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Le hardcore moderne, peinant à se renouveler et à trouver des portes de sorties, se retrouve aujourd’hui souvent cantonné à de veines tentatives metalcore qui, se contentant du minimum syndical, provoquent au mieux un discret mouvement de la tête, au pire un ennui certain. Parallèlement à ce constat moribond (et je dis ça en faisant partie de ceux qui aiment beaucoup le dernier Killing Time par exemple), Converge semble jouir d’un succès d’estime toujours plus grand de la part d’un public pourtant habituellement particulièrement méfiant lorsqu’il entend prononcer les mots métal et hardcore. A l’instar de Sunn O))), Converge s’est imposé comme l’un des rares groupes issus des musiques extrêmes capables d’impacter la sphère indie classique.

A première vue, une seule chose peut expliquer ce phénomène : l’intransigeance de la démarche artistique du groupe. Depuis toujours, on retrouve chez Converge un sérieux et un sens de la construction discographique qui fait si souvent défaut à leurs pairs. Alors que la majorité des groupes metalcore peinent à prendre du recul sur leur travail, Converge aura livré jusqu’ici une discographique très cohérente où chaque disque possède néanmoins sa propre personnalité et sa propre coloration. Là où l’on attend des coreux de simplement cracher leur rage, encore et encore, en respectant au maximum les codes du mouvement, Converge, eux, intellectualisent leur musique, la complexifient techniquement parlant tout en la décomplexifiant au niveau des structures (ou alors ils font complètement l’inverse). Au final, Converge fonctionne comme un vrai groupe pour qui le hardcore est un mode de vie, mais aussi quelque-chose qu’on ne prend pas à la légère, quelque-chose qui demande de la réflexion, et en ça, n’importe quel passionné de musique peut comprendre les codes culturels du groupe ; et ainsi, malgré la violence, il est bien plus aisé de comprendre Converge que n’importe quel groupe de HxC qui reproduit à l’infini le même titre – on observe un phénomène similaire avec, par exemple, Blut Aus Nord, dont la noirceur n’empêche jamais le groupe d’être bien plus lisible que n’importe quel autre groupe de Black Metal. Bref quel que soit son rapport au métalcore, on peut s’intéresser à Converge pour ce qu’il représente et pour ce qu’il cherche à démontrer, indépendamment du plaisir qu’on y prend. On peut se passionner pour le concept, sans en aimer les effets, comme avec certains disques de musique concrète. Enfin je ne m’étends pas sur les activités picturales de Bannon (toutes les pochettes de Converge sont des peintures de lui), mais celles-ci sont indissociables de la démarche du groupe, en matière de positionnement global et de volonté de tout faire tout seul.

Même si écrire cela revient en partie à nier la rage innée qui habite les compositions, Converge produit un hardcore sophistiqué dont les ruptures de style, de ton, de rythme ne cessent de maintenir l’attention. Le jeu de guitare très riche de Kurt Ballou, la technicité des plans de Ben Koller, les cris de Jacob Bannon, la tension des compositions et bien sûr la conviction que le groupe met dans chacun de ses titres composent l’identité de Converge, mais ce qui fait vraiment la différence c’est l’envie : l’envie de faire toujours mieux. Jacob Bannon évolue dans la sphère hardcore depuis plus de deux décennies. Il ne connaît rien d’autre et y a consacré sa vie avec un certain sens du sacrifice. Activiste depuis son plus jeune âge, adepte du straigh edge et évidemment du DIY, il aura porté à bout de bras, sans en attendre aucune contrepartie financière prêt de 150 projets au sein de son label Deathwish. Malgré la place qu’a pris le groupe aujourd’hui, Converge n’a toujours pas de manager, produit lui-même ses disques et conserve un style de vie fait de squats, de travail et d’engagement dans le mouvement. Les envies d’un type comme Bannon, elles sont, on l’aura compris, plus à chercher du côté de celle d’un Ian Mackaye que du côté de l’argent, du succès et de la reconnaissance.

