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ALABAMA MONROE : l’amour ancré

Sortie le 28 aout 2013. Durée : 1h 52min

Par Alexandre Mathis, le 28-08-2013
Cinéma et Séries

« C’est un pays de rêveurs ». Voilà comment Didier, personnage central d’Alabama Monroe, synthétise sa pensée de l’Amérique. Celle où Johnny Cash, quand il est interprété par Joaquin Phoenix, chante « I walk the line » en se penchant comme un funambule pour ne pas tomber. Didier n’a pas besoin de se créer un vertige artificiel pour se sentir choir. Il se bâtit bien un cocon à l’image de l’Amérique qu’il fantasme mais le quotidien est bien plus trivial. Didier chante dans un groupe de bluegrass, le Broken Circle Breakdown, et se prend presque pour un citoyen du pays de l’oncle Sam. Le bluegrass, c’est le son le plus pur de la country. Il le dit lui-même : pas de batterie, que des cordes. Guitare, banjo, mandoline, contrebasse et violon. Par dessus trône la voix, qui raconte un pays, une vie, des vies. C’est tout le programme du film : une histoire pure qui va puiser au plus profond des tripes. Quelque part entre la comédie dramatique et le pur mélo, ce nouveau film de Felix Van Groennigen (La Merditude des choses) fracasse le rêve sur le pare-brise du vertige de l’amour sous toutes ses formes.

Sauf que la vie n’a rien d’un roman de Mark Twain. Les blessures qui se créent ne cicatrisent pas toujours. Et le pire dans tout cela, c’est qu’il n’y a pas forcément de responsable. C’est la vie. C’est tout.

Il y a avant tout l’amour que Didier et Elise se portent. Lui est un barbu doux comme un nounours bourru, elle un ange tatoué et futé. Lui est assez pragmatique, elle titille une dimension plus aérienne, plus mystique. Elise est enceinte. Retour au monde réel, plus question de déconner, on retape la maison au lieu de vivre dans une caravane. Cela n’empêche pas de prendre une bonne bière et de continuer à chanter dans le groupe. Elise rejoint celui-ci où tout roule. Pour le couple, la vie est trop précieuse pour ne pas la vivre à fond. Quand leur petite fille Maybelle vient au monde, c’est un nouveau pan de l’amour qui se révèle. Ce sont des parents attentionnés. La mue en adulte se passe pour le mieux. Didier continue d’invoquer la figure de Bill Monroe, père du bluegrass, tout en gérant l’éducation de la petite. Sauf que la vie n’a rien d’un roman de Mark Twain. Les blessures qui se créent ne cicatrisent pas toujours. Et le pire dans tout cela, c’est qu’il n’y a pas forcément de responsable. C’est la vie. C’est tout.

Le plus fort de la part de Van Groeningen, c’est qu’il ne sacrifie jamais le sujet sur l’autel de l’hystérie et de la débauche de rebondissements inutiles. Pourtant le film file à mille à l’heure. Il ne lésine pas sur l’émotion frontale. On y voit Maybelle tomber malade, accompagnée par le quotidien froid des hôpitaux un peu à la manière de La Guerre est déclarée. Le film joue avec les flashbacks et les flashforwards. La vie n’a rien d’un périple linéaire où l’on avance, il est un amoncellement d’instants dont on ne sait pas toujours gérer le temps présent. Il y a quelque chose de déjà perdu pour ce couple. La mécanique tragique est en route, et rien, pas même le pouvoir du cinéma, ne peut l’en détourner. Le fatalisme se sent sur les personnages. L’un se réfugie dans son fantasme américain, l’autre songe aux esprits qui pourraient venir vous voir. Tout reste sur le fil, composés d’ilots, de scènes perdues comme dans un grand montage pointilliste. Une pointe de mélo là, une autre de tendresse ici, agrémenté de banjo.

La figure d’Elise est admirable. L’actrice Veerle Baettens, belle à se damner, joue la complexité de son personnage par touches de couleurs jamais monochromes. Elise estime que la vie se porte sur les tatouages. Elle y met le nom de ses amants et les recouvre de noir quand ceux-ci s’en sont allés. A un moment, le quotidien devient invivable. Elle recrée alors un rêve, tel que le fantasme Didier. Elle se crée un alter-égo « Alabama » et se le tatoue. Didier devient « Monroe ». Côte à côte, pourquoi ne pas croire que l’amour éternel terrasse le malheur terrestre ? Alabama, c’est le Gainsbarre d’un Gainsbourg qui n’en peut plus de l’icône qu’il est devenu, c’est Ziggy Stardust qui prend le pas sur Bowie. Didier, Elise, ainsi que toute la troupe, ne savent plus vraiment s’ils jouent aux américains en Europe ou s’ils sont devenus comme ça. Le réalisateur ne regarde pas leur folklore de haut, et n’insiste d’ailleurs pas tellement dessus. Il préfère les corps, les êtres, les instants de vie. À ce titre, la scène du mariage est évocatrice. Dur de dire si ce moment est une pure farce ou s’il a sa valeur légale. Impossible aussi de savoir si cela se passe dans la foulée de la demande ou si le petit cérémonial se déroule plus tard. Une chose est sûre, les amoureux le vivent comme l’instant crucial de toute une existence. Tout se lie et se délie en concert, pendant ou après une chanson. Mais même cet exutoire ne suffit plus à panser les douleurs. La sensation de perte est totale. L’encre des tatouages s’écoule comme des larmes. Pour ne pas sombrer, le spectateur se recroqueville dans les compositions musicales formidables, histoire d’oublier que la vie aura notre peau.