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Treme : the new orleans way of life

Suite à la saison 3 de la série de David Simon

Par Benjamin Fogel, le 27-03-2013
Cinéma et Séries

Treme

La Nouvelle-Orléans est une ville où le temps s’écoule différemment et où la culture ne s’érode pas aussi vite qu’ailleurs. Peut-être est-ce lié à sa situation géographique, au mythe du Mississippi, ou encore à ses origines caribéennes et créoles, mais dans tous les cas il s’en dégage un mystère culturel qui en fait une étrangeté américaine qu’il serait prétentieux d’essayer de synthétiser en quelques lignes.  Ce que j’en retiens, c’est qu’on ne s’approprie pas l’histoire de la Nouvelle-Orléans en jouant au touriste ou en regardant Treme. De part le passif de David Simon et par le brillant exposé que constituait The Wire, on aurait tendance à voir dans Treme comme un nouveau témoignage documentaire qui permettrait de comprendre la Nouvelle-Orléans sans y avoir mis les pieds. Mais je crois que ce n’est pas de ça qu’il s’agit – même David Simon n’a pas cette ambition-là. Parce que la nature même de la Nouvelle-Orléans est d’être insaisissable. Ce que montre admirablement bien la série (au point qu’on ait l’impression qu’il s’agisse de son leitmotiv), c’est que les habitants eux même ne sont pas fichus de déterminer ce qui fait la particularité de leur ville. Certes, il y a le rapport à la musique, à la fête, au patrimoine, mais la Nouvelle-Orléans est loin d’être la seule ville au monde à posséder ses attributs. Ici on voit des parents qui ont leur ville dans leur sang, mais qui sont incapables de transmettre les choses, au point que les enfants puissent dans un premier temps, se sentir étrangers à cette ville dont même eux ne comprennent pas les codes et l’histoire. Et pourtant, si l’on demandait à ces enfants d’où ils viennent et le lieu qui les définit en tant que personne, ils répondraient sans nul doute la Nouvelle-Orléans. C’est une ville qui se ressent et qui ne s’explique pas, et David Simon ne cherche pas à aller à l’encontre de ça.

La Nouvelle-Orléans n’est pas une particularité de la culture américaine, mais bien une culture à part entière.

En revanche, ce que Treme démontre, c’est que la Nouvelle-Orléans n’est pas une particularité de la culture américaine, mais bien une culture à part entière qui n’a finalement pas grand-chose en commun avec la culture générale de son pays. On voit bien comment les personnages de la série considèrent les autres états, les autres villes : il s’agit pour eux de contrées étrangères qui suscitent de l’intérêt, de la curiosité et du respect, mais qui restent des endroits avec lesquelles ils ne ressentent aucune proximité naturelle.

A défaut de pouvoir expliciter tous les tenants et les aboutissants, Treme utilise la musique, le plus évident des traits culturels de la Nouvelle-Orléans, comme un emblème, comme une sorte de personnification de cette différence, ou plutôt de cette singularité. C’est pour cela que la musique est aussi présente, quel que soit sa forme (en solo, en groupe, en big band ou en fanfare), son style (le jazz, la country, la pop, les chants indiens et même le sludge avec Eyehategod dans la saison 3) et son lieu d’expression (la rue, les bars, la scène, le studio). Elle agit comme un monstre tentaculaire qui englobe et incarne toutes les spécificités culturelles de la ville.

DJ Davis joué par Steve Zahn

DJ Davis joué par Steve Zahn

Cette différence culturelle, elle n’aurait pu être aux yeux du monde qu’une caractéristique lambda, un tropisme comme il y en a tant d’autres un peu partout dans le monde, mais en l’utilisant comme l’arme qui permettra de survivre à Katrina et de se reconstruire après l’ouragan, David Simon en fait un état d’esprit qui n’a rien d’une anecdote, mais qui est le moteur de la ville. Katrina est alors un catalyseur, une sorte d’épreuve de vérité où la musique va être l’outil de la reconstruction non dans une vision politique mais bien dans une vision sociale.

Tout au long de l’histoire, la musique a été utilisée comme arme politique. Mais Treme se place à un tout autre niveau. La série démontre la place de la musique non seulement comme créatrice de lien social, mais surtout comme un prisme qui va modifier la perception des habitants et le rapport à l’essence. Car ce qui marque dans Treme, c’est avant tout la manière dans les personnages sont tous plus éloignés les uns que les autres du american way of life ; non pas qu’ils aient échoué dans leur quête, mais tout simplement parce que c’est une quête qu’ils n’ont jamais entrepris. Si l’on peut y voir une interprétation politique qui consisterait par quelques raccourcis à voir dans la Nouvelle-Orléans l’une des villes les moins capitalistes des Etats-Unis, la série cherche surtout à présenter un groupe de personnes qui vit selon un référentiel de valeur où la réussite et le succès ne sont pas intrinsèquement liés à l’argent et à la célébrité.

Treme3

Les protagonistes de Treme n’ont aucun problème avec le succès tant que celui-ci ne corrompt pas leurs valeurs.