Et puis, il y a les textes, d’un niveau bien supérieur à tout ce qui se fait dans le style. Si les thèmes restent connus (la sainte-trinité de la mort, de la tristesse et de la frustration),  Jacob Bannon produit de longues agonies qui évitent judicieusement le piège des refrains et, comble pour celui chez qui on n’arrive quasiment pas à distinguer les mots en concert, qui abordent intelligemment les différentes facettes du american hardcore way of life. All We Love We Leave Behind, le nouvel album, par exemple, propose différentes réflexions sur ce qu’est l’engagement aujourd’hui, en n’hésitant pas à remettre en question ses choix tout en les assumant. Dès Aimless Arrow, c’est assez touchant de l’entendre chanter « To live the life you want, You’ve abandoned those in need, A necessary casualty, Or so you believe, Your wake will always travel, And well up in the eyes, Of those that you sacrificed, In order to survive ». Oui survivre mais pourquoi ? Qu’est-ce que la violence sans but ? Est-ce que Converge a encore un but ? Voilà ce qu’on entend en filigrane. Peu importe la réponse Jacob Bannon est une balle de pistolet déjà tirée qu’on ne remettra plus jamais à l’intérieur de l’arme, mais c’est intéressant de le voir s’interroger sur ce qui fait la nature profonde de Converge. Et en même temps, c’est rude de savoir que son implication est telle qu’il ne peut plus faire machine arrière, comme s’il n’avait connu rien d’autre, qu’il avait choisi sa voie et qu’il était trop tard pour faire machine arrière. « When you choose to hurt the honnest ones, they scarred effortlessly fading », the honnest ones, c’est à la fois lui (et son intégrité) et ceux qu’il croise, car la sincérité n’empêche pas de se tromper. Awlwlb soulève un point important : comment peut-on rester sincère envers sa passion et en même temps être honnête et bon pour ceux que l’on aime ? (« I’m sorry that i missed your lives while i was on the road, learning to survive, you deserved so much more that i could ever provide »).

Mais plus encore, All We Love We Leave Behind est un album de groupe qui souligne une fois de plus l’important de la notion de communauté au sein du hardcore. Alors que Axes To Fall jouait la carte des invités et de la sphère hardcore / metalcore au sens large, Awlwlb se recentre sur la fraternité initiale qui unie les membres ; c’est un album en soi, où même la prod ne dépend pas uniquement du manitou Kurt Ballou – il est d’ailleurs intéressant de constater combien Converge n’est pas marqué par l’effet Ballou qui, devenu un peu le Steve Albini du hardcore, a tendance à un peu trop apposer son sceau –, et Converge continue brillamment d’y repousser sans cesse les limites du hardcore. Car aujourd’hui repousser les limites du hardcore, ce n’est pas jouer plus vite, plus violement, mais c’est ouvrir celui-ci (genre qui ne supporte pourtant pas l’ouverture habituellement) au maximum d’influences possible sans en pervertir la nature, exercice périlleux dans lequel le groupe excelle – même le côté émo de Aimless Arrow s’intègre parfaitement à l’ensemble. Converge a beau être aussi chaotique qu’agressif, c’est un groupe qui n’est jamais fou (un défaut et une qualité chez lui) et qui sait toujours très bien où il va, et où il va,  ce n’est pas le futur, c’est le maintenant – rien n’importe plus à Converge qu’évoluer tout en restant toujours le même, et il doit sans cesse jongler entre le besoin d’être inventif et d’essayer d’incorporer autre chose, et la nécessité de rester fidèle à ses origines ; c’est ce numéro d’équilibriste qui le rend peut-être si intéressant. Mais si la folie n’habite pas le groupe, cela ne le rend pas moins imprévisible. D’ailleurs, les concerts de Converge sont peut-être les seuls où j’ai vraiment eu peur physiquement, où tout pouvait se passer, où je savais que la violence qui prenait place sur scène pouvait à n’importe quel instant se propager dans la fosse – ce qui d’ailleurs ne manquait jamais d’arriver, mais si à chaque fois j’ai su prendre la fuite au bon moment – car dans la catégorie des groupes où les concerts ne sont pas initialement destiné à se battre, la limite a toujours été avec Converge un peu floue.

