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Twixt de Francis Ford Coppola : l’ode à la fragilité de l’artisanat

Sortie le 11 avril 2012. Durée : 1h29 min

Par Alexandre Mathis, le 11-04-2012
Cinéma et Séries

Il est presque devenu commun de dire de Francis Ford Coppola qu’il est le Benjamin Button du cinéma. Comprenez par-là que plus le temps passe, plus son art rajeunit. Très tôt lancé dans le bain des grosses productions (Le Parrain, Apocalypse Now) aussi maitrisées qu’audacieuses, Coppola prend peu à peu ses distances avec la machine hollywoodienne jusqu’à la fuir complétement. Avec son triptyque L’homme sans âge, Tetro et maintenant Twixt, il prouve au monde entier que les moyens ne font pas tout. Mieux, on se dit que celui qui débuta dans le métier pétrit de l’approche expérimentale d’Arthur Lipsett renoue avec son idéal. En cela, la formule sur Benjamin Button prend tout son sens. Coppola, c’est le parcours le plus fascinant de l’histoire du cinéma américain. Soyons fou, qualifions le de plus grand cinéaste du monde.

Twixt, film de jardin par excellence, le prouve. Il y a de quoi être désarçonné par l’allure décharnée de la caméra numérique tant on en explore toutes ses facettes. Le film redéfinit tout un rapport au cinéma. L’enjeu est d’aller puiser dans les flexibilités du nouvel outil de filmage. Un peu comme tous ces essais du Nouvel Hollywood sur le mouvement, sur le steadicam et sur les ruptures dans la narration, il se crée ici comme un champ d’exploration. Là où des Michael Mann maquillent les aspérités lisses de l’image en binaire, Coppola les assume. Avec L’homme sans âge, il s’éclatait à l’étalonnage, débullait des cadres, coupait dans tous les sens. Son film ressemblait à un collage parfois hasardeux mais passionnant sur ce qu’est le temps ressenti au cinéma. Avec Tetro, le noir et blanc venait se fondre aux jeux esthétiques sur des cadres en 1:33, à coup d’hommages aux Chaussons Rouges tout en allant puiser dans l’expérimental dans le mixage sonore. D’une certaine manière, Twixt va plus loin. Coppola aime l’imperfection. Lui qui a gouté à la maitrise absolue avec ses premiers grands films, a surtout construit sa légende vivante avec ce qui aurait dû être le plus grand des cataclysmes : Apocalypse Now. Il avait fait de ce chaos un maitre étalon du grand chambardement des imprévus. Depuis, il revient régulièrement à cet idéal. Son Dracula, par exemple, était un film somme sur ce que représentait le mysticisme, l’érotisme et l’horreur sur un grand écran. Une œuvre tellement pleine qu’il fut ensuite impossible de filmer le vampire sous cet aspect. Naitront alors les Buffy, Blade et autres renouvellements de la figure du suceur de sang.

Frissons du feu de camp

Twixt parle aussi du vampire, sous un double visage. Il est une incarnation jeune et délicieuse (Elle Fanning et son appareil dentaire) tout en se retrouvant dans un cadre des plus classiques. Hall Baltimore (Val Kilmer), version ratée de Stephen King, arrive dans une bourgade paumée. La première scène doit mettre la puce à l’oreille. L’étrangeté de la présentation par la voix rauque de Tom Waits vient nous rappeler mille souvenirs. On pense effectivement à Stephen King, à ses innombrables adaptations plus ou moins réussies, on songe aussi au cinéma horrifique. Chacun y remet une parcelle de son expérience littéraire et cinématographique. Mais il y a quelque chose de différent, de résolument moderne. Cette caméra, ces aplats, cette horloge, ce côté ersatz de film sérieux, tout ceci ne ressemble pas exactement à nos souvenirs. Au fur et à mesure que l’intrigue avance, les clés du puzzle sont connues. Une mort étrange, un crime immonde auprès d’enfants et Edgar Allan Poe qui s’invite dans les débats. Twixt nous invite à une grande expérience ludique sur ce qu’il reste de nos figures d’antan.

Coppola ne rend pas un hommage à ses idoles. Il préfère y récupérer leurs images. Ben Chaplin se charge de jouer un Edgar Allan Poe, transmetteur de savoir. Pourtant, jamais il ne nous est demandé si les modèles convoqués nous écrasent sous leur génie. L’important c’est de jouer avec. Tourné près du foyer familial, Twixt se vit comme une balade à l’air frais ou une histoire racontée autour du feu de camp. On joue au vampire maudit avec Elle Fanning, on s’alcoolise plus qu’il ne faudrait pour errer dans les bois, on s’invente des histoires avec une bande de jeunes inquiétants. L’esthétique est aussi pure réjouissance. Dans ses segments concernant l’enquête miteuse du romancier et de son acolyte flic, le grain inexistant accentue le côté “film à papa”. Les parties de nuit, à l’inverse, jouent d’un noir et blanc surréaliste, avec des flaques de rouge délicieusement écœurantes. Tout est très beau dans cette superficialité.

Il faudra bientôt aller se coucher et éteindre le feu. Mais avant, amusons-nous des deux scènes en 3D. Elles n’arrivent qu’en fin de périple, quand on se dit que la fête est finie. Techniquement superbes, elles restent pourtant un pur gadget, pour une fois assumé comme tel. Des lunettes arrivent sur l’écran pour nous indiquer qu’il est temps de chausser les nôtres. Fin de l’aventure, des images plein la tête, des légendes réanimées prêtes à se jouer de nos inconscients. Ce qui pourrait nous empêcher de dormir, ça n’est pas l’effroi du conte mortuaire – puisqu’on ne tremble jamais – mais plutôt un trouble plus global. D’abord par les sujets qu’arrivent à aborder encore une fois le réalisateur. Par le jeu d’un miroir aquatique, il parvient encore à nous parler de son fils disparu. Tout un pan du film s’acharne à montrer la fragilité de l’artiste. Coppola se filme à travers Val Kilmer dans sa version ratée. Le plus merveilleux, c’est de s’amuser de ce postulat. Twixt n’a rien de la catharsis (chose que l’on pouvait encore dire de Tetro). Il est un territoire connu où un grand auteur convoque le cinéma expérimental pour recréer un souffle disparu. En cela, il se rapproche de l’envie folle de son créateur. Francis Ford avoue être frustré par le côté définitif d’une œuvre. De passage à Paris, il révélait détenir des séquences coupées au montage du film qu’il rêverait de diffuser selon la projection. Ainsi, en fonction des réactions de la salle, il couperait ou ajouterait des passages. Le cinéma deviendrait ainsi une expérience de jeu perpétuel, où le démiurge créateur se plierait au désir de son public et rejouerait sa partition avec cette dose de spectacle vivant.