Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

Big Deal, se fondre dans ton adolescence

A propos de l'album "Lights Out"

Par Benjamin Fogel, le 22-03-2012
Musique

Cela ressemble à une comédie musicale. D’un côté, il y a Alice Costelloe, une gamine qui vient d’un milieu aisé et qui a la musique dans le sang. Dès son plus jeune âge, elle a été bercée par les disques de son beau-père ; et là où ses camarades devaient se contenter au mieux de la télé au pire du silence, elle profitait déjà des Beach Boys et de David Bowie. Ses journées se décomposent entre rêveries et déceptions amoureuses adolescentes, et ses soirées, entre guitare et cocon familial. De l’autre côté, il y a Kacey Underwood, d’une dizaine d’année son ainé, un type qui vient du désert américain et a la musique dans l’âme. Avec son air de trentenaire au bout du rouleau et ce regard qu’il cache sous une mèche laissée à l’abandon, il a écumé les bars et les salles de concerts. La musique n’est pas venue à lui, c’est lui qui a dû venir à elle. Et Big Deal se trouve être la rencontre entre ces deux-là : la petite bourgoise qui souhaitait prendre des cours de guitares et l’artiste torturé qui avait besoin d’enseigner pour gagner sa croute. On se retrouve alors face à deux archétypes et l’on ne sait si l’on doit acquiescer face à cette jolie rencontre ou au contraire la moquer tant elle a l’air trop belle pour être vraie.

Big Deal n’est pas plus un groupe que Lights Out est un disque. Ces deux-là ont été enfermés dans une chambre par le hasard des rencontres, et ils ont fini par cracher en une semaine d’enregistrement 12 titres à peine finis. C’est comme si eux même se rendaient compte de l’aspect trop romantique de leur amitié et qu’ils avaient bien conscience que cela ne durera pas. Alors ils composent dans l’urgence : non pas parce qu’ils ont la rage, non pas parce que c’est essentiel à leur vie, mais juste parce qu’ils ont peur de louper l’instant, de laisser passer leur chance et que la vie reprenne ses droits. Ils sont dans des situations qui n’ont rien à voir : lui n’a jamais réussi à se fondre dans une vie professionnelle classique, il sait qu’il pourra compter sur la musique et sur rien d’autres. Elle, elle a encore des années avant de se décider. La musique ? Ce n’est peut-être qu’une passade. Elle comptera toujours pour elle, mais ça ne la générait pas d’être une avocate un peu rock’n’roll. Si ça se trouve, son avenir se calera très bientôt sur des rails tout tracés. Elle le sait, et ce disque c’est sa dernière chance de dévier. C’est un couple qui n’a pas les mêmes ambitions, pas les mêmes enjeux, mais tous deux ont besoin de profiter de cet instant à 100%.

Alors ils sortent Lights Out un album bancal, presque amateur. Deux voix qui se noient l’une dans l’autre sans jamais essayer de créer un dialogue, et deux guitares, l’une acoustique, l’autre électrique.  Pas de basse et, surtout, pas de batterie, comme si introduire de nouveaux sons (de nouveaux gens) risquait de perturber l’équilibre fragile et précieux qu’ils ont obtenu par inadvertance. Alors ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont et ça donne une pop lo-fi qui se complait dans un vague à l’âme grungy. Ils ne cherchent pas de couplets, pas de refrains, ils ne font que jouer, sans trame, sans but. Parfois cela fonctionne (Chair, Talk), parfois non (Swoon). L’album ne compte ni gimmick, ni pistes originales ; tout se confond, tout devient flou.

D’un côté Big Deal veut briser les formats et se libérer de la contrainte du groupe, mais de l’autre il n’offre jamais l’alchimie qui permettrait à Alice Costelloe et  Kacey Underwood de se suffire à eux-mêmes. A aucun moment l’absence de certains instruments permet de mieux révéler les autres. On est plus dans le cri du coeur irraisonné que dans un dialogue pensé et construit. Et du coup, ce qu’il reste, ce sont des compositions en forme de démos, des idées qui n’ont pas encore écloses, des canevas en attente d’arrangement où jamais le vide rythmique n’est transformé en force. On pourrait y voir un attrait pour la pop la plus épurée, mais je crois que c’est surtout le signe d’un goût pour les choses inachevées, pour ces possibles qui ne sont jamais fermés : tant qu’elle ne m’a pas dit non, il y a de l’espoir ; tant que nous n’avons pas finaliser nos chansons, elles peuvent encore radicalement changer.

