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King Louie, “Drilluminati”

Par Dom Tr, le 14-12-2012
Musique

A peine roi et déjà défroqué ? Il est facétieux, ce bon Louie. Le plus incongru de la dynastie, avec son style de rastaman, ses prods qui fleurent bon l’explosion sonore mixée avec un brass band sous substances. Même s’il a récemment effacé ce qui suit le “L”, pour se fondre un peu dans la masse, personne n’oublie. Tout comme nous n’oublions pas la hype de ces derniers mois qui pousse lui et quelques autres gars de Chitown sur le devant de la scène, jusqu’à être cité à la TV française un dimanche midi (oui, je passais par là et j’ai vu Chief Keef…). Et d’où il vient, au moins aussi important. Passé à deux doigts de ne jamais rien faire de sa vie quand la vingtaine toute fraîche il est percuté par une voiture qui lui brise ses jambes, endommage ses poumons et ses dents. Il se fait introniser parrain du “drill” en s’étant fait lui-même forer le visage par un pare-choc; la preuve par l’exemple en quelque sorte.

Depuis, Louie enchaîne les tapes et apparitions dans tous les sens, se forgeant cette image de nouvelle coqueluche d’un rap chicagoan qui n’a jamais autant ressemblé à son cousin sudiste tout en apportant un feeling différent. Quelque chose de plus cynique, de plus brut aussi. En dépouillant au maximum son flow de tous les effets possible pour finir par ne garder que l’élocution la plus simple, flirtant avec l’énumération simpliste même. Et si les prods qui l’accompagnent sont parfois à la limite d’un climax indépassable, bien souvent elles reprennent ce côté extatique pour lesquelles il semble parfois difficile de s’enthousiasmer de prime abord. Il suffit d’écouter ‘Val Venis’, en hommage au catcheur du même nom, tout en jeu de mots et en décalage linguistique, l’un des singles qui tournent depuis 6 mois sur le web et qui atterrit sur ce “Drilluminati”, comme un résumé d’une année 2012 bien chargée pour King Louie. Un beat signé C-Sick qui donne tout ce qu’il a d’impassible dans cette rythmique imperturbable et cette petite ritournelle angoissante, tellement légère qu’elle vous percerait les tympans, qui appuie la déclaration d’un Louie qui réaffirme qu’il est “the man”. Un discours calibré pour rentrer doucement dans le cerveau, sans jamais s’affoler. Délaissant l’esbroufe technique pour se concentrer sur l’essentiel. Quitte à élaguer pour ne garder que des bouts de phrases difficiles à connectées entre elles. Mais c’est aussi tout le paradoxe d’une forme de rap trop souvent dénigrées pour ce qu’elle n’apporte pas sur des territoires “habituels”. King Louie est ailleurs et il lui a fallu au bas mot 6 ou 7 ans pour en arriver là. Un gâchis évident de balancer ça tout ça à la poubelle en deux phrases.

Depuis mai, le milieu reconnait officiellement ces nouvelles têtes en provenance de Chicago et les marques de reconnaissance n’ont pas attendu pour tomber : concert devant 5000 personnes filmé par MTV pour Louie, Keef, Twista ou encore Bo Deal, en ouverture du “rick rossien” Meek Mill, le deal avec Epic / Sony et se voir citer par Kanye West en pleine phase de rajeunissement de sa propre musique (mais peut-on le blâmer pour ça ?), 6 ou 7 mixtapes saluées pour les bonnes et les mauvaises raisons… Mais c’est tout Chicago qui fait figure d’énorme hype mainstream ces derniers mois : Lil Reese et Lil Durke chez Def Jam, Young Chop chez Warner en début d’année ou Chief Keef dans le giron de G.O.O.D. Music. Inutile de revenir sur la moutonnerie derrière tout ça. Pourtant il semble évident que celui qui parvient à s’en tirer le mieux jusqu’à maintenant est King Louie. Justement pour son personnage singulier, l’expérience et le parcours qu’il traîne derrière lui comme une preuve évidente de sa détermination. Rien d’étonnant pour le “miracle man”, comme il dit lui-même. Et puis il avoue en interview que “arriver à faire quelque chose à Chicago, c’est pouvoir y arriver n’importe où ailleurs”. Chitown est notoirement aujourd’hui l’une des villes les plus violentes des Etats-Unis (l’appellation “Chiraq” n’a pas attendue pour émerger ces derniers mois). Les statistiques le prouvent, le rap drillé de King Louie aussi. Il est pour lui la preuve qu’il peut faire face à n’importe quoi.

Le plus étonnant reste ce visage joyeux et souriant de King Louie, en interview. Bien loin de ce qu’il laisse transparaître sur disque, lorsqu’il joue son personnage. Un décalage qui souligne à quel point les choses ne sont pas si simples. La seule véritable constante : la capacité de Louie à balancer des singles qui tapent fort et qui marquent un peu plus de son empreinte le rap de 2012. Et cette capacité à convaincre en diagonale, depuis les petits mecs de la porte d’à côté jusqu’aux sommets du business. “Showtime” cet été avait déjà bousculé bien des auditeurs; un point d’entrée dans la musique multi-facettes de King Louie. “Drilluminati” enfonce le clou et synthétise la cuvée 2012 en 14 gouttes d’acides rap multicolores aux propriétés variables. Car l’une des caractéristiques essentielles du Roi Louie est sa capacité à s’incarner dans une large variété d’environnements rap tout en sonnant étrangement comme personne d’autre.

