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Swans, père et mère (1ère partie)

A l'occasion de la sortie de The Seer, Playlist Society organise une semaine spéciale Swans.

Par Benjamin Fogel, le 07-11-2012
Musique
Cet article fait partie de la série 'Semaine Swans' composée de 5 articles. A l'occasion de la sortie de The Seer, Playlist Society organise une semaine spéciale Swans. Voir le sommaire de la série.

Une discographie traversée par la figure paternelle

Michael Gira a toujours donné des ordres à l’enfant que j’étais ou que j’avais pu être. Je dis des “ordres” parce que dès que Michael Gira parle à l’impératif, son ton fait toujours passer les conseils de vie pour des ordonnances : « Be strong, be hard, resist temptation » me dit-il sur Words Filth. Il incarne une figure paternelle invincible à l’enseignement stricte et aux preuves d’amour rares. Ses enfants sont éduqués « à la dur » et ce n’est que des années plus tard qu’ils comprennent combien Gira ne voulait que leur bien.

Gira ne raconte pas des histoires et n’écrit pas de poèmes : il impose des commandements. Dès 1983 et la sortie de leur premier album Filth, quasiment tous les textes sont écrits à l’impératif, et, mélangés au chaos instrumental que le groupe génère, ils possèdent un impact tel qu’on ne peut que s’y résoudre et s’exécuter. Les chansons s’enchainent habitées par un message transverse. « Cut my throat », « Use sex for control », « Use your hand to build things », « Burn my face », « Cut out the infection » : on pourrait croire ces phrases issues d’un même titre, mais elles proviennent en réalité de cinq chansons différentes. La récurrence des ordres finit par ressembler à un endoctrinement. Car, quelles que soient ses valeurs et sa volonté de nous pousser à réfléchir par nous-même, Michael Gira reste un père intrusif, de ceux qui exigent que ses enfants suivent sa voie.

Il ne faut alors pas s’étonner si certains d’entre nous ont une relation conflictuelle avec Swans. Certains n’arrivent certes pas à se faire à la rigidité de cet univers, mais pour la plupart, il s’agit plus d’un rejet du modèle parental. Certains se taisent et obéissent, d’autres préfèrent rester loin de tout ça. Personnellement j’ai toujours été un enfant sage qui se plie à l’autorité à partir du moment où je reconnais la légitimité de celle-ci.

Michael Gira n’est pourtant pas un dictateur : au contraire il pousse sans cesse à la liberté personnelle, mais lorsqu’il le fait comme sur Butcher (sur Cop), le message est toujours vindicatif. A chaque fois, j’ai l’impression qu’il me crie dessus : « Tu n’es qu’une merde si tu portes un masque, tu ne vaux rien si tu n’as pas t’as propre personnalité ». Même si ses conseils sont justes, il y a toujours un côté méprisant dans ses paroles. Il nous rabaisse sans cesse. Alors certes, c’est pour notre bien, certes cela forge un caractère, mais au final je conçois bien que tout le monde ne puisse encaisser ça (« The only real thing is misery »). Et le fait que moi je l’encaisse sans souci me donne parfois l’impression d’avoir une relation privilégiée avec lui.

Tout cela ne laisse aucun doute à l’écoute d’une chanson comme « I crawled ». On ne sait s’il nous fait parler, ou s’il s’adresse à son propre père (si c’est le cas, on tombe dans le schéma classique des enfants qui reproduisent la même éducation que leurs parents), mais le texte est équivoque : « You’re my father. I obey you. I want you to be my father. You know who i am […]. Think for me ». Notre position face à Swans est voulue et clairement suggérée. Michael Gira veut nous former et il refuse que nous remettions en cause son autorité ; ce qui explique peut-être l’univers carcéral du groupe. Pour appuyer ce propos, on peut également citer Stupid Child sur Greed : «  I’m your stupid child. I’m your stupid helpless child. I’m ashamed of what i am. I like the way that feels ». Il y a une relation perverse qui se crée entre lui et nous. Il parle pour nous et nous met dans la position de l’enfant soumis. Peut-être qu’au fond il ne fait que projeter ses traumatismes d’enfances, peut-être qu’il y a une vraie explication psychologique là-dessous, mais je crois avant tout que Michael Gira aime être celui qui décide. Non pas parce qu’il aime le pouvoir, mais parce qu’il se sent capable de guider le troupeau. C’est pour cela qu’il ne se place pas dans la peau d’un dirigeant, mais dans celui d’un père. Il y a beaucoup plus d’amour dans sa démarcher que d’égo.