L’histoire entre Alice Costelloe et  Kacey Underwood sert de ciment à l’album, comme si leur relation cachait une intrigue. Ils jouent de la notion de couple et laissent planer une ombre amoureuse sur leur amitié. Ils n’agissent pas comme une entité composée de deux personnalités. Au contraire, ils se comportent comme leurs deux silhouettes sur la pochette : ils disparaissent sous le soleil pour former une tache unique. Outre quelques rares moments (l’intro de Summer Cold), ils créent une musique hermaphrodite où l’on ne joue pas sur les spécificités de l’homme et de la femme, mais où l’on superpose les êtres pour obtenir une nouvelle voix, une nouvelle guitare. Contrairement à d’autres duos vocaux hommes / femmes où les protagonistes se répondent, Big Deal préfère doublonner plutôt que d’alterner. Ils parlent d’une voix commune et non comme un couple qui nous conterait son histoire. Pourtant les textes jouent parfois volontairement la carte de l’ambiguïté : sur Cool Like Hurt, on ne peut pas ne pas transposer le « I’m all grown up, I swear it’s old enough. Take me to your bed, I don’t take me home, I want to be old, I want to be older », et le faire rentrer en résonnance avec le « Want to be your lover, trying hard to be your friend » de Chair. Mais encore une fois, il ne s’agit pas d’un dialogue, et donc pas d’une déclaration à l’autre. Ces textes successivement touchant et naïfs (voire pathétiques), c’est plus la conjonction de deux visions de l’adolescence : celle d’une fille qui est en train de la vivre et celle d’un homme qui a déjà 10 ans de recul. Comme si Underwood renforçait ses craintes en lui confirmant que les choses ne s’arrangeront pas forcément.

On peut alors trouver gênant que Lights Out se focalise sur la vie aisée de son élément féminin en éludant l’adolescence plus stricte de son personnage masculin. Mais la pudeur de Underwood qui se met complètement au service de l’histoire de son amie a quelque-chose d’émouvant. Au final plus qu’une stratégie pour titiller l’imaginaire des auditeurs, on se demande si les soupçons d’amour qui trainent dans leurs chansons ne sont pas une manière de communiquer, comme s’ils s’étaient laissés prendre à leur propre jeu.

Lights Out est un joli disque sur l’éternel thème de l’amour adolescent. Il en porte les avantages et les inconvénients, sa beauté et sa niaiserie. Il porte ainsi en lui une intimité qui va au delà du concept de home studio ; on parlerait volontiers ici plus de bed studio. L’anxiété dévoilée ici n’a pas besoin de se nourrir de rage, elle n’a pas besoin d’envolées rythmiques, elle n’a même pas besoin d’être une chanson, elle a juste besoin d’être susurrée sous la couette.

<div id='gsWidget'><object width='210' height='440'><param name='movie' value='https://listen.grooveshark.com/widget.swf'></param><param name='wmode' value='window'></param><param name='allowScriptAccess' value='always'></param><param name='flashvars' value='hostname=cowbell.grooveshark.com&songIDs=32889153,32641804,32889156,32889165,32889117,32889131,32889144,32889142,32889158,32889149,32889127,32889137&bt=eaeffe&bth=333333&bbg=333333&bfg=568099&pbg=eaeffe&pfg=333333&pbgh=568099&pfgh=eaeffe&lbg=eaeffe&lfg=333333&lbgh=568099&lfgh=eaeffe&sb=eaeffe&sbh=568099&si=eaeffe'></param><embed src='https://listen.grooveshark.com/widget.swf' type='application/x-shockwave-flash' width='210' height='440' flashvars='hostname=cowbell.grooveshark.com&songIDs=32889153,32641804,32889156,32889165,32889117,32889131,32889144,32889142,32889158,32889149,32889127,32889137&bt=eaeffe&bth=333333&bbg=333333&bfg=568099&pbg=eaeffe&pfg=333333&pbgh=568099&pfgh=eaeffe&lbg=eaeffe&lfg=333333&lbgh=568099&lfgh=eaeffe&sb=eaeffe&sbh=568099&si=eaeffe' allowScriptAccess='always' wmode='window'></embed></object></div>