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Killer Mike, “R.A.P. Music”

Par Dom Tr, le 29-05-2012
Musique

Sorti d’à peu près nulle part en fin d’année 2011, “R.A.P. Music”, nouveau projet du rappeur ATLantiste, Killer Mike, et de l’éminent rouquin de Brooklyn, Jaime Medelin a.k.a. El-P, s’est vite imposé comme une bombe en devenir à la faveur d’un couple de singles judicieusement balancé à travers le web, sans crier gare. Et comme une grande baffe dans la gueule qui vous arrive un peu sur le côté, sans la voir venir, vous vous en souvenez un bon moment durant. Du moins par la marque qu’elle vous laisse sur le visage. Sans avoir rien entendu de plus que ces 2 morceaux, ils ont été nombreux à se palucher en 2012 sur ce duo éphémère qui allait nous pondre un “R.A.P. Music” devenu l’un des projets rap les plus attendus des afficionados ces derniers mois. Difficile de trouver les véritables raisons de cet emballement, d’ailleurs. Après tout, il ne s’agissait que de 2 ou 3 morceaux, tout au plus, de la part d’un duo dont personne n’avait anticipé l’apparition. Alors quoi ?

Le casting ? En dépit de ses relations poussées avec le duo le plus fameux de toute la planète ATliens pour avoir fait ses premiers pas discographiques officiels sur “Stankonia”, et des succès au Billboard, Killer Mike n’a jamais été rien d’autres qu’un rappeur moyen, noyé dans la masse du vivier rap impressionnant de la métropole sudiste. Un peu en décalage avec ce que ses compatriotes balançaient au début des 2000’s, alors qu’Atlanta devenait l’épicentre de toute la scène rap US pour les années à venir, fermement campée sur les claps et les snares d’une grosse 808 et d’un synthé clinquant, produisant par wagon entier des caisses de crunk et autres trap music, Killer Mike balance un anecdotique “Monster” chez Columbia, bien salué par la masse qui lui permet pourtant d’atteindre le disque d’or et de lancer sa carrière avec brio. S’ensuit une relation toujours plus poussée avec Outkast, une embrouille entre Sony et Big Boy qui voit la sortie de son second LP “Ghetto Extraordinary” – d’abord prévu pour l’été 2005, être repoussée ad vitam aeternam (puis finalement ressorti en exclu en numérique en 2008 par HipHop DX) –, traîne un peu en multipliant les feats avec ses potes Chamillionaire, T.I. et fait des apparitions TV en tant que voix.

Mais Killer Mike peine à s’installer réellement dans le panorama d’Atlanta, préempté par quelques énormes valeurs montantes du coin, notamment un jeune Radric Davis a.k.a. Gucci Mane qui commence à faire sérieusement parler de lui dans les années 2005-2006, bien au-delà du seul Sud des Etats-Unis. En 2006, c’est une embrouille avec Big Boi qui pousse Killer Mike a connaître le premier vrai tournant de sa carrière. Un virage qui, rétrospectivement, s’avérera salutaire. Lui se juge négligé par la bande à Big Boi et s’en va voir ailleurs. Du côté du Grind Time Official de son pote T.I. notamment, chez qui il signe, profitant d’un deal avec SMC Records, label de la Bay Area peuplé de vieilles gloires. Depuis, Mike a enchaîné les disques, comme pour rattraper le temps perdu et refaire son retard, non sans réellement sortir de la masse des productions moyennes qui peuplent les bacs chaque année. Avec toujours ce défaut incroyable et rédhibitoire : ne jamais parvenir à réellement se sortir de l’amoncellement de noms, de feats, d’invités qui poussent les disques à faire des grands écarts vite fatiguant. La kermesse du rap, son élément le plus emblématique et peut-être ce qui gonfle le plus, au final. Allant même jusqu’à provoquer une indigestion totale avec un double LP “Underground Atlanta” en 2009, qui rassemble une partie de tout ce qu’Atlanta peut compter comme noms incontournables sur 32 morceaux et quasiment autant de rappeurs invités.

