Là où Winding Refn crée un trouble, c’est dans sa façon de nous faire comprendre que son héros est un psychopathe. Dans une scène à priori anodine, Gosling, posé à un bar, menace un mec qu’il a aidé lors d’un cambriolage passé. Plus tard, il fulmine le poing serré contre Christina Hendricks. Il va aussi fracasser quelques phalanges à coup de marteau. Dans la célèbre scène de l’ascenseur, la tendresse (le baiser au ralentit) et la folie meurtrière (éclatement de crâne en mode Gaspar Noé) se rencontrent. Le dernier regard de Mulligan sur son Don Juan trahit l’effroi mêlé de déception en découvrant la vraie nature du chevalier blanc. La série B est un terreau fertile au renouvellement des symboles et des archétypes de cinéma pour Winding Refn.

Le plus fascinant dans Drive vient peut-être de cette force de résistance du cinéaste danois au diktat américain. Issu d’un bouquin de James Sallis, l’histoire fut remaniée de telle manière à évacuer les apparats raciaux (le mari d’Irène n’est plus mexicain) et la complexe structure originelle. Dans un documentaire sobrement intitulé NWR qui sera mis en vente dans un coffret du réalisateur, Jodorowsky, de son délicat accent, célèbre un homme qui « a su rester pur ». Il faut dire que le garçon n’a pas l’air de se laisser marcher sur les pieds. Si le film d’à peine plus d’une heure est tout à la gloire de NWR, on devine entre les lignes qu’il ne doit pas être facile à vivre. Non pas qu’il soit ingérable mais il est bien le seul à renoncer à entrer à la très select Danish Movie School pour faire son premier film. Son parcours, fait d’accrocs et de frustrations, laisse percevoir tout le soulagement de son succès pour Drive. Il avoue lui-même son arrogance passée quand il cherchait à transgresser l’autorité de parents punk en matant Massacre à la tronçonneuse et New York 1997.

Drive est son premier vrai triomphe. Car si Pusher est aujourd’hui reconnu, il fut à l’époque dézingué par la critique danoise, préférant la clique Vintenberg -Von Trier & Co. Après son désastreux passage canadien pour Inside Job, Winding Refn survit en réalisant deux suites à Pusher. Dans un précédent documentaire – Gambler –, il se montrait dans la galère complète, endetté, un enfant sur les genoux, à écrire en quelques jours des scénarii entiers. Sa constance : il s’entête à détourner les genres qu’il aborde. Dans Pusher, il redéfinit la notion de film de mafia. Dans Valhalla Rising, il combine fresque de viking et trip expérimental ; dans Bronson, il fait de la prison une scène de jeu. Pour son prochain long-métrage, Only God Forgives, il se penche sur le myai thaï, mais veut faire « un film de combat sans combat ». Un peu comme Drive, film de voiture avec peu de carrosserie – en témoigne la promesse jamais tenue de courses de stock-car. C’est dans cet acharnement de cinéaste que le succès de Drive est une excellente nouvelle. Sa sélection à Cannes a servit de réhabilitation de tout un pan du cinéma souvent ignoré dans les grands festivals. Il convient de saluer l’audace de Thierry Frémaux et du jury de De Niro, ce dernier ayant dû se souvenir d’un triomphe cannois pour un certain Taxi Driver.