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In time with Madonna

Par Ulrich, le 15-03-2012
Musique

Il n’aura échappé à personne que Madonna, pour le meilleur ou le pire, sait parfaitement occuper le devant de la scène, à chaque fois qu’elle sort un nouvel album. Le buzz frémit, la rumeur grandit et l’air est brièvement saturé par le son Madonna. On ne pourra jamais accuser cette artiste d’avoir toujours été opportuniste, parfois avec succès et talent. Depuis trente ans, elle mène sa carrière sur deux fronts différents, la musique populaire et l’undergound. Avide de sons nouveaux et de nouvelles tendances, elle est devenue une “passeuse de plat”, une vulgarisatrice de talent permettant à un large public de découvrir des musiques et des danses qui seraient restées encore dans l’ombre. Mais ce qu’on oublie souvent est que Madonna creuse, depuis toutes ces années, un seul et même sillon, le post-disco des années 80. Elle aura été l’une des rares à avoir su renouveler régulièrement ce genre avec talent et… médiocrité.

Personnellement, je ne suis jamais entré dans l’intimité d’un de ses albums et n’ai jamais mis les pieds à ses concerts. Aussi je ne connais d’elle que ses succès radio, mais j’admets bien volontiers que Madonna est un phénomène populaire et a un indéniable talent – on reste rarement aussi longtemps au sommet de la pop music si on n’en possède pas. A priori donc, nos chemins ne devraient jamais se croiser : je respecte l’artiste mais sa musique ne m’intéresse pas. She’s a true entertainer, la seule de sa génération, remplaçant au pied levé la place laissée vacante par David Bowie.

Depuis 2005 et le carton intergalactique de Hung Up provoquant chez certains d’entre nous une aérophagie certaine – tant la combinaison Abba/Madonna devenait insupportable pour nos âmes et nos ventres – j’ai tout de même noté une chose intéressante chez elle, un tout petit grain de sable qui donne enfin à cette artiste une âme et une humanité : le temps.

Il est frappant de constater que Madonna le fuit mais l’intègre habilement ou inconsciemment dans sa musique. Ça a commencé avec Hung Up, puis 4 minutes et Gimme All Your Luvin’, le dernier morceau en date. Être reine du DanceFloor implique d’être à la pointe du combat constamment et ne jamais baisser la garde . Comme la Dance et ses nombreux avatars s’adressent à un public jeune et plutôt urbain, Madonna devient alors un paradoxe temporel à elle toute seule.

Tic tac… Le temps s’écoule et il est devenu un gimmick musical. Le temps bat le rythme sur Hung Up, il est refrain sur 4 minutes et il regarde en arrière sur Gimme Your Luvin’. Ces trois morceaux posent clairement la question du futur de la chanteuse et c’est d’autant plus frappant sur les trois clips. Elle y implique plus ouvertement ce qui a fait sa force : la jeunesse underground et la bonne vieille dance. La mise en scène du clip vidéo Hung Up est en soi révélatrice : hommage appuyé au disco des années 70, le crump se faufile entre les images pour être reconnu en fin de vidéo comme le mouvement dance d’aujourd’hui, voire de demain. Il est intéressant de noter qu’au départ les deux mouvements ne se croisent pas, tout comme on passe d’une image surannée et lissée à des images rythmées et syncopées. Le titre est en fait à l’image de l’album Confession on a Dance Floor, conçu comme un DJ Set, tous les titres s’entrecroisent et s’enchaînent sans interruption.

Tic Tac fait le métronome sur Hung Up… “Time goes back” murmure au début de la chanson, Madonna. En une ligne, elle dessine son futur et ce qu’elle fera à l’avenir : continuer à danser et montrer qu’à 47 ans, elle peut rivaliser encore avec les meilleurs sur les pistes de dance. C’est elle qui depuis 25 ans donne le tempo de la planète dance et on ne peut nier que Hung Up est sur ce plan une réussite. Même moi qui suis généralement assez hermétique à la Dance, je bats volontiers la mesure sur ce morceau et je vois les ravages qu’il produit dès qu’on l’entend à la radio : le monde dodeline de la tête, esquisse maladroitement quelques pas de danse ou chante en choeur le refrain joyeusement. Et certains m’ont même avoué qu’ils dansaient avec leur aspirateur durant la chanson… Une chose donc est sûre, Madonna a libéré les femmes des tâches ménagères au moins durant 5 min 27 sec. Et ça, avouons-le, c’est une vraie révolution.

