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Miossec, déni de noyade

Album "Ici-bas, ici même" sorti le 14 avril 2014.

Par Thomas Messias, le 29-04-2014
Musique

Sur la pochette de son neuvième album, Christophe Miossec prend l’eau. L’image pourrait sembler simpliste, voir relever du jeu de mots de mauvais goût pour parler de celui qui n’a jamais caché ses penchants (passés, présents, futurs ?) pour la bouteille. Enregistré il y a pas loin de vingt ans, son premier album s’appelait Boire, son premier single Non non non non (je ne suis plus saoul). En 1995, Miossec avait l’alcool fringant, ou en tout cas l’alcool fun. Dans ses chansons, on le voyait trainer sa carcasse avinée du côté de Brest, courant d’un amour à l’autre, d’une baise à l’autre, pratiquant la déchéance comme un art de vivre, une façon de pisser superbement sur le monde. Gueule d’ange et haleine chargée : un cocktail qui fonctionne lorsqu’on a pour soi le privilège du charme et des jeunes années.

Au beau milieu de Boire résonnait d’ailleurs un morceau, La Vieille, dans lequel le tout juste trentenaire d’alors s’adressait à une femme plus âgée que lui. De nos jours, on appellerait ça une MILF.

« Si tu connais le désir qui va vite
Et qui dure longtemps
Je voudrais que tu m’y précipites
Du haut de tes quarante ans
L´histoire devait être écrite
Pour que tu sois si belle maintenant
Une vrai beauté à son zénith
Ca n´est jamais à 18 ans
»

Terreur et excitation. Se taper une « vieille » de quarante balais semblait alors constituer pour le jeune coq un simple défi de plus, une façon de tuer l’ennui en arrêtant, juste pour quelques heures, de se taper des petites jeunes. Derrière ces mots, une profonde et puissante peur de vieillir, de passer un jour du côté des doyens, des ingrats, de ceux qui inspirent davantage de pitié que de désir.

L’âge a toujours été une obsession pour Miossec. En 2004, pour accompagner sa quarantième bougie, il s’offre un album intitulé 1964 sur lequel figure la chanson En quarantaine. Pas le morceau le plus inoubliable du disque, mais un terrible et simple constat : il a suffi d’une décennie pour que le jeune loup aux yeux brillants se mue en un quadra plus si frais. Quelque chose de stupéfiant se produit d’ailleurs sur la somptueuse photo qui illustre l’album : c’est un Miossec au visage asymétrique qui s’offre à nous, une moitié jeune et ténébreuse compensant mal l’inexorable affaissement de la seconde.

« En quarantaine, en quarantaine bien sonnée
On a désormais l’âge du capitaine
De ses artères, de ses amours, de ses regrets
»

Deux années plus tard, sur L’Étreinte, Miossec semble rendre les armes : lui qui était jusque là l’acteur principal de sa propre existence, de moments de grâce en désillusions, en devient brutalement le simple spectateur. Sur Trente ans, ce n’est plus son propre âge qui le chagrine, mais celui d’un tiers. Les paroles dressent ce triste constat : la trentaine constitue déjà une forme de pente descendante, le début de l’immoblilisme, du corps qui se ramollit. La fin superbe résonne comme un message d’espoir autant que comme une façon d’appréhender la vie autrement :

« Tant pis pour les victoires et tant mieux pour les défaites
De toute façon on a toujours l’air aussi bête
»

C’est en se comportant en loser magnifique qu’on a le moins de chances de perdre la face. Miossec n’y croit sans doute qu’à moitié, lui qui sous des aspects indifférents cache de profondes écorchures. Sentiment de gâchis, regret d’avoir blessé, d’avoir trahi. Après quelques divagations sans trop de relief, Ici-bas, ici même tente d’exprimer cet état de fait. Quelques mois avant ses cinquante ans, le chanteur aimerait (se) prouver qu’il est un homme neuf. L’album résonne comme celui du mea culpa et de la purification. On en revient à la pochette du disque, qui le montre tentant de se laver de ses pêchés.

Première étape : On vient à peine de commencer, morceau d’ouverture dans lequel il lorgne dans le rétroviseur tout en donnant un sacré coup d’accélérateur. La chanson s’ouvre ainsi :

« La vie elle a passé
Et on l’a comme pas vécue
Ou peut-être pas assez
Pas comme on aurait dû
»

Le refrain, lui, rappelle que c’est pas fini, qu’on vient à peine de commencer. Que merde, à cinquante ans, on n’est pas trop vieux. Mais que les conneries passées — celles dont on a conscience et les autres — se seont payées cash. Étaler ses regrets et ses remords, c’est se soumettre au pardon des autres… avec le risque de trouver porte close. Sur le sublime deuxième morceau, Le coeur, Miossec fait amende honorable, mais c’est sans doute un peu trop tard.

« Il ne fera plus le salaud
Il ne fera plus le crétin
»

La suite, Samedi soir au Vauban, clôt un déchirant tryptique d’ouverture. Déchirant parce que tout est là. Regardant derrière lui, courant à grandes enjambées pour semer ses démons, demandant pardon, le voici à présent qui se contemple dans la glace. À l’époque de Boire, Baiser et À prendre, il était beau, irrésistible, sûr de lui, et sans doute persuadé que ça durerait toujours. Samedi soir au Vauban donne l’impression de voir le Miossec de 1995 rencontrer celui de 2014. Et les deux de constater ensemble à quel point ils ont morflé. À propos de son visage :

« Même s’il a connu des carambolages
Et qu’il en est sorti cabossé
Il a quand même passé l’âge
D’aller le soir se faire désirer
»

Voilà. Finie l’époque où l’on pouvait aller se saouler au Jean Bart, faire des rencontres autour de quelques bières, s’assurer de ne pas rentrer seul. Christophe Miossec a salement vieilli. Il est désormais de ces piliers de comptoir qui font un peu peine à voir. La voix en studio est à peu près fraîche, les concerts apporteront sans doute une vérité bien plus amère. C’est au lent délabrement d’une épave que l’on assiste. Et si l’album manque parfois de souffle, il a quelque chose de sublime dans la façon dont il essaie de déterminer à quel moment les choses ont foiré. Quel a été le verre de trop. Quelle débâcle a définitivement tout fichu par terre. Les deux derniers mots du onzième et ultime morceau, Les touristes, sont magnifiquement laconiques.

« Tout baigne »

Non. Tout ne baigne pas. Le Miossec de la pochette ne se lave pas, ne se purifie pas. Il coule. Il coule et raconte un naufrage dont il n’a qu’à moitié conscience. Miossec, c’est l’orchestre du Titanic : il jouera jusqu’à la dernière seconde, tant que ses poumons ne seront pas complètement remplis de liquide. Il jouera encore et encore, crachera ses tripes de scène en scène, donnera le change tant qu’il pourra. Mais qui est encore dupe ?

« Rester en vie
Ce n’est que du music-hall
Un spectacle hors de prix
Une grande foire agricole
»

(extrait de Rester en vie, 2004)