Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

NO : vers la lumière

Sortie le 6 mars 2013 - durée : 1h57min

Par Thomas Messias, le 07-03-2013
Cinéma et Séries

On dit de No qu’il clôt la trilogie de Pablo Larraín sur la dictature de Pinochet, après les immenses Tony Manero et Santiago 73 post mortem. Non moins immense, le quatrième film du cinéaste chilien — qui débuta avec Fuga — est remarquable à plus d’un titre parce qu’il marque une fin de cycle tout en initiant lui-même une nouvelle phase chez le metteur en scène. Cette fois, et de façon fort inattendue, Larraín se tourne vers la lumière. Il annonce en préambule la fin de la dictature de Pinochet. Il emploie le beau et brillant Gael García Bernal pour le premier rôle du film, laissant le brillant mais disgracieux Alfredo Castro — héros de ses deux précédents films — jouer les rabat-joie en arrière-plan. Il semble croire enfin à l’existence d’une autre conception de la vie, où le cynisme et la cruauté pourraient parfois laisser place à l’expression de convictions. No est un film brillant qui s’appuie sur une histoire vraie pour montrer, sans naïveté aucune, que changer les choses est possible.

Avant d’aller plus loin, un petit rappel historique est nécessaire. Celui-ci est d’ailleurs effectué au début de No, de façon très artisanale, les feuilles d’un paperboard étant successivement tournées par une main invisible pour nous présenter les informations nécessaires à la compréhension du film. Il y a toujours chez Larraín ce désir d’instruire sans écraser, de rendre l’histoire ludique indépendamment de toute forme de gravité, et ce système très Dogme 95 en est la preuve la plus simple. Un peu d’histoire, donc : après avoir évincé le président Salvador Allende par la force, puis régné en dictateur sur le Chili, le général Augusto Pinochet finit en 1988 par accepter bon gré mal gré qu’un referendum national soit organisé afin de déterminer s’il est reconduit au pouvoir pour 8 années de plus — il a déjà gouverné pendant plus de 16 ans — ou s’il doit laisser la place à plus démocrate que lui. Une campagne électorale est alors organisée, avec notamment la possibilité pour les deux camps de disposer de 15 minutes d’espace télévisuel alloué pendant 27 jours. C’est là que débarque René Saavedra (Gael García Bernal), jeune publicitaire dans le coup, débauché par le camp du non afin de diriger sa campagne.

S’ensuit alors un formidable traité de stratégie publicitaire et politique, les deux domaines agissant l’un sur l’autre comme des frères ennemis, indissociables mais incompatibles. L’objectif de la campagne à lui seul est difficile à définir et source de nombreux débats internes : faut-il convaincre les partisans du oui de voter non, se concentrer sur les nombreux abstentionnistes potentiels, tenter de cibler tout ce monde à la fois ? Faut-il enjoindre les électeurs à se prononcer pour le non ou contre le oui ? De ce questionnement pas simple découle une succession de scènes absolument jouissives, spirituellement stimulantes sans jamais sombrer dans l’intellectualisme de base ou le didactisme forcé, qui fait de la stratégie politique un monstre difficilement maîtrisable, où convictions et ressenti doivent cohabiter sans se faire d’ombre. Larraín utilise un ton proche de la satire, rigolard mais pas désinvolte, s’autorisant un peu de légèreté grâce au happy end annoncé en exergue, mais restant toujours conscient de ce qui aurait pu guetter le Chili si le oui avait fini par l’emporter.

No est le récit d’une bataille perdue d’avance, où un petit quart d’heure de propagande quotidienne doit permettre de renverser des années de désinformation et de manipulation médiatique, où les défenseurs de la dictature brandissent les mots socialisme et communisme comme des couperets placés au-dessus de la tête de citoyens parfois persuadés que la main de fer de Pinochet est ce qui pouvait leur arriver de mieux. Terrible constat que celui du film : si le non l’a emporté, c’est certes parce que Saavedra et sa bande ont fini par trouver le ton juste, mais aussi et surtout parce que le camp du oui n’a pas su s’y prendre. Ne se limitant pas à un point de vue, Pablo Larraín va en effet fureter du côté de l’équipe Pinochet, à laquelle participent également quelques publicitaires. Confits dans leurs certitudes, aveuglés par la confiance, les défenseurs du oui ne mesuraient sans doute pas la portée de la tâche confiée. On peut évidemment se féliciter qu’ils n’aient pas exercé la pleine mesure de leur supposé talent.

Très drôle, No ne se contente pas de proposer quelques-uns des spots publicitaires proposés aux chiliens lors de ce fameux quart d’heure d’expression libre — on y trouve quelques pépites savoureuses, savamment disséminés tout au long du film —, mais entend également jouer sur toutes les formes de décalage qui se présentent à lui. Publicitaire renommé, habitué à vendre des sodas et des fours micro-ondes, Saavedra travaille sous les ordres de Lucho Guzmán (Alfredo Castro), son supérieur direct, conscient d’être moins doué que lui et rendu sympathique par sa petite médiocrité teintée de modestie. Or Guzmán ne se cache pas d’être un fervent défenseur de Pinochet, ce qui crée quelques tensions entre les deux hommes, traitées sous la forme d’un ping-pong comique rappelant au passage que No, avant d’être adapté par Pedro Peirano — collaborateur de Sebastián Silva sur La Nana et Les vieux chats —, était une pièce de théâtre. La drôlerie est partout ou presque, jamais martelée afin de ne pas prendre le pas sur le propos : par exemple, il faut voir Larraín s’amuser du symbolisme vaseux utilisé par les publicitaires dans leur campagne, qui défendent mollement des idées auxquelles ils ne croient pas franchement. Représenter les 17 partis défendant le non par un simple arc-en-ciel puis tenter de justifier l’emploi de chacune des couleurs, c’est le genre de situation absurde à laquelle se retrouve confronté Saavedra dans le film.

Reste que No, s’il fait son office avec une grâce infinie, ne donne jamais dans la candeur. Il s’agit bien de tenter de battre une dictature à la loyale, de faire triompher la démocratie sans employer la force, mais également d’échapper aux intimidations. Le régime de Pinochet a semé la mort au sein de la population chilienne, et le soudain assouplissement apparemment accepté par le militaire ne doit jamais faire oublier à quel point il reste un danger. Évidemment menacé des pires atrocités, Saavedra sait que reculer lui permettrait de protéger son fils à court terme, mais que persévérer lui assurerait sans doute une vie plus libre et épanouie sur le long terme. Sans jamais sombrer dans l’hagiographie, le film est une discrète lettre d’amour et d’admiration envoyée à ces héros dont les seules armes furent des images et des mots. À n’en pas douter, le regard droit et fier de Gael García Bernal, filmé dans un format 4/3 collant de très près à la réalité technique et esthétique de l’époque, restera comme l’une des plus éblouissantes images de l’année.