Il ne s’agit pas de dire que les Néo-Orléanais n’ont pas l’esprit d’entreprendre si cher aux américains ou bien qu’ils manquent d’ambitions. Bien au contraire même. C’est juste que la manifestation de l’intérêt personnel n’a pas la même dimension : ces derniers cherchent à réussir en phase avec leur culture, leur histoire et la collectivité. Les protagonistes de Treme n’ont aucun problème avec le succès tant que celui-ci ne corrompt pas leurs valeurs. Et, fondé ou infondé, c’est ce new orleans way of life que David Simon souhaite à illustrer, un mode de vie où le fait de monter des projets en phase avec son environnement est plus important que leur aboutissement en soi.

Sans tomber dans la simple énumération, il est intéressant de constater combien ce trait est le dénominateur de quasiment tous les personnages de la série. Delmond Lambreaux aurait pu tout donner pour sa carrière new yorkaise, mais a préféré finalement rester proche de ses racines ; comme son père, il est habité par une réelle exigence artistique, et se satisfait, en un sens, du simple succès d’estime ; son père « Big Chief » Lambreaux qui se fiche, lui, du peu d’emballement que son défilé génère chaque année – peu importe les heures et les heures de travail, peu importe qu’il ne laisse aucune trace dans l’histoire (il refuse que ses costumes soient exposés), l’important est d’avoir tout donné pour les quelques personnes qui se sentent connectés à cette culture. Antoine Batiste se remet en cause et veut faire évoluer son jeu vers quelque-chose de plus moderne, de plus free ; après toutes ces années il garde le sens du challenge, et cette évolution s’accompagne d’une prise de conscience que le plus important reste de « transmettre » la culture à la jeune génération. Toni Bernette et Terry Colson, eux non plus, ne lâchent jamais l’affaire. Ils sont une autre facette de l’intégrité que David Simon cherche à communiquer. In fine, ils se feront abattre par la machine, mais leur engagement restera plus fort que ça. LaDonna souhaite conserver son bar quel que soit l’impact sur sa vie personnelle. Elle cherche à le développer, elle y fait jouer des musiciens, elle cherche à préserver son âme. Malgré les événements tragiques qui lui sont associés (le viol, l’incendie) elle ne baisse pas les bras. Et que dire de Davis McAlary qui jette l’éponge à chaque échec pour finalement dès le lendemain se relancer dans une idée encore plus folle, en se disant que la musique est trop importante pour ne pas y consacrer sa vie.

L’important n’est pas d’atteindre ses objectifs, mais de continuer à y croire.

Aucun de ces personnages ne se laisse abattre par la vie, aucun ne reste sur ses échecs. Tant pis si la réussite comme on l’entend dans l’american way of life n’est pas au rendez-vous, tant pis si leurs succès restent à une échelle micro, ils exposent tous une forme d’accomplissement dans ce que j’appellerais la réalisation indé. L’important n’est pas d’atteindre ses objectifs, mais de continuer à y croire et de tout donner, et ce qu’on constate, c’est que chacun fait des avancées suffisante pour avoir la force d’y croire encore tout en restant toujours à la lisière de la réussite incontestable, et c’est cet entre-deux, cette zone intermédiaire qui fonctionne à la fois à la frustration et à l’impression de do the right thing en phase avec sa culture et son histoire que se loge une certaine philosophie de vie que j’associerai désormais énormément à la Nouvelle-Orléans.

Antoine Batiste joué par Wendell Pierce

Antoine Batiste joué par Wendell Pierce

D’ailleurs les rares personnages qui arrivent à atteindre leurs objectifs initiaux regrettent rapidement la situation d’entre-deux précédente. C’est le cas de Janette Desautel dont le rêve de posséder son restaurant la pousse à certaines compromissions puis l’amène à perdre la paternité de son nom (elle ne détient plus l’utilisation commerciale du nom Janette Desautel). Il y a une symbolique très forte ici : en rognant sur ses convictions pour atteindre ses objectifs (même si cela a été fait à contrecœur), Janette fait pire que se renier, elle perd son identité, comme si elle avait vendu son âme au diable. Le risque de se compromettre est permanant et mêmes les plus incorruptibles peuvent y succomber. On notera ici d’ailleurs l’intelligence de David Simon de faire passer cette métaphore au travers du milieu de la restauration et non via celui de la musique, évitant ainsi habillement le cliché du musicien qui se ferait dévorer par le méchant label.

On en vient alors au personnage de Nelson Hidalgo qui incarne un profil american way of life – originaire du Texas, il est l’entrepreneur pur et dur, l’homme de réseau qui va chercher l’argent là où il est – lâché au beau milieu du Treme. On sent qu’il développe un intérêt pour la culture de la Nouvelle-Orléans : il glisse dedans et, avec une curiosité certaine, cherche à se l’approprier. Il sera intéressant de voir dans la dernière saison, ce qu’il retira de cette plongée.

Alors que The Wire s’appuyait sur une galerie de personnage faisant le tour du cadran des qualités et des vices humains, Treme s’avère bien plus positive, chaque personnage ayant un vrai message à offrir sur la manière dont nous pourrions gérer nos vies.