De mon côté, c’est avec “PL3DGE” l’année dernière que je suis revenu concrètement sur Killer Mike (qui se fait appeler Mike Bigga d’ailleurs ; pas franchement plus inspiré comme pseudo mais passons…). Je n’en ai pas retenu grand-chose, sincèrement, à peine deux-trois écoutes, les apparitions de NO I.D., FlyLo ou Gucci Mane, avant de ranger bien sagement le disque au fond d’un disque dur, et ne l’ayant ressorti qu’à la faveur de ce nouveau projet en compagnie d’El-P, pour confirmer mon premier ressenti. Aussi, Killer Mike se présente pour moi comme l’archétype d’un rappeur du ventre mou, techniquement moyen sans être mauvais, au flow un peu neutre, sans une identité réelle qui se dégage, si ce n’est cette pointe politique qui ressort régulièrement et qui le fait intellectualiser un peu son rap, dont la carrière s’est beaucoup construite sur ses relations avec quelques poids lourds du genre, sans jamais être réellement parvenu à singulariser son approche ou à produire ne serait-ce qu’un véritable classique. Difficile de le jauger réellement et de le positionner fidèlement sur la carte du rap d’Atlanta. Tout l’inverse du compère avec qui il partage l’affiche en 2012, en définitive.

Et c’est bien ça qui rendait, à mes yeux, la sortie de ce projet un peu curieuse : la difficulté à réellement positionner la relation entre Killer Mike et El-P. D’autant que ce dernier ne me semblait pas posséder de véritables liens forts avec la scène d’Atlanta (si ce n’est via son compère Bigg Jus installé là-bas depuis dix ans) ; du moins sa discographie n’atteste pas l’existence d’une relation quelconque avec la planète ATliens. Après un retour timide sur le devant de la scène via le très recommandable “We Are All Going To Burn In Hell Megamixxx 3” en 2010, l’annonce d’un tout nouveau LP vers l’été 2011 commence à faire frémir les fans, au point de pousser Pitchfork, les semaines défilant, à multiplier les news et les brèves sur les moindres faits et gestes discographiques du rouquin. La hype El-P qui va aboutir par l’éclosion ces jours-ci du véritable successeur de “I’l Sleep When You’re Dead” en 2007 : “Cancer For Cure”. Evidemment,  la proximité de ce nouveau solo d’El-P va porter, en partie, “R.A.P. Music” en le maintenant sous le feu médiatique en permanence ; les deux projets s’alimentant l’un l’autre en permanence . Positionnés en sortie officielle à une semaine d’intervalle, une idée plus qu’intéressante pour démultiplier de manière exponentielle la présence des deux disques : évoquer l’un pousse à faire penser à l’autre, même sans le nommer.

“R.A.P. Music” crée donc un pont symbolique entre deux univers ayant évolué presque aux antipodes l’un de l’autre : une carrière initiée dans l’ombre d’un duo légendaire, un parcours entamé depuis les tréfonds des caves de Brooklyn et des open mic gouffriques ; deux parcours qui se croisent à un moment T, à la faveur d’une rencontre on ne sait où, on ne sait quand. Peut-être par l’entremise de la chaîne Adult Swim, dont le QG est basé à Atlanta, proche de Williams Street Records, sur lequel sort “R.A.P. Music”, et avec qui El-P a déjà collaboré via son ancienne structure Definitive Jux (souvenez-vous, “Definitive Swim” en 2007). Mais Killer Mike ne pouvait sûrement pas rêver mieux en 2012 qu’une collaboration avec El-P pour donner corps à son envie de produire au moins un album mémorable, travaillé comme il se doit, poussant plus loin les quelques idées conscientisées qu’il cherche à balancer par moments sur ses morceaux. “R.A.P.” pour Rebellious African People, ça donne le ton. Enfin ça devrait.