Pendant longtemps, j’ai été persuadé que Converge représentait un aboutissement dans la violence ; c’était un peu le groupe qu’on s’amusait à passer en soirée pour faire peur à ceux qui écoutaient Ben Harper. Je croyais que j’aimais ça pour la haine que ça dégageait, pour la fureur qui se nichait dans les cris, et bien sûr pour la démarche artistique. Mais en écoutant All We Love We Leave Behind, j’en arrive à me demander si je ne me suis pas menti à moi-même et si je n’ai pas toujours aimé Converge pour des raisons que même le groupe doit refouler d’une certaine manière.  Car, en premier lieu, ce n’est peut-être pas le concept et la démarche de Converge qui me passionnent. Non si je suis honnête avec moi-même ce que j’aime chez ce groupe c’est combien il est, certes d’une manière sournoise, catchy as fuck. Awlwlb illustre encore mieux ce que je soupçonnais depuis longtemps. Tous les titres sont aussi dévastateurs qu’entrainants, provoquant ainsi un sourire béat immédiat. Trespasses, par exemple, peut, si l’on y prête pas attention, passer pour un exutoire, un truc ou le groupe vomit sa haine, mais la vérité, c’est qu’il s’agit juste d’un titre qui donne envie de sauter partout et de headbanger comme un con (et ce n’est pas le rapide, mais jouissif solo de guitare qui viendra me contredire). Et en me retournant sur leur discographie, je réalise qu’au fond c’est toujours ce qu’il s’est passé (cf Eagles Become Vultures). Contrairement à ce que j’ai toujours clamé, la principale raison pour laquelle j’aime autant Converge, c’est qu’il s’agit d’une machine de guerre qui énergise le corps et électrise les sens. Finalement Converge me rappelle ce qu’il se passait à l’époque de la sortie des Chaos A.D / Roots de Sepultura : on cherchait des arguments artistiques pour justifier l’emballement primaire et instinctif que cette musique provoquait chez nous, mais à quoi bon ? Alors voilà tant pis si j’aime Converge en partie pour de mauvaises raisons, mais au sein de ma discothèque All We Love We Leave Behind se range à côté du Far Beyond Driven de Pantera.

Enfin ce raisonnement permet aussi de lever le voile sur un malentendu qui entoure le groupe : puisque l’on y voit une formation qui cherche à « repousser les limites de la violence », on peut être déçu face au manque d’originalité et de partis-pris de Converge. Alors oui il faut se faire raison, Converge n’est pas le groupe hyper inventif qu’on a parfois essayé de nous vendre. Non c’est plutôt une éponge dont les membres sont des alchimistes hors-pair : ils ont une capacité à piquer à droite à gauche tout ce qui se fait de dynamique dans les musiques sombres et à mélanger le tout pour en faire une musique encore plus punchy et encore plus rêche. Hardcore et métal, bien sûr, mais aussi black metal, grind, noise, stoner, sludge, et trash… Converge sont de géniaux intégrateurs. D’ailleurs qui sait aussi bien qu’eux faire sonner, sur fond de rythmiques et cris purement hardcore,  des solos de guitare aussi épiques ? (J’allais répondre The Dillinger Escape Plan, mais ce serait mélanger plusieurs périodes de son existence).

Du coup, je ne sais pas si l’on peut dire que Converge soit dépositaire d’un style qu’il aurait inventé – c’est assez marrant d’ailleurs de réaliser que musicalement parlant leur métalcore est de plus en plus métal et de moins en moins hardcore, alors que si le groupe possède une sérieuse culture hardcore, mais qu’il reste à mille lieux de la culture métal. De toute façon, encore une fois, je crois que c’est un groupe qui ne tirerait aucune fierté d’avoir inventé quoique ce soit. Qu’on leur dise qu’ils sont restés fidèles à leur crédo, voilà qui les contentera bien plus.

Alors qu’ils évoluent dans un style où les embûches sont nombreuses et les risques de faux pas, multiples, Converge n’a jamais déçu. Aucune fausse note, aucune faute de goût ; même l’apparition de voix claires n’a pas le goût de la trahison. Alors qu’il faut d’habitude abandonner en route ses amours de jeunesse, Converge ne cède rien et nous permet à nous aussi d’avoir l’impression (certes fictive) de ne pas avoir changé.

>> A écouter : Converge : interview de Jacob Bannon 06/08/2012 @ Glazart, Paris sur Pelecanus

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