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La méthode Arbogast de Bertrand de la Peine

Par Arbobo, le 02-10-2013
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2013' composée de 8 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2013. Voir le sommaire de la série.

Arbogast se contemplait. Secrètement, il avait toujours su qu’un jour il aurait son nom sur la couverture d’un roman. Il le tourne et le retourne. Dans ses rêves, son nom était celui de l’auteur, pas dans le titre. Il faut parfois en rabattre et se satisfaire de petites choses.

C’est une histoire d’étage, de chat, et de chute. Les premières pages donnent à Arbogast l’impression d’être un petit oiseau, dont le récit enregistrerait fidèlement les images qu’il perçoit. Cette succession factuelle, dont les paragraphes entretiennent des liens incertains, plonge le lecteur en 1970. Le format, le liseré bleu sur la couverture d’albâtre, ceci est bien un livre des éditions de Minuit. Le fait qu’il soit payant n’efface pas l’impression tenace de tenir en main un de ces suppléments gratuits offerts en période de fête.
Toute cette précision, déployée au service de peu, a le parfum d’un exercice de style.

D’ailleurs il est en quelque sorte question de parfum puisque le héros s’appelle Noze. L’infortuné jeune homme n’aspirait qu’à satisfaire dans l’emploi d’iconographe. Mais les pratiques expérimentales de son thérapeute furent la cause de nombreuses péripéties. Arbogast n’aime pas trop se sentir comparé à un dangereux médecin à l’éthique fluctuante. Une éthique étique, si l’on est joueur. Et ce livre est assurément un divertissement. Par la faute d’un ballon de baudruche qui provoqua une chute. Par le truchement de grenouilles prétendument céruléennes, la naissance d’une romance connait sa conclusion sur un rivage malgache. La passion de la justice et le respect des animaux, en butte à la cupidité. C’est la noble conclusion de ces tribulations.

“Elle claviotait avec énergie, sa poitrine de nourrice posée sur le bureau au galbe louis XV. Puis elle tourna son visage mafflu vers Valentin et ouvrit une bouche vermillon soulignée d’un trait noir.” (p.42)

Il semblerait qu’entre la description de l’hyperbole conduisant d’une branche sur le sol, et la course-poursuite funeste finale, le roman est passé de main en main. L’infléchissement du cours du récit est sans retour possible au roman psychologique des premières pages. La diversité des styles, mal dissimulée, les incohérences innombrables, tout indique un défoulement collectif. Un pastiche appelle l’autre et le roman d’aventure, puis le roman de gare, prennent le dessus. D’ailleurs comment comprendre autrement la mièvrerie empesée avec laquelle l’unique hyménée est dépeinte? La description est aussi peu gracieuse que les “plongeant entre ses cuisses il s’abreuva à son calice”, dont les pages d’Harlequin se remplissent. Le style lui-même trahit l’écriture collective. Préciosité du vocabulaire, ponctuation ambitieuse, font place progressivement à un style plus direct et stéréotypé. Plus imitable aussi, de façon à dissimuler quels auteurs (et combien) s’abritent derrière le pseudonyme. A-t-on affaire à un quadrumane? A une shiva?
Arbogast renonce à décrypter les traces, n’est pas séminole qui veut. La méthode Arbogast a failli à percer l’énigme.

Même les maisons les plus sérieuses, même le temple du Nouveau roman peut connaître des instants de fantaisie. C’est une bonne nouvelle, à une époque pourrie par l’égomanie et l’amphigouri d’un Moix et ses semblables. Certains sont encore capables de quitter la tour d’ivoire. Arbogast s’en contente et s’en réjouit même un peu. Une fois refermé ce divertissement, l’appétit ouvert réclame à présent un peu de littérature. Après tout ce pastiche, on apprécierait un grand cru.