Évacuons d’entrée le principal soucis de ce “Drilluminati” : la finition technique pure est un non-sujet pour King Louie a priori. A entendre comment certains morceaux ont été mixés et/ou masterisés, c’est peu de le dire. L’auditeur erre entre les différences flagrantes de niveaux, les saturations dés que le spectre sonore sort un peu trop du cadre  et l’impression d’être mis à mal par ce manque d’attention pour les détails qui font la différence. Si l’on garde en tête que les morceaux ont été enregistrés à des moments et dans des contextes très différents, inutile de dire que ce genre de défauts tend à plomber n’importe quel disque de qualité. ‘2 Pair’ est presque une honte à ce niveau là et en devient presque insupportable lorsqu’on ne se focalise plus que sur la qualité plus que moyenne de l’enregistrement. Autant dire que “Drilluminati” pâtit de ce manque de puissance par intermittence et qui reste l’une des premières choses que l’on retient. ‘Rozay Flow’, c’est pas sérieux ces saturations…

Un constat ennuyeux; d’autant que le tapis rouge avait été déployé pour cette “Drilluminati” avec ‘Val Venis’ en mai dernier et l’autre énorme single du moment, ‘My Hoes They Do Drugs’, en trio avec les vétérans Juicy J et Pusha T, de dix ans les ainés de Louie, avec qui ce dernier parvient à balancer l’un des morceaux les plus marquants de sa jeune carrière. En replaçant l’éternel triptyque drogues – sexe – business, le trio groove comme jamais et se laisse bercer par ces claviers d’une profondeur rarement entendue chez Louie aupravant, grâce au travail de qualité de DJ Pain One. Un hymne laid back, toute en retenue, qu’on se voit bien reprendre à tue-tête sous la douche. Un rôle dans lequel on n’attendait pas forcément Louie, moi le premier, mais qui parvient à convaincre mille fois. Même constat sur ‘Living Life’ et ce sérieux avec lequel Louie évoque ces sujets. Fini de rire. Pour autant, King L. ne délaisse pas une partie de ce qu’il lui a permis de se faire remarquer, ces orchestres de cuivres et de percussions maximalistes imaginaires qui couvrent tout l’espace et laissent à peine respirer. A l’image de l’excellent ‘Rated R’ où la flow du rappeur est noyé sous la composition d’un Shawty Redd qui prend aux tripes. L’une des franches réussites de la tape sur laquelle Louie se voit obligé de doubler ou tripler sa voix pour finir par exister le temps d’un refrain. Mais ce combat permanent entre la voix et l’orchestre virtuel fait la beauté de l’affrontement, du flow heurté et qui racle le sol d’un Louie rappelant son inévitable réussite . Son “En haut de l’affiche” à lui; avec moins de remords et tout autant de détermination.

Chaque morceau de “Drilluminati” dévoile une facette d’un Louie qui a rarement paru aussi couteau suisse dans ses tapes parues à ce jour. Ayant a priori gardé l’essentiel en évacuant le superflus, King L. surprend encore par sa capacité à s’incarner dans tout ce qu’il touche.  Aucun rapport a priori entre le hit clubesque ‘Dope Smoke’ et un ‘Feeling Like A Billion Bucks’  tout droit sorti de 2001, si ce n’est le flow imperturbable de Louie. Et toujours cet univers où le sérieux se dispute à la simplicité du constat, sans jamais trop en faire pour celui qui cherche à entendre l’évidence même d’une vie banalement violente, dans tous les sens du terme. Quel besoin aurait Louie de verser dans le cinéma quand ses déclamations dures balancées sur ‘Band Nation’ et la manière dont il s’installe lui-même au commande du véhicule rap puent l’évidence de A à Z ? Plus encore, la cohérence qui se dégage de “Drilluminati” est salutaire : elle sert évidemment à faire comprendre que l’étiquette “drill” ne veut rien dire au-delà des mots, et tant mieux d’ailleurs. Elle n’est que le reflet de la musique de King Louie qui peut s’incarner dans différents schémas sans jamais sonner fausse ou hors-sujet. Je veux dire : parler de gangbang plus ou moins volontaire en utilisant les refrains pop sucrés de Leek, comment parvenir à ménager mieux que ça la chèvre et le choux sans en avoir l’air ? Un tour de force que d’être parvenu à trouver un fil directeur et qui confirme l’évolution de King Louie depuis 1 an.

Alors que “Dope & Schrimp” chez Epic est annoncé depuis plus de six mois pour 2013, King Louie clôt 2012 avec une grosse baffe dans la gueule. Mélangeant du neuf et du mille fois ressassé, le rappeur chicagoan accouche de sa tape la plus convaincante de l’année sans aucun doute. Celle en tout cas où son personnage apparaît le plus clairement du monde, débarrassé de tout ce qui pouvait encombrer la vue. Clair et limpide, le constat est sans appel : si les fans attendent maintenant de le voir “officiellement” transformer l’essai sur une major pour confirmer son nouveau statut, sur le papier le chemin est fait et le voila aujourd’hui capable d’agiter les bacs et les têtes dans un seul et même geste. Tout en ayant pris soin de laisser apparaître une double-fond à sa musique, en oubliant un peu les clichés simplistes d’un rap de rue banalement violent pour le nuancer un peu et le faire paraître moins directement abrutissant. Tout ceci porté par la personnalité unique de King Louie qui séduit sans trop en faire; rappeur sur la retenue qui mesure chaque bout de phrase débité et les assène comme un sermon.

Apaisée peut-être, la musique de King Louie n’a jamais parue aussi franche et puissante. Et c’est peut-être ça l’enseignement le plus important, le roi Louie laisse son trône. Plus rien à foutre puisqu’il est atteint d’omnipotence rap caractéristique : son trône est partout où il pose son flow, capable de s’incarner dans tout ce qu’il souhaite.

Pour télécharger “Drilluminati” gratuitement, c’est sur Live Mixtapes que ça se passe.