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QUERELLES : en quête de sens

Sortie le 25 avril 2012 - durée : 1h31min

Par Thomas Messias, le 27-04-2012
Cinéma et Séries

On savait le cinéma peu dépendant du toucher, de l’odorat, du goût. On le découvre ici capable de s’affranchir des deux sens qui restent. D’abord la vue, avec cette scène d’introduction taillée dans une pénombre pas loin d’être parfaite : on entend une conversation entre un homme et une femme que l’on ne verra jamais à l’écran, querelle d’un couple frappé par l’urgence d’une décision à prendre. Épousons-nous le point de vue d’un aveugle ou d’un amant caché dans un placard ? Non. Nous sommes un enfant. Un enfant que Querelles finit par nous montrer, sagement allongé dans son lit, essayant tant bien que mal de trouver le sommeil malgré le volume de la conversation qui se prolonge dans sa maison. Un enfant condamné à entendre ses parents s’engueuler une dernière fois à propos d’événements qui le concernent peut-être directement mais dont il aimerait être maintenu à distance, comme plongé dans une obscurité durable, de celles qui rassurent et protègent.

Pourquoi une dernière fois ? La suite nous le dira avec plus ou moins de précision : dès la deuxième séquence, on retrouve cet enfant — un garçon nommé Arshia — à l’arrière d’une voiture. Devant lui, deux adultes entament eux aussi une longue dispute près de lui, mais dans une toute autre configuration : cette fois Arshia dispose de l’image, mais pas du son. Ses compagnons de route — son oncle et sa tante — sont sourds et s’expriment grâce à la langue des signes. Protégés par ce langage difficile à maîtriser et n’appartenant qu’à eux et leurs compagnons de handicap, Sharareh et Kamran n’ont nul besoin de se cacher, y compris lorsqu’ils évoquent drames et dilemmes. Le problème est le suivant : la nuit précédente, les parents d’Arshia sont morts sur la route, mais le garçon l’ignore encore. Comment lui annoncer la nouvelle, et quand ? Que faire de lui ensuite ? Le chemin est long et le questionnement aussi. Sous les yeux d’un Arshia incapable de comprendre — à moins que —, c’est une série de débats éthiques et intimes qui se met en place dans l’habitacle du véhicule.

Le réalisateur Morteza Farshbaf va plus loin dans son exploration des sens et de leur privation. Les premières conversations du couple de sourds sont en effet filmées de très loin, la caméra suivant l’automobile comme un curseur sur une carte routière. Le choix qui est fait par le cinéaste consiste à faire du spectateur un témoin du dialogue, parfaitement conscient de tout ce qui se trame : la discussion houleuse de Sharareh et Kamran est rapportée à l’aide de sous-titres qui nous placent en situation d’observateur omniscient de la situation.

Ce jeu sur les différents langages et les différentes façons de les percevoir finira par atteindre des sommets de perversité, même si la bienveillance du metteur en scène iranien n’est pas à mettre en cause : disciple évident d’Abbas Kiarostami — la mise en scène reprend trait pour trait les particularités de ses films les plus forts, Ten et Le Vent nous emportera —, Farshbaf entend avant tout sonder l’être humain avec objectivité. Quant à sa vision du cinéma, elle est assez extraordinaire : montrer que de la contrainte naissent beauté et singularité, que chaque sens qui disparaît de façon éphémère ou durable ne fait que renforcer les autres et leur donner une force insoupçonnée. Outre les interrogations qu’il soulève pour les trois personnages principaux, Querelles est un audacieux miroir déformant, capable d’apprendre à chacun quelque chose qu’il ignorait de lui-même.