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Deathprod est un artiste norvégien de musique ambient. Morals and Dogma est son dernier album solo en date, sorti en 2004 chez Rune Grammofon. Il s’écoute librement sur Grooveshark

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Je n’ai jamais lu Dune, le cycle de Frank Herbert. J’en ai entendu parler et j’en ai seulement vu la pénible adaptation de Lynch au cinéma. Je n’ai en fait pas tellement envie de lire ces livres. Le volume conséquent de la saga ne m’y encourage pas, mais c’est bien autre chose qui me retiens : je ne veux pas en découvrir plus que ce que je sais aujourd’hui. D’une certaine manière, l’imaginaire de Dune est déjà présent en moi, j’en ai une idée simple, épurée, que je n’ai pas envie de corrompre. Se plonger en profondeur dans les textes d’Herbert, ce serait mettre en péril cette idée personnelle, ce serait prendre le risque de la questionner au point d’en flouter les contours, peut-être même d’en démanteler la structure. Je préfère éviter le massacre.

La musique de Deathprod me fait donc penser à l’univers de ces livres que je n’ai pas lus. Je pense à Dune dans un décor aride. C’est pour moi un climat éprouvant, extrême, parfaitement inhospitalier, par-dessus lequel je sens les premiers frissons d’un souffle épique. Je ne sais pas si c’est du Sacré ou du Politique, mais il y a quelque chose qui se profile dans la chaleur accablante, qui se détache de l’horizon vide pour faire système, pour tisser les mailles d’un monde d’une violence que je pourrais qualifier de « distinguée ».

On se dit en effet trop souvent que la violence est grossière, qu’en la voyant ou la subissant on ne pourrait qu’intuitivement la reconnaître. « C’est ça ! ». Mais quand on dit « c’est ça », on constate seulement une rupture, une discontinuité, un écart d’intensité – elle fait irruption dans l’écoulement fluide du temps logique Au contraire, la violence que j’imagine ici ne signale pas son arrivée. Elle enveloppe insidieusement, pénètre imperceptiblement les corps et les esprits. Elle contamine l’espace vital.

Je pense à ça en écoutant Morals and Dogma. J’imagine un univers couleur ocre peuplé de prisonniers insouciants. Les règles et les croyances y sont si constantes et si imperméables qu’il n’y a plus la place pour inventer son devenir. Les existences sont clôturées, les destins sont tracés, les mots montent la garde.

Est-ce que je parle toujours de Dune ? Outre 1984 (autre livre que je ne compte pas lire), je pense aussi à Gerry : quand il n’y a plus de cartes, plus d’orientation possible, et qu’il ne reste plus que les mythes qui nous préexistent.

La musique de Deathprod me semble être du même acabit. Elle coince et met au supplice, entre d’un côté des fréquences basses, lentes et accablantes, qui gomment notre énergie, et de l’autre des fresques stéréotypées, des plaintes éculées et des motifs religieux qui nous enivrent comme des comptines macabres. Tout le spectre sonore est employé pour mieux nous comprimer. Il n’y pas de faille, pas de porte de sortie. Morals and Dogma est un enfer, qui donne moins l’impression d’avoir été choisi qu’obscurément déterminé. On pense d’abord écouter un disque inoffensif, et il se referme sur nous, comme, vous savez, ces plantes carnivores qui attirent les mouches, les laissent naïvement se poser pour ensuite les capturer. Et une fois pris aux piège, eh bien comme tout le monde on fait face, on résiste comme on peut, et puis à force on cède, les muscles se décontractent, la respiration se pose. La violence commence à devenir familière – et alors soit on en meurt, soit on finit par y faire son nid.

gerry10