Tick Tock chantent Justin Timberlake et Madonna sur 4 minutes. Le ton est ici donné en introduction par Timbaland : “I’m outta time and all I got is 4 minutes”… 4 minutes pour sauver le monde, le temps que dure aussi réellement ce titre. Mais ce qui est intéressant dans ce morceau est sa structure, ses paroles et Justin Timberlake. Le fait est que ce morceau est aussi un tournant dans la carrière de Madonna. Elle a souvent collaboré avec de nombreux artistes mais pour la première fois, elle invite deux stars à chanter avec elle, sans pour autant renoncer à sa formule choc, l’undergound populaire. En introduisant la chanson par le désormais célèbre banghra de Timbaland, nous devinons qu’il y a une urgence. Le temps s’écoule, la planète se meurt, nous avons 4 minutes pour la sauver. Mais comme à l’accoutumée, Madonna ne fait pas la morale, non elle délègue cette partie cette fois-ci à Justin Timberlake :

“But if I die tonight
At least I can say I did what I wanted to do
Tell me, how bout you?”

Tout comme il interpelle tout le long de la chanson, Madonna.

Tick Tock, on entend encore le temps s’écouler comme sur Hung Up. Cette fois-ci, le temps est chronophage, il mange tout sur son passage et pour la première fois, la chanteuse américaine pose la question de la mort, est-ce la sienne ? Ou constate-t-elle qu’à 50 ans, elle ne pourra pas toujours autocélébrer la planète Dance ? Et a-t-on compris que sur ce morceau, elle passait le témoin ?

Tick Tock
“The road to heaven is paved with good intentions”

Tick Tock Tick Tock et nous voilà en 2012.
Si jusqu’ici, l’artiste nous a plus ou moins convaincu qu’elle seule détenait la formule miracle pour continuer à nous faire danser, tout en imprégnant sa musique d’éléments nouveaux, la sortie de Give Me All Your Luvin’ a plongé certains d’entre nous dans une perplexité sans nom.
Mais encore faut-il voir le clip vidéo pour comprendre ce qui a provoqué, surtout en Europe, moquerie et rejet.

Tic Tac. Je joue de l’underground populaire comme du violon. Cette fois-ci, ma conscience underground s’appelle M.I.A. et ma potiche populaire, la chanteuse R&B Nicki Minaj… Et tant qu’à faire, dans le clip vidéo, j’autocélèbre ma carrière en reprenant les images de mon passé : les pochettes de True Blue et Who’s That Girl. Lorsque j’ai vu le clip pour la première fois, il m’a fait rire, j’y voyais une auto-dérision affichée et affirmée. La provocation ne passe plus par elle directement, mais par le détournement des images d’une Amérique puritaine et ringarde, celle des années 50. On y voit Madonna menant la chorégraphie des pom-pom girls, suivie par une équipe de football américain qui n’en peut plus de la porter, la soutenir… l’adorer, tout ça dans un décor très teenager années 50. On sait que Madonna admire Marilyn Monroe… Elle l’avait déjà mise en scène dans Material Girl et il est étrange que personne n’ait fait le rapprochement tant les deux chansons s’interpellent et se parlent… à 27 ans d’écart.

Dans le clip vidéo Material Girl, Madonna provoquait l’Amérique en se réappropriant l’image d’une immense star. La nouvelle Marylin Monroe, c’était elle. Nous étions en 1985 et elle n’avait besoin de personne pour cautionner sa musique.

Tic Tac. Aujourd’hui elle a besoin de M.I.A et de Nicki Minaj pour rejouer une scène vieille de 27 ans, en la rajeunissant et en la remettant au goût du jour. Mais si on pouvait lui pardonner en 1985 ce narcissisme affiché et revendiqué, peut-elle encore, après tant d’années, jouer sur le même registre ? Surtout que sur le plan musical, il n’y a guère aussi de différences, les interventions hip-hop de M.I.A et de Nicki Minaj étant anecdotiques, ça reste un morceau de new-wave bien commercial.

A trop vouloir occuper le devant du jeunisme et de la nouveauté à tout prix, Madonna ne s’est-elle pas prise à son propre piège ? Ou a-t-elle compris avant tout le monde qu’on pouvait avoir du succès en voguant sur une vague nostalgique qui touche aujourd’hui toutes les couches de la culture populaire ? Ou bien nous nous trompons complètement et nous assistons à une autodérision savamment orchestrée. L’avenir nous dira si elle sera toujours la Material Girl ou pas.

https://www.youtube.com/watch?v=QF7rCv6ch7M

https://www.youtube.com/watch?v=9N6jHsAU63g