C’est d’ailleurs par cette fenêtre revendication / agressivité sonique que la promo autour de “R.A.P. Music” s’est presque totalement axée. On en a vu fleurir des références à Public Enemy, Ice Cube et autres N.W.A. ces derniers mois… Jusqu’à ne plus pouvoir en avaler, non merci, on est bien rempli, là. D’autant qu’en creusant dans les 12 morceaux, on se rend bien vite compte de la petite supercherie. Oui “R.A.P. Music” peut se prévaloir d’un positionnement très “politique” dans le discours qu’il véhicule. Mais de celui qui vous fait vous dire que celui qui le porte a raté un petit quelque chose. L’hymne anti-flic pourri de ‘Don’t Die’ rappelle bien sûr les envolées lyricales de la bande à Dre et Cube il y a 25 ans mais impossible de ne pas trouver ça vain. Avec le petite supplément d’énergie et d’agressivité en moins, d’ailleurs, si je me risquais à une comparaison. Et ce constat vaut, en réalité, sur la quasi totalité de l’album : Mike s’inspire d’une multitude de modèles, s’appuie sur des références rapologiques diverses, voyage aisément entre Compton, le Bronx et Port Arthur mais oublie à chaque fois de laisser une véritable marque de son passage. Même ‘Reagan’, LE passage a priori le plus ouvertement engagé du disque sonne comme une critique gentillette de la politique américaine, en dépit d’une volonté d’El-P de porter le débat sur un terrain épique assumé. Je veux dire, bon, dénoncer le “lobby du pétrole” en 2012 aussi simplement, la porte ouverte est vraiment toute proche. Tout y passe mais la mise en scène sonne factice, sans prendre aux tripes pour marquer le message au fer rouge dans le crâne. Sur ce terrain là, comment ne pas comparer, là encore, avec l’incroyable “Machine That Make Civilization Fun” du compère d’El-P, Bigg Jus, sorti récemment, qui propose une toute autre approche, bien plus affirmée et singulière celle-ci.

Mais ce que Killer Mike paie le plus, en réalité, c’est simplement le timing qui l’a fait rencontrer El-P et entamer ce projet d’un album en commun : le rouquin n’est plus vraiment au top de ce qu’il a su faire par le passé. Sans être réellement raté, “R.A.P. Music” manque cruellement de tripes. La production semble simplement partager des intentions d’un assaut sonique sans jamais réellement concrètement le démontrer. Tout est bien trop en place, rien ne dépasse, les morceaux déroulent gentiment. Un sentiment que l’on retrouve d’ailleurs, dans un tout autre genre, sur ce “Cancer For Cure” qui me déçoit au plus haut point. Depuis quand El-P est-il devenu l’un de ces petits producteurs un peu mou qui peinent à faire décoller un morceau, même avec les meilleures intentions du monde ? Evidemment, les tentatives d’aller explorer différents territoires rap se heurtent en permanence au travail passable mais pas franchement mémorable d’El-P. Et ça n’est pas la cover qui donne dans la petite rébellion b-boy premier degré qui rattrape le tout, loin de là. “R.A.P. Music” semble être maintenu dans une prison neutralisante par des chaînes qui empêchent l’album de relâcher toute sa fureur et son agressivité sur l’auditeur. Ce dernier baigne dans ces enchaînements couplet – refrain – couplet où une certaine platitude insidieuse s’installe bien vite pour finir par complètement vampiriser le disque. Les claviers couinent sans jamais gronder comme ils devraient et les breakbeats aux angles arrondis par quelques années d’errance pour chacun des 2 presque quadra’ nous font regretter qu’un tel projet n’ait pas vu le jour quelques années plus tôt.

