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Gravenhurst, la défiance du corps

A propos de The Ghost in Daylight

Par Benjamin Fogel, le 26-06-2012
Musique

Les joues un peu joufflues, la mèche très anglaise et des lunettes qui ont dû souvent être brisées lorsqu’il était enfant… Rien que dans son physique et son regard, toute une histoire se devine chez Nick Talbot. On devine combien il s’agit d’un type à la fois sympathique et peureux, un type qui manque de confiance en lui, et qui en même temps a une conscience aigüe de ses capacités.

Depuis 2007 et le post-rock noisy de The Western Lands, Nick Talbot s’était comme renfermé sur lui même. Ce n’est pas tellement que ses peurs le paralysaient au point de ne plus pouvoir avancer dans la vie, mais indéniablement, elles l’empêchaient d’avoir la force de se battre. Un projet comme Gravenhurst demande de l’implication et du travail ; il impose des contraintes et consomme de l’énergie ; et de l’énergie justement, Nick Talbot n’en avait plus. Il avançait juste à tâtons (le projet Exercice 1, la tournée avec Paul Smith) . Ses peurs, si on peut les diviser en trois, elles se rapportent toujours au corps et à l’être. En premier, il y a la peur de perdre sa voix. En durcissant le ton en 2005 avec Fire Distant Buildings, Nick Talbot s’est retrouvé obligé d’interpréter chaque soir des morceaux plus rentre-dedans où sa voix n’était jamais ménagée. Chez la majorité des chanteurs, il s’agit d’une simple routine, et Gravenhurst n’a jamais joué du hardcore au point de s’en arracher les tripes, mais chez Nick Talbot, ça va déclencher une succession d’infections à la gorge, un truc qui va petit à petit tuer ses mots et lui retirer toute envie de tourner. Ensuite il y a le virus d’Epstein Barr, une saloperie qui, on l’imagine, a dû engendrer une mononucléose infectieuse carabinée qui a handicapé l’homme de longs mois. Et enfin, il y a la défiance envers son cerveau et ses aptitudes créatrices, plus communément appelée angoisse de la page blanche. La page blanche, tout le monde connaît, mais chez Nick Talbot, ce n’est jamais un caprice de diva ou une paresse intellectuelle, non c’est une réelle remise en question. Auparavant, chaque album de Gravenhurst comportait des chansons écrites à l’époque de Assembly, son premier groupe de rock qu’il avait formé avec son ami Lou, avant que celui ne décède dans un accident de voiture. Non seulement il n’y avait pas besoin de repartir à zéro, mais, qui plus est, il y avait aussi cette impression de ne pas être complètement seul face à l’album. Mais le stock s’est épuisé, et pour The Ghost in Daylight, il fallait tout inventer ; il n’y avait plus la moindre petite brique déjà posée.

Ces peurs, elles ne reflètent pas une faiblesse face à la vie, elles sont juste la conséquence des cartes que Nick Talbot a eues dans les mains. La fragilité qui habite ses nouvelles chansons, c’est avant tout la fragilité de son corps qu’elles transcrivent. La peur de partir en tournée et de ne pas réussir à assurer chaque concert en entier, la peur de se dégrader la santé en poursuivant sa passion, la peur d’être trop fatigué, d’être trop faible pour affronter le quotidien, pour traverser les pays, pour assurer les cycles de promos, toutes ces peurs que le corps ne suive pas, qu’il vous lâche d’un moment à l’autre, voilà des choses que je ne peux m’empêcher de ressentir à l’écoute de The Ghost in Daylight. Je ne vais pas refaire de parallèle avec mes propres expériences, mais ne pas pouvoir compter sur son corps, sur ses organes, sur ses sens, tout ça sur une longue période, c’est un truc qui vous marque à jamais. Après ça on ne peut jamais plus se confronter au quotidien avec l’intime conviction qu’on va le bouffer ! Non on peut simplement faire les choses dans son coin, de la manière la plus discrète qui soit, en espérant que le fil ne cassera pas, que les soucis resteront cette fois derrière nous. J’y pense à chaque fois en écoutant The Ghost of Saint Paul : Small photograph of a child, a familiar fear in his eyes, ambitions and weakneses… Ce n’est surement pas pour rien si l’album est dédicacé à ses parents (ceux qui le poussent à continuer la musique lorsque ses peurs l’assaillent) et que Islands soit dédicacée à la mémoire de Trish Keenan, une autre musicienne qui ne pouvait pas faire confiance à son corps.

Nick Talbot ne se met pas à nu, il est à nu ! Retenir ses émotions, les noyer dans le bruit, ça ne sert plus à rien. Sur The Prize, pour la première fois, il cède à l’appel des cordes, mais il ne craint plus l’emphase, il n’a plus honte de la beauté ; avoir honte de la beauté, c’est bon pour les gagnants et les braves ; les plus faibles, eux, ne peuvent que la contempler avec le sourire. The Ghost in Daylight est un album dépouillé parfaitement illustré par des titres folk où ne se manifestent que l’homme et sa guitare (Three Fires). Lors des premières écoutes, on sent parfois l’ennui poindre, mais justement cet ennui qui rôde autour de l’album est l’une de ses forces. L’ennui, la solitude, la noirceur et, à nouveau, les peurs, ce sont des choses avec lesquelles on vit, des choses qui font partie de The Ghost in Daylight ; on ne truffe pas ses chansons de moments de tension factice lorsqu’on a passé plusieurs mois dans un état d’esprit léthargique, jamais dépressif, mais toujours inquiet.

La production du disque transmet également ses sentiments. A quelques rares exceptions (quelques parties de batterie), tout The Ghost in Daylight a été enregistré par Nick Talbot, seul chez lui. Au delà d’illustrer une fois de plus la perfection sonore que peuvent atteindre les projets en home studio, la prod laisse surtout planer le sentiment d’un espace à la fois très confiné et très ouvert en lui même ; il y a à la fois beaucoup et pas du tout d’espace entre la voix et les instruments. Du coup, on pourrait imaginer que ce cinquième album est celui de la sérénité retrouvée, qu’il s’agit d’un projet intimiste et égoïste où l’auteur s’est coupé du monde pour mieux s’en protéger. Mais au contraire, The Ghost in Daylight est certes une manifestation de son univers personnel, mais la sérénité elle n’est que de façade. Derrière les mélodies magnifiques de la guitare, on entend souvent des drones, des déformations, de discrets synthés qui font peurs (The Foundry). C’est un album qui montre les grains de sables qui enrayent la mécanique parfaite des corps. Le corps n’est pas propre, la musique ne doit pas l’être non plus.

Ces petits riens, ces petits détails auxquels nous ne prêtons pas attention, mais qui sont là et qui peuvent à chaque instant créer la distorsion, ce sont eux les vrais fantômes qui apparaissent dans la lumière.

>> Références :
Entretien : À la lumière de Gravenhurst par Paul-Ramone sur Pinkushion
Gravenhurst – Interview par Catherine Guesde sur Pop News

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