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Carrières Modernes #4 : Adrian Orange, pour le meilleur et pour le pire

Par Nathan Fournier, le 18-04-2013
Misc
Cet article fait partie de la série 'Carrières Modernes' composée de 10 articles. Un essai de Playlist Society sur les carrières atypiques de musiciens et artistes aux bornes des schémas classiques. Voir le sommaire de la série.

Dans cette histoire, Adrian Orange présente un itinéraire particulier. Sous son nom, celui de Thanksgiving ou d’autres étranges patronymes, il a fait parti de la galaxie K Records. Il avait donc légitimité, exposition et une médiatisation (relative, certes). Aux côtés de Phil Elverum, il incarnait une partie de cette vague nouvelle de songwriters aux mélodies simples et aux paroles sombres. Il était jeune, avait la peau sale et les cheveux ébouriffés, et dans sa besace, une quantité impressionnante de chansons.

We Could Be Each Other’s Evidence, sous le nom de Thanksgiving, sorti confidentiellement en 2001, ou Bitches is Lord, cette fois sous le nom d’Adrian Orange sont des diamants bruts, mal enregistrés mais plein de la fougue et de la passion qui rendent des albums attachants. Entre ses premiers pas et 2007, Adrian Orange n’était qu’un nom de plus dans l’underground, un petit secret pas si bien gardé. Sauf que, après 2007, monsieur Orange disparaît. L’internet ne répond plus, trou noir. Les nombreuses recherches sur Thanksgiving ou Adrian Orange ne donnent rien de nouveau, que des vieilles sorties et la page non actualisées sur le site de K records. Ils tombent peu à peu dans l’oubli. Sauf pour quelques irréductibles qui continuent de hanter Google avec son nom.

Plusieurs possibilités dans l’esprit des adeptes : il est mort ; il est retourné à la vie normale, bien conscient que sa musique ne le fera pas vivre ; il a tout arrêté sans raison ; et autres raisonnements plus ou moins tragiques ad libitum.
D’un côté, cette disparition en a fait un artiste mystérieux, une étoile filante ou qu’importe. Disparaître sans raison, façon Jeff Mangum pour s’assurer le statut de mythe. Ses cassettes, albums et autres sorties deviennent des sésames, des objets difficiles à trouver même en mauvais mp3. De l’autre, ce n’est qu’une preuve de plus que le chemin habituel du musicien est parsemé d’embuches, et que même le talent n’assure pas la réussite.

Avançons jusque juin 2012. Dans un énième élan d’espoir, on tapote Adrian Orange sur notre clavier. On essaie des combinaisons, et on tombe sur d’étranges sites. Un tumblr, deux ou trois comptes bandcamp. C’est bien lui, c’est bien Adrian Orange et son air d’adolescent mal rasé. Il fait des vidéos de lui à la guitare, sans même éteindre la télé derrière lui et publie tout et surtout n’importe quoi sur différents canaux de publications du net. Entre faux LPs, faux EPs, vraies chansons ou chansons d’autres (on y trouve un titre de Joanna Newsom, par Joanna Newsom en introduction d’un EP), l’univers d’Adrian Orange explose aux yeux et aveugle totalement l’adepte. De pas assez à trop, d’un coup, on se retrouve perdu dans ces amas sans fins de chansons et de bouts de trucs mal enregistrés, mal chantés, et mal foutus. Adrian Orange a découvert internet, et la réalité nous a rattrapé. On se retrouve perdu dans le labyrinthe de son esprit, sans repère, sans structure.

Bien sûr que non il n’était pas mort, bien sûr qu’il continue de faire de la musique. Il était juste à l’ombre. Il était dans son coin, à faire de la musique pour le plaisir de faire de la musique, sans vocation, sans pression (s’il a jamais eu à subir une pression quelconque, d’ailleurs). On y trouve des pièces totalement expérimentales, du reggae, du folk plus lo-fi que la première cassette de Daniel Johnston et beaucoup de titres sans aucun intérêt. Adrian Orange a juste ouvert son journal intime au monde. Il ne prend plus le temps de nommer ses chansons. Ce sont des moments de sa vie qu’il met en ligne, sans filet. Il y chante faux et mal, y fait des erreurs. La seule différence entre le Adrian Orange de 2007 et de 2012, c’est que le tri n’est plus fait. Il n’y a plus personne pour choisir ce qui mérite d’être entendu ou non, pour le meilleur et pour le pire. Alors on se résigne, et on apprend à accepter qu’il faille chercher les perles rares, et que tout ne puisse pas être bon. Il faut devenir explorateur et prendre son temps pour découvrir la matière rare, celle qui nous avait rendu accroc au début des années 2000.

À propos de Adrian Orange and Her Band, sa dernière sortie « sérieuse », en 2007, K Records explique : « This will probably be the last cohesive album of songs by this artist. It is in the process of vanishing in to the all, the beautiful unknown ». La décision était donc préméditée. Adrian Orange a choisi le tout ou rien. À chacun de choisir s’il veut le suivre ou non.