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VILLEGAS : la vie palindrome

Sortie le 7 novembre 2012 - durée : 1h36min

Par Thomas Messias, le 12-11-2012
Cinéma et Séries

Ce qui frappe d’emblée dans Villegas, c’est la troublante ressemblance qu’entretiennent les deux interprètes principaux avec deux fameux acteurs américains. Valeur montante du cinéma argentin après El Estudiante ou encore Castro, Esteban Lamothe n’a jamais autant ressemblé à Adam Sandler ; quant à son comparse Esteban Bigliardi, il évoque par son visage et sa dégaine un parfait double de Michael Richards, alias Cosmo Kramer dans la série Seinfeld. Deux acteurs qui se sont souvent épanouis dans un registre comique tout en explorant de plus en plus profondément un indéniable côté sombre. Une caractéristique qui sied idéalement à Villegas, qui oscille entre road movie et retour au bercail nostalgique tout en se dissimulant derrière une superficialité qui pourrait s’avérer trompeuse. On nous a fait mille fois le coup des funérailles du grand-père qui contraignent des cousins jadis inséparables à un rapprochement soudain et accidenté ; c’est justement en n’ayant pas ouvertement l’air de vouloir révolutionner le genre que le réalisateur Gonzalo Tobal finit par creuser son sillon. Celui d’une singularité non feinte, moins due aux situations mises en place qu’à des personnages désireux d’avoir l’air de gens simples alors qu’à l’intérieur, c’est la complexité qui les consume.

Sa construction en palindrome est sans doute la plus belle idée de ce premier film atterri on ne sait trop comment en séance spéciale de la sélection officielle cannoise. Débutant par une virée en voiture aux allures de buddy movie désabusé, Villegas s’offrira un long break dans le village argentin du même nom, avant de voir ses deux héros retourner à leurs existences, imprégnés par les quelques jours qu’ils viennent de vivre sans pour autant qu’un changement radical semble en train de se produire. Allant à l’encontre de ces trop nombreuses œuvres existentielles dans lesquelles un court voyage ou un simple deuil peuvent suffire à changer des êtres humains à jamais, le film assume son statut de parenthèse presque sans conséquence, comme cela se passe généralement dans la vraie vie. Quelques coups d’œil teintés de remords dans le rétroviseur, deux ou trois soirées passées hors du temps et loin des villes histoire de se ressourcer vraiment, des heures de route à enchaîner les disques en énumérant des souvenirs plus ou moins précis. Villegas a le goût de ces retours aux sources qui font simplement réaliser à leurs protagonistes qu’ils existent encore même hors des clous de leur vie quotidienne, que d’autres vies auraient été possibles, et qu’il n’est d’ailleurs pas trop tard. L’important, ce n’est même pas l’opposition forcément schématique entre le yuppie marié et apparemment heureux et son cousin hirsute à la vie foutraque ; c’est la façon dont tous deux acceptent avec humilité cette jolie pause au cœur de l’Argentine qui les a vus naître, sans renier leurs racines mais en les contemplant.

L’équivalent américain de ce Villegas pas si facilement encastrable dans une case quelconque serait peut-être l’archi sous-estimé Elizabethtown de Cameron Crowe, film-symbole d’une génération condamnée à faire du surplace de par un simple manque d’élan. La vie y ressemble à un rétropédalage permanent, la trentaine semblant constituer un point culminant au ras des pâquerettes avant une décélération lente et suffocante nous menant à la mort. C’est cette phase d’atterrissage qu’amorcent Esteban et Esteban, cousins portant le prénom de leur grand-père — prénom également porté par les deux fabuleux acteurs du film. Ce plongeon inattendu vers la deuxième partie de leur vie, la plus longue et la plus vide, s’accompagne alors d’un retour vers l’enfance, celle qu’ils ont laissée derrière eux et celle qu’ils tentent de retenir en eux pour un temps encore. La scène dans laquelle les deux hommes retombent en enfance dans un silo à grains — guitare et batailles épiques — en est sans doute la plus belle représentation : au final, Villegas est le portrait d’une Argentine rongée par une urbanisation galopante et un vieillissement exponentiel de la population, que rien ne peut endiguer mais qu’une plongée salvatrice dans ses propres méandres peut rendre moins effrayants. Le tout dans une ambiance aérienne, quelque part entre vraie légèreté et petites inquiétudes.