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ll y a trois ans, je rentrais dans le café de Flore pour faire la première interview de toute ma vie. Elle portait sur le projet YAS porté par Mirwais et Yasmine Hamdan. J’avais très peur mais la chance était avec moi, je suis tombée sur deux personnes adorables.

Quand j’ai vu passer les mails promo sur le nouvel album de Yasmine, j’ai sauté sur l’occasion : grande première pour moi, interviewer pour la seconde fois un artiste. Je ne le ferai pas pour tous, loin de là mais je suis ravie que cela soit Yasmine parce qu’elle représente quelque chose, pour moi, qui se situe au delà de la musique… Elle reste la première femme, la première arabe à avoir posé les pieds sur la lune (clip de Yaspop).

Il y a de l’arabe, de l’anglais, une sirène, des poissons et des fleurs, son prénom et son nom. Elle au milieu, le corps en mouvement, la tête qui se renverse en arrière, sexy, noir et doré, sensuelle et puissante. Et lorsque tu retournes le livret, il y a les paroles en anglais et en français, des sirènes à nouveau et des symboles que je ne comprends pas. Cette incompréhension est anecdotique parce que la musique a cela de magique, d’où qu’elle vienne, elle reste universelle…

L’album s’ouvre sur une ouverture quasi cinématographique, comme une espérance, un jour nouveau qui se lèverait ; la voix s’élève « Si seulement tu m’épargnais (…) mon cœur n’oublie jamais le temps passé puisque depuis, il me sent souffrir ». La mélancolie de Yasmine incarnée dans une chanson des années 30, interprétée à l’époque par une chanteuse juive égyptienne.

Yasmine Hamdan creuse le même sillon depuis des années. Ceux qui annoncent – ils pourraient même s’exclamer enfin ! – qu’elle a fait un album de reprises de chansons connues au Moyen-Orient racontent des bêtises. C’était déjà le cas sur YAS et même avant. Son travail est d’abord et avant tout expérimental. C’est une recherche permanente. Yasmine est de partout et de nulle part et ses ancrages géographiques se font, entre autres, par la musique. Lorsqu’elle a débarqué à Paris, elle trimballait plus de kilos de cassettes audio que de vêtements, 80 kilos supplémentaires à négocier âprement. Cette manie qui se perpétue année après année, cette manie de sauvegarder des cultures à travers des cassettes audio se décide au Liban : Yasmine a débarqué là-bas ado et elle ne comprenait rien à ce pays ; la musique était un moyen d’appréhender ce qui lui échappait. Au cours de ses pérégrinations, elle biberonne aux films égyptiens, séries koweitiennes, chansons populaires libanaises et tant d’autres objets culturels. Elle embrasse tout cela, retient quelques chansons et la méthode est toujours la même : choisir quelques passages, créer des refrains si cela s’avère nécessaire, chanter dans une langue plutôt que dans une autre pour que le son soit exactement comme elle le souhaite : fluide et intentionnel. Elle est même capable de passer d’une langue à l’autre dans une même chanson parce que cela a plus de sens pour elle du point de vue sonorités. Rien n’est jamais fait au hasard avec Yasmine.

« Je fais naturellement ce que je pense être mon langage. La langue arabe est internationale et je n’ai pas besoin de me battre pour démontrer que je le suis, arabe. Je circule librement en musique alors que le monde est de plus en plus sectaire. On érige toujours plus de frontières alors que tout se globalise. Le conservatisme vient du milieu professionnel. Je ne supporte pas le terme world music. Je ne fais pas de la world music ! C’est un terme discriminant, voire raciste. On dirait qu’être arabe m’oblige à coller à une identité culturelle, me limite géographiquement et musicalement. Je suis libre, j’entends faire exactement ce que je veux, ce n’est pas une lutte Orient/Occident, je passe de l’un à l’autre sans me poser de questions. Je viens d’une région fragmentée, je le suis aussi ».

Il n’y a qu’à voir les réactions de certains critiques qui n’ont rien trouvé de mieux à dire : « Non mais c’est ou trop (comprenez, c’est chanté en arabe) ou c’est pas assez (comprenez, c’est pas assez folklorique) ». On croit rêver ! Yasmine fait de l’électro et chante en arabe. Mieux, elle se permet même dans cet album d’aller traîner ses baskets du côté de la folk américaine. Ce disque n’est pas un voyage, c’est une errance : une errance entre le Koweït, le Liban, l’Egypte et la France et j’en passe ; une errance entre électro, pop-rock et folk et j’en passe. Les amoureux de l’enfermement repasseront.

Yasmine Hamdan chantait déjà Beirut du temps des Soapkills. Cette chanson des années 40 était fredonnée par sa tante qui se moquait de sa nièce, des jeunes libanais qui avaient tendance à s’occidentaliser à mort à l’époque ; Soapkills (premier groupe de Yasmine) était un groupe d’après-guerre, les mœurs changeaient et la tante, taquine, se servait des mots de Omar El Zenneh pour mettre en boîte la jeune fille. Beirut, c’est aussi une chanson politique, politique non dans la revendication, mais tout en douceur. Les chansons de ce coin du monde sont rarement frontales mais elles en disent tout autant et Yasmine la chante très lentement contrairement à la version d’origine.