Le cinquième album de Swans, sorti en 1987, s’appelle Children of God et il s’agit d’une pièce particulièrement malsaine avec un rapport amour/haine avec Dieu, mais aussi avec les enfants. On parle de tuer les enfants qu’on aime sur Beautiful Child tout en rappelant à quel point ils sont parfaits sur Children of God. Michael Gira s’interroge sur Dieu (Dieu le père), tout en mettant en exergue sa propre relation avec sa progéniture.

Plus la discographie progresse, plus le doute s’installe. Michael Gira parle de plus en plus en se mettant dans la position de l’enfant. Et, aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas s’il s’agit d’une projection ou s’il fait parler l’auditeur. Sur World of Skin, on retrouve ainsi la chanson Still a Child, qui laisse à penser que malgré les albums, malgré les moments de haine, la relation père-fils perdure bien : « The day i was born, your shadow fell accross my mother’s breast. When i oppened my eye, you colored my mind. Every move i make, is your desire ».

On constate que jusque là, la présence de la mère n’est jamais évoquée – enfin je dis jamais, mais il faudrait relire l’intégralité tes textes du groupe pour s’en assurer, disons qu’il n’y a selon moi à ce stade rien de significatif. Malgré la présence de Jarboe, la figure principale de Swans reste celle du père. Selon une opposition un peu cliché mais significative, l’obscurité et l’autorité ne sont jamais contrebalancées par la lumière et l’innocence. Même les ballades sont vécues comme des réprimandes. Il faut peut-être attendre Mona Lisa, Mother Earth et son rythme tonitruant sur The Burning World pour voir apparaître la grâce féminine : « She’ll Hide This Beaten Man Beneath Her Innocence. Tonight My Dreams Are Born On Mona Lisa’s Breast » (une chanson que je mets en lien avec le Tree of Life de Malick). Mais il s’agit plus d’une simple incursion. Non, selon moi, la première fois qu’apparaît vraiment l’équilibre père/mère, c’est tout simplement avec Mother / Father sur The Great Annihilator. Les Hey Hey de Jarboe y sont souverains et le « There’s a place in space where violence and love, collide inside, and solis is wide » ouvre enfin les portes à une éducation qui sort de l’unilatéralité. Ce que confirme My buried child et son « Now hold me in my mother’s arm ». Mais à ce stade, il ne s’agit à mon avis encore que d’un désir d’ouverture forcée. Michael Gira sait que c’est chez la mère qu’il trouvera la lumière qui rendra complète l’entité Swans. Cette lumière, il la cherche du bon côté, mais il ne la trouve pas encore. Malgré tous ses efforts, c’est toujours sa noirceur, ses ordres et sa manière d’être qui habitent les chansons. Il a beau prôner une éducation mixte, c’est toujours lui qui tire les ficelles.

Malheureusement, c’est suite à cette tentative de rééquilibrage que Swans va rentrer en hibernation pour presque quinze ans. Et lorsqu’il reviendra en 2010, l’heure sera à l’inspection. Le brillant My Father Will Guide Me up a Rope to the Sky voit Michael Gira revenir à sa position de prophète. Entre temps, nous sommes tous devenus des adultes, et cet album nous dit « Oui tu as grandi mon fils, mais regarde-toi, tu as toujours besoin de moi » (c’était d’ailleurs l’idée cœur du texte que j’avais écris à l’époque sur le sujet).

Je crains Michael Gira autant que je l’aime. C’est le chef de famille, c’est lui qui décide de notre niveau d’intimité, c’est lui qui fixe les barrières et les limites. Et, depuis que je connais le groupe, cette ombre paternelle a toujours accompagné mes écoutes. Enfin jusqu’à aujourd’hui…

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