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Au premier abord, All God’s Sons and Daughters : Chicago’s Gospel Legends est une compilation comme on n’en trouve des centaines dans tous les genres musicaux possibles et inimaginables. Effectivement elle compile simplement, tout au long de 25 titres, quelques-unes des plus belles chansons de dix des grandes voix du black gospel de Chicago de l’après seconde guerre mondiale. Ce « simplement »,  on pourrait considérer que c’est déjà beaucoup tant une illustration de cette période constitue en soi un témoignage musical historique passionnant, mais la proposition de All God’s Sons and Daughters est en réalité encore bien plus forte. Tout d’abord, il s’agit d’un document sonore précieux, tant il est souvent difficile de se procurer les chansons des dix artistes représentés ici à savoir Roberta Martin, Gladys Beamon Gregory, Imma Gwynn, J. Robert Braley, Delois Barrett Campbell, Bessie Folk, Myrtle Scott, Robert Anderson, Norsalus McKissick et Eugene Smith. Mais surtout, il s’agit, malgré l’aspect compilation, d’une œuvre au final cohérente qui offre une réflexion passionnante sur le temps.

Effectivement les titres qui composent All God’s Sons and Daughters ont été enregistrés à trois époques différentes : certains proviennent d’enregistrement d’époque des années 40 et 50, d’autres sont issus de sessions des années 80 où ces pionniers du gospel avaient déjà été réunis, tandis que les derniers ont été enregistrés en 97 spécialement pour l’album avec au micro des chanteurs et chanteuses fatigués, usés par la maladie, et qui arrivaient à peine à tenir debout. Et pourtant All God’s Sons and Daughters dégage une unité incroyable, comme si les cinquante ans qui séparent certaines prises s’effaçaient complètement face à l’impact spirituel. Oh bien sûr, le grain et les voix permettent à celui qui en a vraiment envie de dater les enregistrements, mais il faut au contraire se laisser aller à la cohérence de ce message qui ne vieillit pas, à ces complaintes qui sont toujours d’actualité. D’ailleurs il est intéressant de noter que la compilation prend la peine de ne jamais préciser de quelle époque sont originaires les titres, comme s’il s’agissait d’une information secondaire, qui ne pouvait que parasiter la ligne.

On a alternativement l’impression soit que les chansons sortent d’un vieux poste de radio et qu’elles égayent un dimanche après-midi d’un passé lointain, soit d’assister en live à un concert gospel dans une église baptiste. C’est très simple, à certains moments, on s’étonne clairement de ne pas entendre les gens frapper dans leurs mains. On sait combien le négro spiritual est une des racines principales de toute la musique américaine, on sait comment les rythmes africains sont à la source de tout, et on constate régulièrement la manière dont le gospel a défini la notion de refrains qu’on peut reprendre en cœur dans les stades – une messe où les gens ne se lèvent pas pour danser étant une messe ratée, les gospel songs ont très tôt eu recours à des phrases clefs fédératrices que la foule pouvait reprendre en choeur, des « Jesus Knows Me » et autres « Thanks God » ou encore des « Oh Yeah » comme sur le After it’s all over de Roberta Martin. Mais ce qui me surprend à chaque écoute de All God’s Sons and Daughters, c’est avant tout la charge émotionnelle que porte ces chansons.

Le gospel, à mes yeux, ça a toujours été une grande famille qui se fichait pas mal des frontières. Il y avait Thomas A. Dorsey à Chicago, William Herbert Brewster à Menphis et Mahalia Jackson à la Nouvelle Orleans, et tout le monde fréquentait tout le monde. Et aujourd’hui encore, je serais bien embêté pour définir les spécificités du gospel chicagoans. Mais s’il fallait les chercher, je m’attacherais surement à cette sphère émotionnelle, à cette tristesse qui fait souvent passer le rythme après la langueur du piano. Plus que le jazz et le blues, j’ai l’impression que ce gospel s’est accoquiné avec la country et avec les chansons populaires des travailleurs ; oui peut-être que c’est un gospel qu’on chante devant son perron (Move on up a little finger par Robert Anderson) ou le soir en rentrant d’une harassante journée de travail (He knows how much we can bear par Eugene Smith).

Ces gamins (parce qu’à l’époque il s’agissait bien de gamins) restaient attachés à leur église locale, comme certains restent aujourd’hui affiliés à la salle de concert de leur quartier. Mais bien que politiquement et religieusement attachés à leur paroisse, ces enfants avaient un goût certain pour les influences d’ailleurs, pour les mélanges et pour le partage avec leurs homologues des autres églises. Bien que All God’s Sons and Daughters propose essentiellement des prestations solos, on devine derrière les voix tout l’univers des chorales et des quartets.

Dans les monuments de l’album, il y a les trois titres de J.Robert Bradley, celui dont Martin Luther King disait qu’il était son chanteur gospel préféré ; trois titres probablement parmi ceux enregistrés en 1997 (J.Robert Bradley n’a jamais arrêté de chanter). Je connais mal sa biographie et je me suis étonné de le retrouver sur cette compilation (il est clairement originaire de Menphis et non de Chicago), mais à l’écoute sa place y est évidente. Sa voix de baryton-basse est parfaite à côté de la voix à la fois rauque et chaude de Robert Anderson. Il permet aussi surement de contrebalancer une compilation qui, sinon, aurait rapidement pu (dû) s’appeler « Roberta Martin and Friends ». Car All God’s Sons and Daughters s’est avant tout l’histoire de Roberta Martin et de ceux qui ont composé le The Roberta Martin Singers, car finalement sur les 10 légendes de Chicago, 7 ont fait partie de The Roberta Martin Singers (sans compter que Gladys Gregory les a rejoint sur plusieurs tournées). Mais après tout ce n’est pas grave, tant l’empreinte de ce groupe est forte. Lorsque que je disais que All God’s Sons and Daughters se focalisait sur des expériences solo, ce n’est pas tout à fait juste. En réalité, la majorité des chansons issues de la sphère Roberta Martin sont des chorales où un chanteur prend le lead, donnant ainsi rapidement cet effet solo. Effectivement Roberta Martin aimait les individualités et les différences, et son groupe fut le premier à mélanger voix féminines et masculines et à donner l’opportunité aux petits jeunes de s’exposer pleinement.

Même pour un non-croyant comme moi, ça sert le cœur d’entendre toutes ces voix, disparues aujourd’hui, louer le Seigneur. En 1999, lorsque All God’s Sons and Daughters est sorti, quelques-uns des chanteurs étaient encore en vie. Mais depuis, Bessie Smith Folk est morte en 2001, J.Robert Bradley en 2007… et cet album est devenu un canal qui ramène à notre réalité des voix mortes de différentes époques. Et au-delà des prières, au-delà de l’engagement politique et social, au-delà de la lutte contre le racisme et de tout ce qui forme le cœur du gospel, il y a ici une émotion intemporelle qui donne envie de continuer de prier les morts.

>> Références:
– Livret de All God’s Sons and Daughters : Chicago’s Gospel Legends
People get ready : a new history of black gospel music  par Robert Darden

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