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Brilliant Shape of Things

Par Ulrich, le 25-07-2012
Musique

Dehors règne un froid humide qui vous ronge la peau et les os. Je sens ses lames humides me transpercer. J’avais juste envie de sortir pour acheter ces quelques packs de Kilkenny.
Respectueux des us et coutumes du temps, le samedi consent à dissiper d’un coup de vent cette gêne qui me lacérait le visage. Je passe devant un petit disquaire chez qui je n’ai jamais posé les pieds, les yeux et les oreilles. Quelques sons filtrent malgré tout de l’intérieur et je reconnais les quelques notes d’Underpass de John Foxx.

John Foxx est une star discrète, de celle qu’on oublie d’inviter régulièrement pour raconter une bonne blague ou apporter son témoignage dans un documentaire dédié à la musique électronique, au krautrock ou plus prosaïquement au post-punk. Avec une carrière longue de bientôt 40 ans, John Foxx passe les années sans se soucier de sa notoriété et des modes. L’un des pères de la musique électronique moderne continue à infuser tranquillement sa musique. Le qu’en dira-t-on ne lui a jamais posé de problème et produire un album quasiment par an non plus. Une aussi longue carrière, une reconnaissance toute relative du grand public éreinteraient n’importe quel musicien. Imaginez un Green Gartside dans cette position et nous aurions eu depuis longtemps le droit à une oraison funèbre. Non, les problèmes d’égo, la mégalomanie, John Foxx n’a jamais connu, il a laissé ça à Midge Ure lorsque celui-ci reprit en main Ultravox, le groupe qu’il avait fondé en 1974.

Paradoxalement, on doit à John Foxx indirectement l’orientation synth pop d’Ultravox. Laissant de côté, le son rêche et résolument punk des deux premiers albums, Systems of Romance est le disque qui fit basculer un groupe vers la notoriété et permit à une génération de plonger sans complexe dans la synth pop et à son avatar, New Romantics, de naître. Premier disque du genre, pierre angulaire du groupe, Midge Ure se reposa sur cet album pour en transformer radicalement le son. Avec la grâce d’un éléphant dans un magasin de porcelaines, l’exocet Ultravox pourvoya la planète New Wave avec des titres comme Vienna ou encore le larmoyant Dancing With Tears In My Eyes. Une nouvelle histoire commençait qui n’avait plus rien à voir avec celle originelle de son fondateur.

De disques médiocres en prestations moyennes, les portes crépusculaires se refermèrent sur le mouvement des garçons coiffeurs, laissant dans la bouche un sale arrière-goût de whiskey frelâté. Tandis que filaient en moi les années pré et post-punk, cette aventure orgiaque de sons électroniques s’éteignait doucement dans ce tombeau pavillonnaire qu’était devenue la musique des eighties. Le miroir était brisé et le reflet d’une époque désormais en ruine ne renvoyait que des sons déformés : Ultravox, avec ou sans point d’exclamation, disparaissaît dans la brume, traînant derrière lui l’ombre de ses succès passés.

Il pleut, je suis de mauvaise humeur, je regarde la télé. Midge Ure joue le Masterchef avec Glenn Gregory d’Heaven17. En arrière-plan, un hydre à sept têtes se dessine. Je cligne des yeux plusieurs fois et à mes oreilles défendants, une génération de musiciens oubliés renaît du tube cathodique : Spandau Ballet, Duran Duran… Tout ce que la New Wave anglaise a fait de pire est portée aux nues par les deux chanteurs. Lorsque Claudia Brücken de Propaganda apparaît dans un plan à trois, mes oreillles et mes yeux crient pitié. J’éteins brutalement l’écran, me câle dans mon fauteuil, me relaxe et ferme les yeux. Enfin.

Le hasard fait-il si bien les choses ? A deux mois d’intervalle, John Foxx sort avec son nouveau groupe The Maths un nouvel album ainsi qu’Ultravox. Chacun dans leur style caractéristique : d’un coté, la musique électronique expérimentale composée avec Benge et de l’autre, celle pop paillette de Ure. Le temps semble avoir figé Ure dans du formol : après dix-huit ans de silence, le curseur du son Ultravox n’a guère bougé. On y retrouve les mêmes ingrédients : la voix emphatique de Midge Ure, le lyrisme débordant de Bill Curry au clavier… Le retour à la lumière de ce style pompier n’inaugure rien de bon. Derrière Brilliant, je crains de voir la queue des vieux garçons coiffeurs s’allonger brusquement, avec en perspective un pur cauchemar : le revival des New Romantics.

A la luxuriance du propos Ultravox s’oppose la pop électronique ciselée et précise de Foxx. Là où Ure glorifie leur son passé à coup de synthpop dégoulinante, Foxx continue à dépoussier son matériel et à moderniser cette musique électronique dans laquelle il nous a toujours baignés : une musique réflexive, opiniâtre, exigente, jouant avec nos sens – la pop n’étant ici qu’un prétexte et non une fin en soi. Sur The Shape of Things, John Foxx crée l’illusion d’une musique pop électronique parfaite… qui vole vite en éclat dans un jeu de miroir troublant.

S’enchaine à la magnificence d’un morceau comme Rear-View Mirror, l’oppressant et très ballardien Talk puis le dansant September Town… et ainsi de suite.

The Shapes of Things réinvente complètement la synth pop. Le son d’Ultravox en 2012 serait celui-ci si John Foxx était resté dans le groupe. Un groupe véritablement donc brillant, portant aux nues la musique pop électronique.

Mais en guise d’amuse-gueule,  nous nous contenterons de Brilliant, le meilleur album de synthpop de l’année.

Et oui…

Car, contre toute attente, ce retour aux affaires d’Ultravox restera la bonne surprise musicale de l’année. Dans un environnement musical saturé par le son des 80’s, les anciennes gloires du post-punk rappellent qu’on ne fera jamais aussi bien qu’elles. Au tour de Ure de remettre les pendules à l’heure : la synthpop commerciale, c’est lui et pas un autre.

De fait, et avec l’âge, Ure s’est bonnifié et sa musique aussi. Sa voix a vieilli, une bonne pâtine la recouvre, on sent ici et là les fêlures de la vie. A 63 ans, Midge Ure n’a plus à forcer son talent naturel de chanteur. Sur Brilliant, il en fait ce qu’il veut, la pose comme il la souhaite, en joue à merveille. Ainsi, la musique et les nouveaux titres y gagnent en chaleur et en profondeur là où il y a 30 ans, l’album Vienna, par exemple, agaçait par son côté factice et froid. Les brisures dans la voix de Ure sur le morceau éponyme apportent une pointe de sincérité qui n’existait pas en 1980.

Dans les temps anciens, le printemps marquait la renaissance des vieilles choses abolies et les sous-bois de la musique frémissaient d’un retour à la lumière. Il est temps de fuir, de clôre ce chapitre. Encore un verre. John Foxx, le regard clair et amical, explique dans le documentaire Synth Britannia son amour pour le synthétiseur analogique ARP odyssey. Le son vintage envahit le salon et me replonge dans mes souvenirs. Une gorgée. Encore une autre. La synthpop en intra-veineuse. A distance, un vrai choc de Titans a commencé. Qui d’Ultravox et de John Foxx aura cette fois-ci la peau de Méduse ?