« Je ne pourrais plus jamais retourner là-bas : au Liban. C’est quelque chose de symbolique, je serai toujours en exil. J’ai besoin pour rester libre de vivre dans un pays neutre. Paris est une évidence et j’ai réussi à construire quelque chose ici ».

Yasmine est à un point de sa vie, avec cet équilibre parisien, où elle s’est lancée toute seule dans un disque. Certes, Marc Collin (Nouvelle Vague) l’a accompagnée tout du long avec ses suggestions et son talent mais elle voulait absolument contrôler l’album. YAS était une superbe collaboration, néanmoins, Mirwais savait parfaitement ce qu’il voulait et, par ses compétences, fatalement dirigeait. C’était au tour de Yasmine Hamdan d’imposer ce qu’elle voulait.

Il n’y a pas que des reprises de vieilles chansons dans cet album, il y a aussi des créations ; en général des paroles de Yasmine et des musiques en collaboration avec Marc Collin. Samaar est écrite en bédouin et elle voulait quelque chose de très pop. Elle écoute beaucoup de musique soudanaise et somalienne, elle aime ces gammes racées, ces teintes presque hindoues, presque chinoises par moments. C’est une chanson légère et érotique : une femme se remémore une nuit d’amour avec le regard très naïf que l’on a au début d’une histoire. Baaden, elle, est chantée en dialecte nazarethien, elle est aussi beaucoup plus occidentale musicalement. Elle conte une femme qui manipule un homme, la mauvaise foi chevillée au corps, ironiquement capricieuse. Son ancien comparse des Soapkills lui a écrit les paroles de Shouei, petite merveille de folk aérien. Il y a aussi Nag (une de mes préférées) : chanson beaucoup plus pop-rock, Yasmine écoutait beaucoup de Bob Dylan au moment de la composer. Et toujours une histoire de femme à mi-chemin entre la victoire et la souffrance, une histoire de femme amoureuse et malicieuse.

Et c’est ça l’histoire avec Yasmine, il est souvent question de femmes avec elle. Elle revendique tellement sa liberté que je n’arrive jamais à l’envisager comme une simple artiste : pour moi, avec elle, on dépasse l’art pour arriver au féminisme et à la politique ou plutôt on revient à l’essence même de ce que doit être finalement l’art : c’est toujours quelque part politique.

Alors Yasmine ose : les femmes sont libres dans ses chansons, souvent ironiques et sensuelles : Ya Nediya (MA préférée !) en est l’exemple parfait. On part d’un vieux poème koweitien, devenu un générique de série. Yasmine applique sa méthode : elle casse complètement la structure si besoin, elle garde des couplets, crée un refrain, obsessionnel cette fois-ci pour susciter le désir ; de l’électro pour le son et au final on a un morceau extrêmement érotique. Pas besoin de comprendre les paroles, la voix de Yasmine psalmodie, lascive, et l’autre voix – toujours la sienne, en arrière-plan, grave, plus catégorique – interrompt la mélopée par endroits. Les percussions font monter la température d’un cran et le refrain s’incruste dans votre peau.

C’est quand on discute de ce morceau que Yasmine, je crois, pose vraiment les mots justes sur sa démarche :

« Je suis une voleuse de grand chemin. Je fais du kidnapping. Je vole à droite, je crée à gauche, je brise de vieilles chansons pour les faire renaître aujourd’hui. Je suis en plein cambriolage vintage ». Et elle rit quand elle me dit ça…

Alors, Irss, chanson populaire koweitienne, elle y chante et elle y parle presque, voix de tête et voix beaucoup plus grave, aux rythmes racés, déconstruite et reconstruite. Il y a Ya Nass, chanson toujours koweitienne de la grande Aisha Al Martha, reine du Samri ; on entend presque le temps qui passe dans cette chanson, les secondes s’égrènent et le temps se fige juste pendant le refrain. La mouch est inspirée d’un chant de Mohamed Abd Elwahab, chanteur égyptien et cette fois-ci, Yasmine Hamdan coupeuse de « têtes » a gardé toute la structure. La voix se fait grave et le restera. Bala tantanat est une chanson politique des années 40 et elle a profité qu’elle était tombée dans le domaine public pour s’en emparer. Elle clôture l’album : on entend juste la voix démultipliée de Yasmine chanter doucement sur une jolie ballade folk. Je crois que ce n’est pas par hasard qu’elle termine par une chanson politique…

« J’ai besoin de créer des poches de résistance, je crois que l’art, la musique crée des poches de résistance. Cela rapproche les gens, je ne supporte ni l’autorité ni ce qui est proclamé comme vrai. Je suis anti-dogmes et tout ce que je sais, c’est que les gens redeviennent humains grâce à l’art ».

Yasmine Hamdan, ravissante voleuse d’Occident, en perpétuel exil, libre, si libre, gentleman, genre d’Arsène Lupin du Moyen-Orient, révoltée et mélancolique, reine du kidnapping musical continue son chemin. J’étais heureuse de la croiser avant qu’elle ne s’envole à nouveau et j’espère la rencontrer à nouveau pour son prochain hold-up : je la dénoncerai encore avec grand plaisir…

>Ecoute spotify ici
>Si vous êtes curieux, la première interview est ici

https://www.youtube.com/watch?v=fYd7IlCnoNc