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J’aime de temps en temps me replonger dans des revues-disques qui me rappellent étrangement mon adolescence, lorsque j’étais tout heureux de pouvoir acheter avec mon argent de poche, un flexi, par exemple. J’y ai découvert un nombre de petits groupes fortement dispensables mais sympathiques. Et puis le plaisir des oreilles s’accompagnait souvent du celui des yeux et du toucher. A l’époque, je ne sais si on vouait tous à ces livre-objets un amour certain, mais lorsque celui-ci s’accompagnait d’un élément fortement perturbateur, la musique par exemple, on entrait dans une dimension parallèle. Du flexi, on est passé au vinyle et parfois au CD : ces magazines d’un autre genre sont souvent l’antichambre de l’underground et de la contre-culture ; une façon comme une autre de découvrir aussi que l’on peut mettre en scène la musique sur papier.

Dans les années 80, certains fanzines popularisèrent la publication du flexi pour se démarquer de la presse traditionnelle. Grâce à leurs efforts répétés, il se dessina alors un panorama complet de l’underground britannique et permit à certains des créateurs de devenir des références. On pense notamment à Matt Haynes, créateur du fabuleux fanzine Are You Scared To Get Happy ? et futur co-fondateur du label légendaire Sarah Records, qui nous ouvrit les portes de la twee-pop. Ils furent nombreux ainsi à nous faire découvrir et apprécier une musique peu accessible.

Flexipop Magazine

Dans les années 80, cette revue britannique consacra tous ses numéros à la new wave européenne ; ainsi nombre de groupes français, allemands, italiens et anglais se retrouvèrent en une des numéros. L’intérêt du magazine résidait dans son 45 tours, un bon vieux flexi des familles : inusable, incassable et facilement égarable. Flexipop, de par son exigence musicale, devint un véritable label new-wave : on y découvrait certes beaucoup de groupes inconnus mais certains, parmi les plus en vogue du moment, enregistraient des inédits et les offraient au Flexipop. C’est ainsi que parfois les anglais purent découvrir un inédit de Visage, d’Adam & The Ants, Soft Cell ou encore d’XTC.

Point of Yucca

Un jour, un Suisse eut l’étrange idée de réaliser un journal artistique qui soit un manifeste radiophonique. Quelques milliers de mails plus tard naquit Point of Yucca, un étrange objet musical. Le magazine se présentait sous pochette plastique souple avec à gauche le CD et à droite, douze réalisations graphiques pour chaque artiste qui avait participé à Point of Yucca. Le magazine se révéla au cours de sa courte existence (trois numéros seulement) être le point de chute international de nombreux artistes. Akira Rabelais, Bene Gesserit et autres Klimperei donnèrent plus qu’un coup de pouce à ce magazine.

Volume

Volume, magazine fish and fiction, popularisa dans les années 90 le concept de revue-disque. Durant une vingtaine de numéros, le magazine imposa son format CD et son livret de 194 pages aux disquaires indépendants. Fort de la vingtaine d’artistes qu’il présentait à chaque fois, le magazine désirait être à la pointe de la culture populaire qui se dessinait alors. La Brit Pop émergeait, la techno s’imposait de plus en plus dans les charts britanniques et l’indie-rock dominait. Aussi dans un joyeux fourre-tout, nous pouvions écouter dans le même magazine des inédits d’artistes aussi différents que Suede, Meat Beat Manifesto, Ride, Laika, The Fall ou Aphex Twin. Mais si la bande son était un plus considérable, les interviews, les petits papiers de fond, les photos de qualité et les petites fictions nous régalaient une fois par trimestre, avec ses pochettes aquarium.

Penny-Ante

Penny-Ante est avant tout un magazine artistique. Créé en 2006, ses sorties se font au petit bonheur la chance : seuls trois numéros ont été publiés. Dessins, photographies, textes, interviews, poèmes, le champ des possibilités est large. Entre objet d’art et manifeste artistique, les quelques trois cents pages donnent un aperçu de la scène underground basée à Los Angeles. Son troisième numéro ouvre les pages à la musique et le CD qui accompagne fait la part belle à la scène californienne et d’ailleurs punk rock, garage,  lo-fi et alternative rock. Avec des inédits de Jad Fair ou The Chills, 21 morceaux accompagnent les délires graphiques d’un Robert Pollard ou d’un Billy Childish.

The Journal of Popular Noise

Des vinyles, format 45 tours, un magazine qui se déplie comme un origami, l’avant-garde musicale en guise de cerise sur le gâteau. The Journal of Popular Noise est une revue bien étrange à parution irrégulière mais qui offre la particularité de présenter des véritables morceaux inédits. De Teflon Don à Ben Frost, du drone-pop bien frappé à la post-musique de chambre, la musique expérimentale s’émancipe totalement des frontières habituelles. Certains morceaux sont de véritables poèmes sonores qui nous poussent à la méditation. Ici rien de normer, la liberté est totale et parfois on se laisse surprendre à ne pas trouver l’installation spatiale correspondante. Chaque numéro du Journal est un voyage sonore inédit… qui tient sur un 45 tours.

Yeti

Lorsque vous vous rendez la première sur le site web de Yeti, vous refermez aussitôt la page, tant elle date du siècle dernier. Ce serait dommage d’en rester là car ce premier contact vous empêchera de découvrir une revue qui en est aujourd’hui à son treizième numéro et qui trace tranquillement son petit bonhomme de chemin. La vocation de ce magazine est de dresser à chaque numéro un état des lieux de l’art en général, de la littérature et de la musique, en particulier. Accompagné pour ces onze premiers numéros d’un CD comprenant essentiellement des morceaux d’indie-rock, pour la plupart inédits, Yeti offre depuis ses deux derniers titres un vinyle. De quoi désormais écouter du bon en lisant de bons papiers.

Esopus

Dans ce paysage de livres-disques, Esopus fait figure d’exception. Le format en impose déjà : grand format, couverture glacée, papier à différents grammages, Esopus est une revue d’art qui invite ses lecteurs à parfois participer à la conception d’un objet offert ou découper avec attention l’affiche du centre offert gracieusement par un artiste. Non, Esopus n’a pas été créé pour faire enrager ses lecteurs. Deux fois par an, la revue invite des musiciens, des écrivains, des réalisateurs à partager leurs points de vue sur des sujets artistiques particuliers. Trois artistes sont ainsi invités à chaque numéro pour partager leurs projets, un artiste confirmé et deux autres émergeants. Et le partage ne serait pas ce qu’il est sans l’inévitable petite galette sur laquelle on peut écouter une dizaine de morceaux, tous bien sûr inédits.

Mais tout cela, c’était hier et un peu aujourd’hui. Les revues-disques sont des objets devenus rares, connus de quelques happy fews. Je n’ai pas le souvenir d’une revue française ayant mis le disque au centre de sa réflexion mais certains me démentiront en m’indiquant ce que j’ai loupé. Si les quatre derniers sont encore très actifs, surtout Yeti et Esopus, le temps n’est peut-être plus à ce genre de concept qui demande à ses créateurs du temps, de l’argent et de la patience, mais j’avoue que le renouveau d’un petit Volume me plairait bien.