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Auparavant, Ariel Pink créait des chansons comme certains s’inventent des amis imaginaires. Sa chambre devenait un laboratoire secret au sein duquel personne ne pouvait rien contre lui. Cela ne consistait nullement en un journal intime – Ariel Pink ne cherchait pas à extérioriser, au travers  de la musique, les problèmes de sa vie réelle –, non depuis le départ, il a été avant tout question de recréer un monde, un monde où l’on peut faire n’importe quoi puisque c’est le nôtre et que personne ne jugera. Cette passion pour le home-recording et les K7 vient de là : l’envie de transformer sa chambre en un grenier magique, de matérialiser son art dans une zone fermée et inaccessible à autrui. Aujourd’hui même si l’on doit évidemment se réjouir qu’Animal Collective ait signé à l’époque Ariel Pink sur  Paw Tracks, il aurait peut-être été encore plus conforme avec la mythologie de l’artiste de ne jamais offrir au public tous ces premiers enregistrements. Bien sûr, il aurait été frustrant de ne jamais pouvoir écouter des albums comme The Doldrums, mais aujourd’hui encore il me semble qu’ils n’ont d’intérêt que comme témoignages de la période pré Before Today. Ce ne sont pas des disques anecdotiques (quoique pour certains), mais ils ne sont pas suffisamment passionnant pour justifier qu’Ariel Pink ait laissé le monde pénétrer dans son antre. Tout cela relevait d’un processus d’apprentissage et, de la même manière qu’il est parfois décevant de voir les œuvres de jeunesse d’un auteur phare être éditées, on peut regretter que tout cela ne soit pas resté une boite à trésor inaccessible au commun des mortels.

Les Haunted Graffiti Series portaient ainsi magnifiquement leur nom (nom qui deviendra ensuite celui du groupe). Non seulement ces chansons répondaient aux dessins surréalistes que faisait Ariel Pink en parallèle, mais surtout elles incarnaient une expression personnelle qui convoquait les fantômes de son propre imaginaire, comme s’il s’agissait de coucher sur bande ses rêves avant qu’ils ne disparaissent complètement. C’est surement pour cela qu’Ariel Pink a été tout de suite identifié par Adam Harper et Ken Hollings comme l’un des groupes fondateurs du courant Hantologie (le terme ayant été initialement utilisé pour relier la musique d’Ariel Pink, de The Caretaker et celle du label Ghost Box). Pourtant, lors de l’essai sur l’Hantologie que nous avons écrit (disponible ici), Ulrich et moi ne nous sommes jamais attardés sur le cas Ariel Pink. Et pour cause, je considère toujours aujourd’hui que ce dernier ne répond pas aux critères qui définissent l’hantologie. Il cherche à matérialiser ses rêves et non pas à aider les spectres du passé à revivre dans notre monde. Son rapport aux sonorités d’autrefois n’est pas imposé. Lorsque Kinsky Assassin résonne avec ce ton directement sorti d’une publicité des débuts télévisuels, on se situe plus du côté de la blague spontanée que face à un véritable rapport avec les voix prisonnières de cette époque. Même sur Live It Up, le titre le plus hantologique de l’album, l’utilisation de sonorités de sitcoms des années 70 cherche plus à jouer la carte d’une nostalgie romantique qu’à retravailler la matière ; l’approche restant ainsi vraiment différente d’un The Advisory Circle ou d’un The Focus Group.

Tout cela Mature Themes le confirme bien : Ariel Pink s’éloigne encore un peu plus du lo-fi et s’évertue à reproduire ses rêves avec plus de précision, usant non seulement des nouvelles possibilités offertes par son groupe, mais aussi en ayant recours à une production plus solide. Plus solide, mais pas pour autant surchargée – l’ensemble du disque a été enregistré via un  Alesis HD24 –, la production offre de la souplesse permettant notamment aux basses de mieux s’épanouir et aux superpositions de voix de rester limpides. Du coup, on s’attache de plus en plus au son, qui en conservant ses origines, fait preuve d’un touché dont on ne se lasse pas (confère la rythmique sur Driftwood).

De par ses mélodies incroyables et difficilement datables, on pourrait croire que Mature Themes est un album lumineux qui emmène les Haunted Graffiti vers un univers plus conventionnel. Il n’en est évidemment rien : aussi limpides soient-elles, les chansons ne cessent de semer la confusion, au travers d’un certain sens du non-sens. Il y a toujours quelque-chose à fleur de peau ici, un peu à la Christopher Owens, et, en même temps, les  émotions sont toujours contrebalancées par des blagues, par un truc potentiellement ironique qui fait douter du sérieux de l’ensemble. Du coup, c’est à Jamie Stewart qu’Ariel Pink fait de plus en plus penser : l’un comme l’autre adorent briller au travers d’une sincérité touchante pour mieux se moquer d’eux-mêmes par la suite. Mais là où Xiu Xiu va composer ses chansons autours de faits divers collectés au fil des derniers mois, Ariel Pink va lui tout miser sur ses rêves et son univers onirique.

« Truth is shameful and vile, and i’m not real » comme il dit. Qu’il s’agisse de la chanson Only in my dreams, de ses histoires de chèvres qui mangent les enfants, de ces âmes des oiseaux de Babylon ou encore de Nostradamus, Ariel Pink continue d’évoluer dans ce monde fantastique ; « as sad as it seems it’s like somethings in dreams ». Les seuls moments où il remet les pieds sur Terre, c’est au travers de textes encore plus absurdes qui tournent autour de la nourriture (Schnitzel Boogie et Pink Slime). Une fois de plus, les rêves d’Ariel Pink ne sont pas plus fantasques que la réalité, mais comme celle-ci est déjà bien barrée, il ne faut pas s’étonner de le voir partir si loin.

Ariel Pink est à la fois un thérapiste et une nimpho (Symphony of the Nymph). Il cherche à expérimenter et à comprendre les choses, mais il déborde tellement d’envie qu’il ne peut s’empêcher de tomber dans une surenchère jouissive. Comme toutes ces personnes qui ne savent pas où sont les limites, Ariel Pink peut parfois s’avérer exaspérant sur la longueur, faisant tourner certaines blagues un peu trop longtemps (Schnitzel Boogie). Qui plus est, il n’est jamais à l’abri de complètement rater une chanson (Nostradamus & Me).

Alors qu’on craignait qu’Ariel Pink ne s’essouffle et que ses heures de folles productivités soient déjà derrière lui, Mature Themes montre que non seulement il fourmille toujours autant d’idées, mais surtout que sa nouvelle position l’a rendu encore plus libre. Ici il se fout de tout et n’en fait qu’à sa tête, mettant ses émotions à nues à un instant pour, quelques secondes plus tard, leur tourner le dos et s’adonner aux inepties les plus incohérentes. Et sa musique est complètement en phase avec ça, et on a le tournis de ce grand n’importe quoi qui forme au final quelque-chose de si formidable. Mature Themes est un album qui ne fait aucun compromis et assume sa bizarrerie comme certains assument leur immaturité. Ce qui a de beau avec les rêves, c’est que rien n’est vrai, tout est effervescent et soumis à interprétation. A chaque fois que l’on pense le tenir Ariel Pink, il nous échappe.

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