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De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites : radieuses radiations

Sortie en dvd du film de Paul Newman le 7 mai 2013. Durée : 1h34min

Par Alexandre Mathis, le 07-05-2013
Cinéma et Séries

Dans l’une des premières scènes, Béatrice Hunsdorfer, la mère de famille, essaie des perruques. Se grimer pour mieux s’évader, s’essayer un autre « moi » pour trouver sa place dans le monde, Béatrice tente une évasion que l’on sent impossible. A priori, De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites parle d’évasion. Autour de la mère de famille gravite deux adolescentes : Ruth, l’aînée révoltée, et Matilda, plus réservée. La première côtoie les garçons et fait la pom-pom girl quand la seconde se donne corps et âme à des expériences scientifiques sur des marguerites. Se dessine alors une chronique sociale intelligente, subtile, sans hystérie. Avec son titre à rallonge, De l’influence des rayons gamma… entrouvre sa licence poétique ténue mais touchante.

Sorti en 1972, il demeure l’un des rares films fait par Paul Newman (6 films à son actif entre 1968 et 1987). A la différence de son contemporain Clint Eastwood, sa carrière derrière la caméra ne décolla jamais complètement. Il aura fallu attendre 2013 pour qu’un dvd sorte enfin en France. Car si le film jouit d’une belle réputation, il fallait jusqu’alors se jeter sur les quelques ressorties en salles (donc dans les grandes villes) pour avoir une chance de voir ce cousin du cinéma de Cassavetes. A plusieurs reprises, la parenté avec Une femme sous influence (qui sortira en 1974) se fait sentir. Béatrice (Joanne Woodward) et Mabel (Gena Rowlands) sont deux femmes au foyer que l’on marginalise à cause de leur douce folie. Dans un cas comme dans l’autre, Newman et Cassavetes posent un regard tendre mais frontal sur des héroïnes mal aimées, néfastes pour leurs entourages. Certaines scènes se répondent même. Mabel draguera dans un bar avant de repousser les avances d’un amant tout acquis. Dès 1972, Béatrice fait de même avec un homme qui l’accompagne chez lui avant qu’elle ne le repousse dans un grand fracas. Chez Newman comme Cassavetes, le même malaise social se fait ressentir, le même jugement hâtif des autres personnages pèse sur ces femmes. Seulement, Mabel a un mari. Il s’appelle Nick (Peter Falk) et son mélange de douceur et de violence extrême accroche encore Mabel à la société. Le seul lien concret qu’a Béatrice avec autrui, c’est avec ses filles. Sauf que ces dernières, soumises aux radiations néfastes de la mère, tentent de s’échapper. Le reste de la planète regarde la pauvre femme avec un mélange de dédain et de pitié. Les anciens camarades de classe la disent « folle », l’ex-beau-frère fait tout pour l’éviter, le voisin fait semblant de l’écouter. Béatrice a beau s’occuper de vieillards en fin de vie (ici, une vieille dame mutique mais au regard troublant), son existence en ce bas monde demeure fragile.

De l’influence des rayons gamma… esquisse donc des envies d’avancer. Dans ses moments de regain d’énergie, l’héroïne fait des projets. Ainsi, le film fonctionne par de mini-enjeux. Va-t-elle monter son entreprise ? La voisine est-elle morte ? Matilda aura-t-elle un prix ? Anti-spectaculaire au possible, le film avance par à-coups. Cette forme illustre un ton radicalement pessimiste, où toute initiative est vouée à l’échec ; du moins, pour Béatrice. Ruth, elle, se rebelle dans le vide, sans sombrer. Matilda, plus rêveuse, se réfugie avec ses marguerites et pense, en gagnant un prix scientifique, trouver une échappatoire à tout cela. Or, à chaque fois, la réalité d’un foyer les rattrape.

Ce lieu, oppressant, sale, marron, fait office de sanctuaire. Béatrice se comporte comme une moniale en se retirant du monde pour mieux prier. Seulement, il y a quelque chose de hanté dans cette maison. Sans virer au fantastique, De l’influence des rayons gamma… crée un moment d’épouvante avec la crise d’épilepsie de Ruth. Le regard renfermé de Matilda, ainsi que son mutisme, ont quelque chose qui prévaut du petit Danny de Shining. Cet aspect est mis en sourdine par un cadre plus trivial, comme si même l’échappatoire cinématographique du « film de genre » ne pouvait déployer ses ailes ici. Évidemment, les « rayons gamma » du titre renvoient aux ondes maternelles. Comme si les radiations qui transformèrent Bruce Banner en Hulk n’étaient pas juste des radiations, mais bien un humain qui perd le contrôle. Un air respirable se dégage malgré tout par moment, complété par le douceur de sa lumière. La souffrance s’intériorise, les personnages gardent leur dignité. Encore une fois, c’est en ne jugeant pas son héroïne que Newman réussit son pari. Il laisse une chance à Béatrice. Quand bien même le film se termine sur une note aigre, on sent que rien n’est perdu pour autant. Newman glisse au creux de l’oreille un constat terrible : nous sommes tous, par nature, de mauvais parents. A nous de tout faire pour nous améliorer ; en somme, distiller à nos petites têtes blondes de bonnes ondes.