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MARIAGE À MENDOZA : frères de sang d’encre

Sortie : 23 janvier 2013. Durée : 1h 34min

Par Alexandre Mathis, le 22-01-2013
Cinéma et Séries

Au pays du feel good movie, le sous-genre habituellement le plus détestable reste le film de vacances entres potes. Mais si ces vacances sont en fait un road-trip à travers l’Argentine et que ce voyage est l’occasion de passer du temps avec son frère, la donne change. Avec Mariage à Mendoza, Édouard Deluc signe un premier long-métrage sincère et frais. Il offre d’abord un savoureux cadre comme décor de son périple : l’Argentine. S’il ne magnifie pas le paysage, il parcourt assez le pays pour que l’évasion fonctionne. Le road-trip est clair : deux frères doivent se rendre au mariage de leur cousin. Ils prévoient une ou deux étapes sans se douter que l’essentiel de leur parcours sera intérieur. Car Antoine (Nicolas Duvauchelle) est au plus mal. Sa femme l’a quitté, il se demande s’il va la revoir. Il débarque à l’aéroport shooté aux médocs pendant que son frère Marcus (Philippe Rebbot) prend les choses en main.

Un point de départ banal mais amusant. La réussite du film tient d’abord sur ses acteurs, flamboyants, dont la gouaille sert d’argument comique. Philippe Rebbot — second rôle trop peu connu — porte presque tout sur ses épaules. Tchatcheur à souhait, il manie un mélange de français, d’anglais et d’espagnol baragouiné tel un funambule faisant le clown à dix mètres du sol. Son accent à couper au couteau fait rire, ses tournures de phrases bancales aussi. Avec son allure de grand serin, il dynamise les situations banales. Entrent aussi dans la danse un hôtelier divorcé pot de colle, une jolie argentine charmeuse et quelques pièces rapportées plus ou moins influentes. Seulement, Deluc escamote trop souvent ce qui aurait pu devenir délirant. Un exemple parmi d’autres : les deux frères se retrouvent dans une sorte de maison close clandestine. Embarqués chacun de leur côté avec une prostituée, ils se retrouvent à chanter et danser sur du karaoké. Le montage alterné fonctionne, bien rythmé entre silences, gêne et plaisir de la situation incongrue. On sent le délire monter. Mais comme dans un coït interrompu, les deux hommes s’enfuient au moment où cela devenait délectable. En résumé, le délire s’enclenche, les personnages semblent vivre un moment dont ils se souviendront toute leur vie alors que le spectateur assiste à une scène anecdotique.

Tout le film joue ainsi avec son humour aigre-doux. Quand il faut retrouver la voiture volée, quand il s’agit de draguer la jolie Gabriela ou quand Antoine veut faire croire à son ex-femme qu’il est gravement blessé, Mariage à Mendoza ne va pas assez loin. Une exception notable : une soirée chez l’ex-femme de l’hôtelier où se dessine le portrait de presque tous les personnages. L’humour cohabite avec la gravité de la situation, l’alcool entre en jeu, les dépressions et les jeux de dupes aussi. Deluc lâche les rênes et crée un cercle vertueux au sein de sa narration. Pour le reste, le film souffre d’un scénario trop mécanique. Les trajectoires des frères fonctionnent en vases communicants. Pendant que l’un est au fond du gouffre, l’autre surnage. Et plus le premier reprend goût à la vie, plus le second sombre. Si Duvauchelle et Rebbot portent constamment leur spleen sur eux, la mécanique trop peu naturelle empêche une vraie prise de position du cinéaste.

Du coup, on se balade non sans déplaisir dans ce périple pour finir dans un mariage mi-figue mi-raisin dont le grand intérêt est de sentir à quel point une chape de plomb invisible couve au-dessus de tous ces personnages. Dans une réconciliation de circonstance, tous les protagonistes trouvent leur place socialement, à coups de grandes promesses (l’accomplissement du mariage donc, mais aussi l’avenir entrevu par les deux frères). La mine faussement joyeuse de Benjamin Biolay en marié résume bien l’état de fait de Mariage à Mendoza. Il tente de dire pas mal de choses, mais par timidité, n’ose pas affronter complétement son sujet. Peut-être aussi aurait-il fallu rendre ce décor argentin plus viscéral. Du coup, le film se réfugie dans sa générosité, partagée avec le spectateur. On apprécie la musique des excellents Herman Düne, on regarde avec tendresse ces anti-héros qui nous ressemblent pas mal. On souhaite surtout qu’à l’instar de ses personnages, Edouard Deluc ait profité de ce tournage pour se promettre d’être plus radical à l’avenir.