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Lectures d’été : Court Serpent de Bernard du Boucheron

Par Anthony, le 30-07-2013
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Lectures d'été' composée de 8 articles. Des livres à emmener avec soi à la plage, à la campagne et à la montagne. Voir le sommaire de la série.

150 pages dans le froid glacial d’une expédition vers le Groenland de cette fin du XIVème siècle qu’on appelait Nouvelle Thulé…. Saisissant contraste avec le contexte dans lequel je vais relire ce roman paru en 2004, à savoir un bord de piscine king size copieusement garni de garnements braillards et toujours motivés pour faire la bombe, de parents vaguement éméchés au mauvais vin d’importation, sous un soleil méditerranéen aussi régénérant qu’assommant.

Vacances de rêve, romans de cauchemar… L’intégrale de Sigur Ros devrait m’aider à m’acclimater et m’isoler, pour partir en mission divine avec l’abbé Montanus vers les ouailles de ces Terres du Nord qui n’ont plus donné signe de vie depuis des années. Qu’y font les autochtones sinon s’éloigner de la bonne parole d’un Seigneur dont les mots réconfortants ne feront jamais oublier la rudesse des éléments ? L’abbé Montanus ira y vérifier si les craintes de ses supérieurs sont fondées et ramènera ces pingouins égarés dans l’enclos de l’Eglise. Ou pas. Plutôt pas, en fait.

Presque 10 ans après sa première lecture, le roman de Bernard du Boucheron m’est sorti de la tête quant aux détails des pérégrinations de Montanus et son équipage de fortune, voguant dans des froids implacables à bord du « Court Serpent », bateau construit selon d’ancestrales traditions vikings. Je ne me souviens de pas grand-chose dans le détail excepté la claque glaçante que j’avais prise à la lecture de ce texte. Premier roman de Bernard du Boucheron, jeune retraité de 75 ans à la carrière industrielle trop intense pour lui laisser le temps de donner cours à ses talents littéraires, Court Serpent avait reçu le Grand Prix du Roman de l’Académie Française en 2004. Récompense qu’il ne faut pas considérer comme la marque d’un classicisme franco-germanopratin  pénible comme un crachin de novembre en terrasse du Flore mais en l’occurrence comme la lucidité d’un jury frappé comme moi, probablement, par la beauté de la langue mise au service d’une histoire d’une cruauté et d’une puissance dramatique hors du commun. Ce texte est d’une intensité qu’il m’a rarement été donné de lire, d’une sauvagerie ultime sous un vernis distingué, comme pour mieux souligner la vacuité de la tentative de Montanus de ramener à la civilisation une communauté mourant de faim et se laissant aller aux pires exactions.

Bernard du Boucheron, dans la suite de son œuvre, a fait montre d’une richesse – parfois moins digeste – dans l’écriture, une précision clinique dans le vocabulaire utilisé qui peut rebuter ceux qui ne rentreront pas bille en tête dans ses univers et son parti-pris d’ultra-précision. Mais reste une constante dans ses romans : que font les hommes face à l’adversité, quand leurs semblables ou les éléments font s’écrouler toutes leurs valeurs et leurs repères ? Que font-ils lorsque leur part la plus sombre est la seule qui puisse encore s’exprimer ? Fataliste, Bernard du Boucheron ne se lasse toutefois pas de créer des cadres de romans qui lui permettent d’observer ses personnages se débattre avec leur fond de barbarie, où l’écriture est finalement une beauté vénéneuse.

 Court Serpent est une sorte de Very Very Very Bad Trip au pays des Esquimaux (l’humour et Bradley Cooper en moins), une version arctique d’ Au Cœur des Ténèbres. Relire ce roman me rafraîchira la mémoire et me glacera le sang.

Comme chaque été au bord des piscines, je vais me replonger en milieu hostile.