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J+18 post-prophétie : je ne pensais pas avoir raison si tôt. J’avais mis beaucoup dans cette tentative de dépeindre ce à quoi pourrait ressembler 2013. Mon unique objectif était de lancer des pistes sans chercher à en voir une matérialisation littérale, surtout si tôt, 2012 à peine terminée. Entre temps, les leaks du premier véritable LP solo d’A$AP Rocky ont envahi le web en quelques heures et ont permis d’y voir un peu plus clair : Rocky a vécu.

A$AP Rocky n’est pas un rappeur, non, il n’est pas un musicien non plus, il est un produit de son époque. De ceux qui se sont fait repérer d’abord sur Youtube pour ensuite être signés à la faveur de bon nombre de chiffres alignés dans l’encadré  des vues enregistrées. Et ce sans n’avoir auparavant prouvé grand-chose si ce n’est la capacité à créer un buzz. Grand écart, le voila aujourd’hui qui défile affublé d’une robe de couturier et se voit déjà aux portes de la perte de contrôle total de sa musique…

2007 : Rocky rassemble quelques potes capables de produire des sons et réaliser des vidéos qui serviront à installer une identité et un univers simple mais qui fonctionne assez vite. Cet univers que l’on retrouve sur le morceau emblématique, celui qui aura permis à la A$AP Mob d’exploser au grand jour, et le morceau le plus réussi jusque là, ‘Purple Swag’. En 2011, tout s’accélère : d’abord la compilation de Pure Baking Soda qui fait le tour du web, l’un des éléments qui va permettre à Rocky d’entrer dans la catégorie « espoir ». Un mois après, c’est la consécration avec ‘Peso’ produit par Ty Beats qui entraîne la signature d’un deal avec Sony/RCA et Polo Grounds, suite à un paquet de tractations en coulisse. A la sortie de l’été 2011, c’est le carton total : tout le monde n’a plus que les mots ‘purple’ et ‘swag’ à la bouche, jusqu’à frôler l’écoeurement.

Mélanger des influences de Houston et ses environs aux productions planantes d’un Clams Casino en plein boom, le tout porté par un natif d’Harlem. Le combo est fatal et fonctionne à plein régime. Rien d’étonnant à ce que la première mixtape qui va suivre, « Live. Love. ASAP », soit acclamée largement par commentateurs et auditeurs. Rocky y fait montre d’une facilité d’expression sur divers terrains qui empruntent à plusieurs esthétiques du rap, tout en conservant un gros tropisme sudiste à base de refrains chopped & screwed et d’égotrips dans tous les sens. Et ce en dépit de vraies lacunes en matière de flow et d’écriture; deux points noirs qui vont poursuivre Rocky. De fait, ce sont surtout les ambiances travaillées par Clams Casino, Ty Beats, Soufien3000, DJ Burn One ou SpaceGhostPurp qui permettent à Rocky de s’exprimer pleinement. Et sans lesquelles il se retrouve étrangement à poil, comme un rappeur lambda.

En 2012, c’est la large machine Sony/RCA qui se met en branle et fait apparaître Rocky partout : en tournée avec Kendrick Lamar et Drake, interviewé et commenté par toute la presse occidentale, en live sur toutes les scènes importantes du moment, à commencer par le Pitchfork Music Festival durant l’été (un show annulé puis reprogrammé après une vaste blague d’une bagarre de gamins). Enfin, la consécration, en feat avec Rihanna au MTV Music Awards en septembre. La boucle est bouclée, Rocky accède au top de l’industrie musicale grâce à quelques vidéos Youtube et un buzz web bien senti. A l’heure où beaucoup évoquent la relève assurée d’un rap new-yorkais (qui n’en a plus que le nom) moribond depuis trop longtemps, quelques questions légitimes apparaissent alors quant à la capacité de Rocky et de la team A$AP à gérer cette attention croissante au fil des mois qui s’écoulent. Et surtout : à gérer tout l’aspect artistique et musical à 24 ans, lorsque l’on a sauté les antichambres permettant un apprentissage du travail requis pour évoluer avec application dans un milieu si particulier.

Aussi, ce « Long. Live. ASAP », premier LP d’A$AP Rocky, se présentait déjà comme un premier pas compliqué pour le leader de la A$AP Mob. Avant tout en raison d’une gestation complexe, ponctuée par deux reports consécutifs de la sortie officielle. Annoncé pour le 11 septembre, il se voit repoussé au 31 octobre, un an pile-poil après la sortie de sa première tape, puis une seconde fois décalé au 13 janvier prochain pour des histoires de clearage de samples; Rocky refusant d’enlever quoi que ce soit à son LP pour en faciliter la publication. Sûrement qu’en coulisses RCA s’est appliqué à négocier longuement les droits d’utilisation, à coups de gros sous. Si l’épisode n’a rien d’exceptionnel, il est la marque d’un manque de sérénité certain, pour un artiste dont le premier LP doit servir de point de départ à un projet musical plus important encore.

