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L’impossible mariage entre la musique électronique et la vidéo

À propos du festival Mutek de Montréal

Par Nathan Fournier, le 08-06-2012
Musique

Impossible de savoir vraiment pourquoi la musique électronique a toujours voulu se rapprocher de l’art contemporain, de la projection et des images animées en particulier. Alva Noto devient Carsten Nicolai, un artiste renommé pour ses œuvres visuelles. Pourquoi le visuel doit-il forcément faire parti d’une expérience auditive ?

Il y a d’abord un constat : la musique électronique – et d’autant plus la techno, qui n’a pas la danse comme idéal – est une musique sans texte, une musique statique. Pas de performance, juste un ou deux artistes derrière quelques machines. Pas besoin de lever les bras ou d’essayer d’ambiancer quoi que ce soit, le DJ demeurera toujours un petit point statique et concentré sur ses platines et son mix. La musique n’a aucun support : elle n’offre pas de schéma narratif, elle reste dans l’air. Parce que cette musique est aride et presque autiste, qu’elle ne se matérialise pas autrement que dans un rapport auditif avec le spectateur, elle ne se prête pas forcément au live. Néanmoins, c’est là qu’elle y trouve toute sa puissance, qu’elle atteint une force rare par le volume, les réactions d’une foule et ses ouvertures et ses décrochements. La musique n’est plus enfermée par l’enregistrement, elle a une marge de manœuvre, elle peut s’en aller là où l’artiste le désire.

Autre raison, la proximité technologique supposée entre la musique électronique et les arts visuels. Parce que la techno est faite par des machines, les machines deviennent le point central de tout ce qui entoure les sons : des visuels futuristes et abstraits aux projections utilisées pendant les concerts. Comme si l’art numérique était de facto dans le champ de la musique électronique. Comme s’il y avait « un univers » électronique et que les deux disciplines s’associaient de soi parfaitement.

Les artistes, les DJs ont cru bon de devoir palier à ce manque de support. Il fallait donner une matière tangible à cette musique froide et austère live. La rendre plus vivante en projetant des choses derrière, devant ou sur les côtés. Il faut chercher le projet le plus fou, le plus proche de l’art contemporain possible, le plus alambiqué. Il faut essayer d’intégrer le spectateur dans cet univers, dans un monde nouveau codé en binaire. Interaction et performance totale sont les mots qui reviennent le plus souvent. Il faut toujours que ce soit plus que de la musique. Comme si la musique en elle-même ne suffisait pas, et que le spectateur ne pouvait pas se satisfaire seulement de la musique.

Alva Noto propose par exemple une projection très didactique où l’on voit chaque son se créer, chaque glitch nous perforer les oreilles. Il brise alors le miroir et montre l’envers du décor, ce qu’il voit lui, ce qu’il est en train de faire concrètement. Il dessine alors un support à sa musique. Visuellement, ça n’a pas grand intérêt, on en revient toujours plus ou moins à des flashs et des ondes qui vont trop vite pour nos pauvres yeux, des barres qui sautent et qui clignotent encore et encore.

Amon Tobin a tenté d’aller plus loin, avec la projection mapping, sa structure comme un vaisseau spatiale. La performance est totale, mais elle est au final plus impressionnante visuellement que musicalement. Les exemples sont nombreux et le constat est souvent le même : les deux ne vont pas vraiment ensemble.

Les nombreux festivals d’arts numériques semblent alors dans le faux. Ils se basent sur cette proximité présupposée entre les deux disciplines, alors qu’en réalité elle est artificielle. L’année dernière, c’était le festival Mutek, à Montréal, qui offrait la première du Isam d’Amon Tobin. Cette année, c’est Monolake et Jeff Mills qui faisaient office de tête d’affiche. Et la différence entre les deux sets s’avère être un excellent exemple des défauts de la projection visuelle systématique pour agrémenter la musique électronique.

Monolake commence avec bonne humeur et revendique complètement le côté intello de sa musique. La musique est bonne et fait vibrer la salle, au sens propre du terme. Derrière, de nombreuses formes s’animent, rien de distinct, juste de l’abstrait. Le mouvement est perpétuel, informe, et semble complètement déconnecté de la musique elle-même. Les deux arts entrent dans une longue bataille. On arrive très vite au point où la « valeur ajoutée » du live dessert la musique, le cœur-même du spectacle. Les visuels frôlent le ridicule de l’écran de veille Windows. Et, l’air de rien, on se retrouve absorbé par la vidéo alors qu’on était là pour le son. La musique ne suffit pas, il faut divertir par du visuel. Le rendu est au mieux inutile, au pire raté. La musique de Robert Henke passe au second plan, impossible de se concentrer sur ce qu’on entend à cause de ces formes qui bougent derrière.

Bien sûr, cela ne s’applique pas à Monolake seulement. Hélas, la majorité des tentatives sont un échec. Jamais à la hauteur des attentes, toujours trop cheap. Peut-être que les attentes sont trop grandes, mais jamais – à l’exception du Isam d’Amon Tobin peut-être – les deux champs s’accordent pour amener la musique plus loin. Il y en a toujours un qui prend le dessus et détruit l’autre. Et c’est souvent le visuel, à cause du mouvement perpétuel souvent utilisé.

Jeff Mills arrive alors sur scène, fort de son nouvel album concept teinté de science-fiction et de conquête du ciel. Une grande photo de la lune derrière lui, une phrase parfois, pas plus. Les photos s’enchaînent doucement, se fondent les unes dans les autres, mais jamais le mouvement de l’image ne prend le dessus. L’image est statique et c’est bien la techno lourde et intense de Mills qui demeure le cœur de la performance. Les visuels ne sont là que pour poser un cadre, léger, qui n’enferme pas la musique dans une posture futuriste et technologique. Jeff Mills nous raconte sa conquête de la Lune mais n’impose aucun schéma narratif. La Lune est là, et c’est tout. On prend la musique et on en fait ce qu’on en a envie. On se raconte l’histoire qu’on veut. On pourrait penser que le visuel étant figuratif, il dresserait un cadre beaucoup plus limitatif, qu’il briderait la musique. C’est pourtant l’inverse qui se produit, la musique explose complètement parce que nos yeux ne sont pas distraits par le mouvement des visuels. Là où Monolake a raté son pari, Jeff Mills trouve une formule qui marche. Le visuel s’efface au profit de la musique. C’est bien la musique qui raconte des histoires et non pas les images.

Pas de prétention mal placée chez Jeff Mills, pas de volonté de mêler ce qui semble impossible à allier. La musique électronique n’est toujours pas arrivée à utiliser le visuel en sa faveur, mais Jeff Mills semble annoncer une nouvelle voie. Sûrement pas la plus impressionnante, mais une voie efficace qui n’élimine pas la musique.

Au final, la meilleure solution reste de faire comme Autechre. C’est peut-être un aveu d’échec, mais le noir absolu reste ce qu’il y a de plus efficace pour appréhender toute l’ampleur de la musique électronique, sa puissance et son potentiel live.

>> Réaction et prolongation sur Substance M avec l’article Musique électronique et Live.