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Lucinda
Georgia
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Portrait
Paysage

Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura,
ché diritta via era smarrita.*

Quelle est cette obscurité?
La glace peut-elle être plus sombre que le jais?

L’oeil est trompé par cette ombre abondante. Les autres sens en éveil, dessinent en pointillés pour suppléer. Les yeux mi-clos, de la main tatônnant… Il fait sombre et froid et on ne sait pas. L’ombre nous méprend et la nuit nous ment.
On se trompe. L’ombre lunaire fait de la moindre branche un monstre, d’une souche une gueule loup. On ne saura qu’à la fin ce qu’on a parcouru. Quand la pop froide aura cédé la place à un rock martial, puis au blues lugubre. Une course effrénée qui marque le pas. Une fois quitté la barque de Charron qu’est-il besoin de courir. S’élancer comme le chien s’ébroue, pour se débarrasser des dernières miettes de vie. Danse de mort pour notre corps transi. Impavide transe du nord. Le froid te mord.

En onze étapes, le voyage intérieur nous ramène aux portes du jour. Pulsion de mort, envie de meurtre, L’hiver et la joie reflète nos rêves et nos fantasmes. La bête est tapie là, au fond de notre nuit.

Cette pop minimale, de Young marble giants à the XX, de Quark à Tristesse contemporaine, grave à l’encre de Chine la surface de vinyle noir. Inciser le reflet laqué, s’y inscrire en creux. Par où est donc passé cette musique pour parvenir ici? Par quelle bolge, quel vallon maudit, dont le relent fétide aura imprégné son pas. Par le rock, sur ma route, par la new wave sans doute. D’où vient ce chant? De Maldoror, mais encore? Ce chant qui ne chante pas vraiment, si peu virtuose, n’est-ce pas en empruntant le même chemin que Nico ou Valerie Tong Cuong qu’il en impose? Même Dominique A s’invite au banquet funèbre. Pour assister à quoi, à quel rite païen, à quelle invocation?

Quand la guitare prend le devant, un blues gris cendres se peint sur tes lèvres. Alors ta modernité, tu en fais fi? Alors comme Gil Scott-Heron tu abandonnes la pointe de l’acier le plus neuf dans le vieux chaudron des aïeux. L’hiver et la joie, titre et programme, devise brodée sur le blason. Tout est noir de nuit, gris de pierre, froid de glace et de bise. Robi chante dans sa tête, invoque pour sa sauvegarde les esprits que le sol crevassé découvre à nu. Robi chante dans ma tête, manipule mes rêves comme une marionnettiste.
Mais il y a plus, et l’on ne sait à qui demander.

C’est la peau qui nous dit. Ce courant qui agite l’épiderme. Frémissement de la basse, qui froisse le poil en forme de point d’interrogation. C’est la peau qui nous dit, dans tant d’obscurité ce n’est pas à nos yeux qu’on se fie. La basse ondule, les hanches roulent, c’est le début du disque on en a pas encore vu le bout. On ne meurt plus d’amour, est-ce une bonne nouvelle? On ne meurt plus d’amour, mais les dernières notes cinglantes nous le disent : on meurt. On meurt. Tout court.

Cours, Robi, les yeux mi-clos tu ignores où tu es, où tu vas, cours, Robi, cours vers ta perte, à perdre haleine. Quand tu auras dansé, quand tu auras couru, dévalé et parcouru, les chevilles écorchées… alors, quand demain tu auras fini de danser? Quand tu seras perdue, te souviendras tu?
Quand les pieds crevassés tu interrompras ta course, verras tu que le monstre que tu fuis, que tu cherches, est en toi depuis tout ce temps, depuis toujours?

Après la danse, après ta transe, revient la peur immense. Après la danse après le rock, regarde celui que tu invoques. Tes chansons d’un blues épitaphe rappellent l’essentiel : la musique est un don du diable. Ce don, on ne meurt plus d’amour, assures-tu. Il est donc réservé aux tortures, à coeur ouvert, avant la flétrissure.

Et tout ralentit.

La lune se reflète sur tes perles de sueur. Ton regard froid réfléchi par le sang de ta victime.

Robi, qu’as-tu fait? Robi, qui as-tu invoqué?

* Au milieu du chemin de notre vie
je me retrouvai par une forêt obscure
car la voie droite était perdue.

Dante Alighieri, L’enfer.

>> Robi sera en tournée en mars (le 25 à Paris) et avril
album L’hiver et la joie, sorti le 4 février