Car “R.A.P. Music” possède en lui le potentiel d’un disque mémorable, quelque chose de singulier qui dépasse les considérations musicales pour rentrer dans le cercle des albums qui parlent plus que n’importe quel discours de 2h. ‘Jojo’s Chillin’ aurait pu être un véritable hymne old school new-yorkais s’il possédait ne serait-ce qu’un tiers du flow anguleux d’un M.C. Shan de la grande époque, si le refrain de ‘Big Beast’ ne venait pas faire retomber toute la pression mise par Mike, Bun B et T.I. sur leurs bons passages respectifs, si la tentative ouvertement UGKienne de ‘Southern Fried’ avait été portée par un producteur au feeling soul reconnu (pas vraiment le terrain sur lequel El-P peut prétendre être le plus à l’aise). “R.A.P. Music” échoue en réalité juste aux pieds de la cour des grands, de l’autre côté de la grille, chez les gamins, par manque d’une véritable qualité en plus qui ferait la différence. Une copie moyenne mais qui peine à vraiment accrocher l’auditeur un tant soi peu exigeant avec ce qu’il écoute. J’ai parcouru rapidement les arguments d’un Pitchfork et d’un Spin, où l’enflammade est carrément délirante, honteuse même (mettre au même niveau ce disque et un “Amerikkka’s Most Wanted” ou un “Fear Of…”, sérieusement, c’est au moins un retrait à vie de la carte de presse, ça…) mais je crois que les 5 lignes du NME sont  plus fidèles à ce que j’entends dans ce disque : une volonté de faire, sans jamais y arriver complètement. Une déclaration d’intention à moitié réalisée.

Alors on se retrouve avec cet album un peu entre-deux, jamais totalement à l’ouest, évitant les passages de mauvais goûts (coucou “Cancer For Cure”), mais n’élevant jamais le débat très haut. Et surtout, surfant beaucoup trop sur l’image véhiculée par les médias ces derniers mois pour exister, sans jamais prouver qu’il est capable de s’élever au niveau de ceux à qui il prétend succéder. Quand la musique commence à sonner comme un machin qu’on enroule et qu’on déroule pour s’occuper 5 minutes, c’est qu’il y a quelques chose qui cloche. Et je peux vous assurer qu’il m’a fallu bien de la volonté pour m’investir autant dans l’écoute de ce disque, dans toutes les situations possibles ces dernières semaines pour enfin parvenir à tirer quelque chose qui touche à l’essence même du disque. La musique sur laquelle je me concentre en majeure partie doit me bouger, au-delà des considérations d’avant-garde, expérimental, original et j’en passe.

J’ai un véritable appétit de supplément d’âme dans la musique que j’aborde. Je ne nie pas toute la bonne volonté et l’application d’El-P et Killer Mike dans la réalisation de “R.A.P. Music” mais coupler un mimétisme trop flagrant d’autres grandes références du genre à un manque d’inspiration sur certains passages, passant le tout dans un filtre un peu neutralisant, comme pour déranger mais pas trop, me semble être le signe d’une absence de ce petit quelque chose qui fait la différence. Bien sûr, j’aurais pu m’arrêter à ce constat : un disque moyen, qui ne me touche pas, passons. Mais le sentiment d’avoir été la cible d’un discours autour d’un disque qui n’existait en réalité pas me rend plus amère que si j’avais simplement consacré du temps à un disque pas vraiment mémorable. Et si je suis quelque peu intrigué par la direction que semble prendre El-P sur les deux récents disques qu’il a sorti, je me dis qu’au final Killer Mike fait dans la continuité de ce qu’il a proposé depuis une dizaine d’année : rien de vraiment mémorable mais du moyen / moyen-bon selon les morceaux. Pourtant je ne peux m’empêcher de conserver ce petit bout de tristesse quand je regarde ce “R.A.P. Music”. Killer Mike a tenté de proposer quelque chose d’original et singulier, en collaboration avec un producteur singulier et hors du commun. La volonté, elle est là, on peut la sentir. Mais aucun des deux n’est parvenu à tirer l’album dans une direction ferme et décidée. Lorsqu’on gratte un peu la surface, la peinture s’écaille vite et on voit de quoi l’album est réellement fait. Alors on continue d’errer dans une zone d’entre-deux où seuls les auditeurs les plus facilement impressionnables par un synth-bass qui ronronne, un environnement vaguement lo-fi et un flow maîtrisé mais vaguement ennuyeux se feront happer. Les autres auront simplement l’impression de s’être fait rouler dessus par un bus en papier-mâché avant de reprendre leur route, comme si de rien n’était ou presque.

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