Sur le terrain purement musical, c’est aussi et surtout le timing qui se révèle somme toute assez compliqué à suivre : l’enregistrement de certains morceaux remontent à 2011, la sortie du premier single s’est faite en avril 2012, à l’époque où le LP était encore prévu pour septembre, la tournée de l’automne dernier en compagnie de Danny Brown et SchoolBoy Q devait servir à faire la promotion de l’album effectivement sorti mais n’aura été, au final, qu’un coup d’épée dans l’eau. Et ce même si ‘Goldie’ puis le second single, ‘Fucking Problems’, sont de vrais succès commerciaux. Mais avec l’énorme machine promotionnelle derrière, il est difficile de faire moins que ça.

Aujourd’hui « Long. Live. A$AP » est sur nos disques durs et dans nos lecteurs de musique et nous remet face à la réalité crue dans laquelle baigne la musique d’A$AP Rocky : il ne reste pas grand-chose, une fois l’ouragan de 2011 derrière nous. Rocky semble bien démuni alors que son momentum semble bel et bien passé. Le voila replongé dans ce qu’il n’aurait pas du quitter avec précipitation : cet espace où il doit encore faire ses preuves. Sur le papier, ce premier LP se présente comme une déclinaison logique de sa dernière tape en date, upgradée par la présence de quelques invités triés sur le volet pour donner l’impression d’un casting all stars chez les jeunes qui montent vite  (Kendrick Lamar, Yelawolf, Big K.R.I.T., Danny Brown, Action Bronson, Joey Bada$$, Schoolboy Q…) rassemblés en réalité sur une poignée de morceaux; laissant Rocky seul face à ses turpitudes sur l’essentiel du disque, micro en main ou à la production sous l’alias “Lord Flako”. Côté producteurs invités, on retrouve l’habituel Clams Casino, Soufien3000 de retour sur ‘Pain’, 40 allié à son pote Drake masqué, T-Minus ou encore Hit Boy, des noms improbables (Danger Mouse, un remix des Birdy Nam Nam, vraiment ?) ou des petits jeunes qu’on aime particulièrement par ici (Friendzone).  Si l’on croise quelques noms hors rap pur (Jim Jonsin, Santigold ou Skrillex pour ce qui pourrait être le pire morceau de 2013 haut la main), on se rend vite compte de l’éclatement de style auquel on va avoir droit en l’espace de 12 morceaux, sans les bonus. Une nouvelle qui n’est pas de nature à nous rassurer au moment où Rocky doit encore nous prouver que l’univers qu’il a commencé à dépeindre n’était pas qu’une illusion auditive.

A l’épreuve de l’écoute, il n’y a pas besoin de beaucoup agiter le disque pour qu’il se désintègre de lui-même. L’ennui affleure à chaque début de morceau, en raison d’un incompréhensible choix de productions tellement faiblardes et anonymes qu’on en vient à chercher un sens à tout ça. Impossible de se dire que tout ceci ne cache pas quelque chose. Mais on erre dans un espace désertique qui ne propose rien de particulier, pas de deuxième lecture, pas d’angle subtilement différent pour entendre ce que Rocky nous raconte. On pourrait dresser une liste exhaustive des surprises de ce LP : la petitesse des productions d’un Clams Casino sur la retenue, habituellement percutant même si pas toujours innovant dans sa formule, fait peine à entendre ; le single ‘Goldie’ signé Hit Boy lui aussi tellement en-dessous de ce qu’on aurait pu attendre, avec sa routine simpliste qui peine à élever le niveau et à porter l’auditeur au niveau d’excitation nécessaire, rencontré auparavant sur certains morceaux de Rocky. Un hasard ? Soufien3000 est peut-être l’un de ceux qui s’en sort le mieux avec un ‘Pain’ qui reprend les bases de ce rap embrumé downtempo, tout en nappes de synthés et breaks percutant. Une composition classique mais qui a le mérite de tenter d’amener un peu de corps à un disque qui sonne étrangement faible et fragile.

Mais ce constat s’explique très simplement : le manque de charisme au micro d’A$AP Rocky transpire dans tout le disque, contaminant les beats retenus. Des compositions qui, mieux exploitées, auraient sûrement sonné différemment. Mais Rocky est un rappeur moyen qui n’insuffle ni énergie ni intensité à ses apparitions. Son flow est fragile, porté par ce corps malingre et chancelant dont on a l’impression qu’il s’effondrera sur lui-même à chaque nouveau couplet. Pire : Rocky est anonyme lorsqu’il est mis en concurrence avec quelques compères du moment; notamment sur ‘Fuckin’ Problems’ et ’1 Train’, riches en feats. Drake ou, dans une moindre mesure, Kendrick Lamar lui montrent à quel point il est loin d’être de leur niveau. Surtout le natif de Toronto qui, en un couplet sur ‘Fuckin’ Problems’, lui donne un aperçu de ce qu’est un MC en pleine possession de ses moyens. Je vous renvoie à 1min42 pour vous rendre compte que ce que fait Drake en l’espace de 40 secondes annule purement et simplement le reste du disque. Et il n’est pas le seul : Danny Brown compense par ce petit grain de folie qu’on lui connaît, Action Bronson prouve qu’il est l’un des MCs les plus impressionnants du moment, dans la droite ligne de sa grande année 2012.

