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DANS LA MAISON, ELLE S’APPELLE RUBY, TED : quand la fiction interroge son statut

Dans la Maison, de François Ozon ; Elle S'appelle Ruby de Jonathan Dayton et Valerie Faris ; Ted de Seth MacFarlane

Par Alexandre Mathis, le 16-10-2012
Cinéma et Séries

3 films sortis en ce début octobre questionnent la complaisance innée à triturer un scénario avec la complicité du spectateur. Dans la Maison, Elle s’appelle Ruby et Ted se penchent plus ou moins théoriquement sur leur propre statut de fiction. Avec des fortunes diverses.

C’est par François Ozon que la porte d’entrée apparait la plus clairement ouverte. Dans son drame jubilatoire Dans la Maison, il livre Fabrice Luchini à un élève malin lui narrant ses explorations dans la « classe moyenne » qu’il fantasme. Cette famille, il va l’exploser, la briser de ses apparats, faire son joujou avec comme un chat torturerait une souris. A travers les copies que le jeune homme rend, Luchini se retrouve à vivre par procuration ce jeu pervers où le voyeurisme n’a plus guère de frontière entre la fiction et le réel. Plus subtil encore, le prof se prend trop au jeu, pousse au vice et va jusqu’à fauter. Ozon ne tombe pas dans les facilités scénaristiques et illustre concrètement le jeu délicat d’un scénario ou d’un roman. Ainsi, les lectures des rédactions se mettent en scène devant nous. Les codes volent en éclat, le point de vue change. Luchini s’incruste à des plans qu’on lui pensait interdit, les conseils avisés de ce dernier permettent de rejouer un même instant sur un ton différent. Le film tombe dans le théorique dès qu’il joue ostensiblement de sa réflexion sur la création artistique, dont le cinéma lui-même. Néanmoins, il en ressort une vigueur de mise en scène assez rare tant il émerge de nos esprits ce doux fantasme de pouvoir orienter la fiction que l’on suit dans la direction souhaitée. Car c’est bien là la perversité de Dans la maison : là où il y a voyeurisme, il regorge un besoin de jouissance.

Un écueil dangereux dans lequel se plante Elle s’appelle Ruby. Co-réalisé par le duo de la douce comédie-amère Little Miss Sunshine, cette énième variation du Pygmalion voudrait aussi interroger la nature de la fiction. A savoir un écrivain tombe amoureux de sa création qui devient réelle. Louons le charme discret Zoé Kazan, petite fée des contes Sundance, pour mieux l’accabler quant à son scénario. Comment une femme peut-elle à ce point créer une figure féminine si faible dans la révolte, aux limites de la misogynie ? La femme est docile, fait la bouffe et répond aux désirs de son mâle. Le film suit pendant une heure les petites affres d’un adulescent insupportable dont la créature lui échappe. Jusque-là, le rapport à la fiction créée demeure bien menue, très chichiteuse et peu passionnante. Mais elle atteint un point de non-retour dans une confrontation entre la créature qui découvre le pot-au-rose de son géniteur. La mise en scène appuie alors la perversité de son « héros » avec une complaisance abjecte. Paul Dano, dans le rôle principal, malmène sa copine par la puissance de sa machine à écrire. La liberté ne s’acquiert que par le bon vouloir de l’homme. Zoe Kazan, en écrivant cela, tombe dans le piège qu’établit avec lucidité – mais malice – Ozon. Le scénariste peut tout se permettre, il peut manipuler ses personnages et son public. Mais une condition fait foi : le démiurge s’autorise tout du moment qu’il ne dédaigne pas ses personnages. Kazan méprise autant son écrivain que ce dernier fait de sa petite amie sa marionnette.

Bizarrement, c’est encore dans Ted, de Seth MacFarlane, que le jeu fictionnel demeure le plus ludique. Derrière sa bromance, le film à l’ours en peluche gouailleur tire sa force de sa capacité à se moquer de sa fonction de fiction. Tout commence comme un conte de Noël, dans une banlieue qui rappelle les douceurs de Spielberg (une photo du générique parodie d’ailleurs E.T.), avec une peluche devenue vivante grâce à un vœu (comme pour Pygmalion). L’inanimé se meut. Puis, la comédie reprend le dessus. MacFarlane n’hésite pas à jouer avec les genres : de la comédie romantique au film d’horreur après un enlèvement. Mieux, c’est le couple Wahlberg/ Kunis lui-même qui raconte sa rencontre selon son point de vue. Le même procédé que chez Ozon se met en place. Ted digère ces considérations théoriques sur la conscience d’être une fiction. Là où Dans la Maison et Elle s’appelle Ruby façonnent leur intérêt là-dessus, Ted l’utilise comme un moteur narratif sans jamais gâcher l’amusement. La jouissance n’en est que plus grande.