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MISS BALA : beauté volée

Sortie le 2 mai 2012 - durée : 1h53min

Par Thomas Messias, le 02-05-2012
Cinéma et Séries

On a déjà parlé du plan-séquence, de sa terrible force ou de son effarante inutilité, tout dépendant en fait de l’objectif fixé par le cinéaste. Envie d’esbroufe ou quête d’immédiateté : ce sont les raisons profondes de ce parti pris filmique qui déterminent l’intérêt de ce dispositif. Avec Miss Bala — qu’on pourrait traduire par Miss Balles —, on ne sait jamais vraiment sur quel pied danser : dans ce déferlement de plans-séquences, il y a à boire et à manger, du grandiose et du futile, mais guère de cohérence. Côté mise en scène, Gerardo Naranjo a vraisemblablement manqué de discernement : il alterne séquences en caméra subjective, déambulations labyrinthiques dans des couloirs, frénésie du reportage de guerre, sans autre attrait apparent que de varier les plaisirs et de surprendre à grands coups de surenchère visuelle. Étudié bribe par bribe, le film a plutôt de la gueule, captation saisissante d’un état d’urgence individuel et collectif ; la vision d’ensemble, elle, fait état de la relative immaturité de la mise en scène.

Cependant, on n’ira pas jusqu’à parler de racolage : Naranjo ne se prend ni pour l’horrible Michael Bay ni pour le génial Alfonso Cuarón, et il semble sincèrement persuadé d’effectuer les meilleurs choix pour magnifier chaque scène. On a l’impression de voir un artisan ambitieux se brûlant les doigts avec un outil dont il maîtrise la technique mais dont il ne saisit pas la portée. À cette réserve près, Miss Bala est un film assez admirable, reflet de l’instabilité totale d’un pays pris entre deux continents, deux cultures et mille problèmes d’identité. Le scénario co-écrit par Naranjo est d’une solidité absolue : il montre l’inéluctable descente aux enfers d’une jeune femme mexicaine belle et innocente victime d’un système qui finira par se retourner contre elle. Aspirante reine de beauté — elle se prépare pour le concours de Miss Baja California, Miss Basse Californie —, Laura Guerrero finit par devenir l’objet d’un clan de narco-trafiquants désireux d’abuser de sa beauté et de sa faiblesse pour parvenir à leurs fins. Convoyeuse de cadavres, passeuse d’argent sale ou femme fatale malgré elle, Laura n’a d’autre choix qu’encaisser les coups et accepter les missions successives, avant tout soucieuse de sauver sa peau et de préserver les membres de sa famille.

Les montées d’adrénaline sont nombreuses : cernée entre ses oppresseurs et une brigade des stups bien déterminée à ne rien lâcher, Laura doit à la fois exécuter les tâches qui lui sont confiées et se mettre autant que possible à l’abri. Cruelle condition que celle de ces femmes mexicaines ne disposant que de deux alternatives : tirer profit de leur beauté ou s’enfoncer dans un asservissement de plus en plus avilissant. Parfaitement campée par une Stephanie Sigman aussi belle que convaincante, Laura est une héroïne moderne, un modèle de courage qui choisit de s’enfermer dans une carapace glacée pour ne rien laisser transparaître de sa terreur. Profondément pessimiste, le film montre un Mexique trop fatigué pour se faire encore la moindre illusion sur son avenir. Parvenant in extremis à participer à l’élection de Miss Baja California, Laura livre une prestation fantomatique : d’abord parce qu’elle a vécu quelques journées traumatisantes, ensuite parce qu’elle a conscience qu’une victoire éventuelle ne serait que le résultat d’une corruption exercée par ses nouveaux protecteurs sur l’organisation du concours. Jeune, belle, mais sans espoir.

Dès lors, Naranjo n’a nul besoin de disserter pendant des heures sur la triste condition de son pays ; il laisse le Mexique s’affaisser encore un peu plus sous le poids d’une gangrène dévorante. Aussi boiteuse soit-elle, sa mise en scène témoigne de la vitesse vertigineuse à laquelle les choses se dégradent. Cette crise économique et morale ne cesse de prendre ses aises, et l’ébouriffante tristesse de Miss Bala en est un brillant indicateur.