La liste pourrait être allongée tant Rocky semble voyager comme un parfait inconnu dans ce train qu’il a lui-même créé. Du moins il semble légitime de s’interroger sur l’implication réelle du natif de Harlem dans la confection de son disque. L’A$AP Mob a complètement disparu ou presque, ce qui faisait l’identité réelle de Rocky. Et ce même s’il ne s’agit que d’un groupe de gamins qui se marrent, ce « Long. Live. ASAP » pue un peu trop le casting hollywoodien pour manger à tous les râteliers tout en se foutant d’une réelle identité musicale. Une réussite sur le plan commercial probablement, mais le musical en prend un coup. Tout l’inverse de ce qu’a cherché à faire un Chief Keef sur son « Finally Rich », en réalité. Intransigeant et fidèle à sa formule qui l’a fait apprécier du grand public. Ici, les morceaux sont portés par des erzatzs de mélodies étrangement squelettiques et désincarnées, par ces rythmiques standards qui n’imposent absolument aucun challenge à l’auditeur. De ces challenges qui, une fois surmontés, vous gratifient d’une récompense en vous faisant rencontrer un disque qui vous accompagne de longs mois durant sans jamais faiblir.

Où est l’énergie que l’on est en droit d’attendre d’un jeune rappeur de 24 ans qui sort son premier LP ? Là où Rocky avait débarqué avec une patte sonore marquante, quoi qu’un peu limitée sur la durée, il y a deux ans, il n’en reste aujourd’hui que quelques morceaux répartis ici et là sans aucune logique. Le disque ne raconte rien, ne véhicule rien. Pire, il semble vivoter sur ce territoire où le désarroi a élu domicile et s’est fait maître des lieux. Et ça n’est pas la tentative intéressante mais trop exceptionnelle pour suffire du morceau bonus ‘Jodye’ et son ambiance d’épouvante, de mysticisme décalé, signée Joey Fatts, qui va redresser la barre. Sans parler des fautes de mauvais goût évident, Skrillex en tête, ou des morceaux ratés parce que vides de sens, le  ’Hell’ de Clams Casino entre autres. Un gâchis que l’on voyait venir mais dont on n’attendait pas qu’il nous dévoile un Rocky aussi fragile.

« Long. Live. ASAP » est une plongée derrière le carton-pâte d’un univers des A$AP Mob qui n’aura pas vécu suffisamment pour savoir ce qu’il serait advenu si la team, à commencer par Rocky, avait été prise en main par quelqu’un qui s’intéresse réellement au devenir musical des New-Yorkais. Tout l’inverse de ce que Sony/RCA a cherché à mettre en avant sur ce disque. En un seul LP, le label casse déjà son tout nouveau jouet à qui la promo et les coups marketing avaient imposé beaucoup trop de pressions pour réellement compenser les défauts criants : ce manque de charisme et de talent un micro en main alors qu’il clame être le « roi » tous les deux morceaux. Un péché d’orgueil fatal.

Rocky a vécu mais le titre de son disque l’annonce déjà pour celui qui lit entre les lignes : « Long. Live. ASAP » ne sonne pas comme le premier accomplissement du rappeur mais comme une formule toute faite qui souhaite bon vent à la team, de manière un peu cynique. Une fois que les lumières factices et les apparats auront disparu, Rocky restera là, désoeuvré, au milieu de ce champ de ruine qui était autrefois ce que sa musique aurait pu devenir. Une nouvelle branche d’un rap new-yorkais qui n’en finit plus de se chercher et se plonge toujours plus dans la nostalgie et les souvenirs des 90′s pour tenter d’exister de nouveau en 2013. Rocky, lui, pourra continuer à défiler sur les podiums et jouer les stars en carton. « Long. Live. ASAP » nous aura déjà dévoilé ce qu’il y a derrière, cette absence de sens visible au-travers de ce rap malingre qui peine à dissimuler ses faiblesses et qui a bêtement écarté la seule chose qui lui permettait d’exister : la tentation d’explorer plus loin encore l’univers A$AP passé comme une comète dans notre espace sonore et dont on attend toujours qu’il s’impose réellement. En vain, probablement.

https://www.youtube.com/watch?v=8tqmIsF4s48&feature=youtu.be