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La clé de compréhension de l’oeuvre de Nayvadius Cash se trouve devant nos yeux, dans le choix de blaze fait par le natif d’Atlanta et dans le titre donné à son deuxième album studio – « Future » et « Honest », donc. C’est en analysant ces deux termes, en étudiant finement la tension qu’ils peuvent générer entre eux, que l’on saisit la spécificité du projet.

« Future », déjà, évoque une forme de détachement : un détachement dans le temps et vers l’avant. Dans une culture hip-hop structurellement chevillée au passé (d’un point de vue technique – le sampling –, ou culturel – l’amour des histoires individuelles ou collectives), le futur n’existe pas. En se faisant connaître sous ce pseudo, et en intitulant son premier album « Pluto », Future s’inscrit dans une tradition marginale et inactuelle, celle de l’afrofuturisme, réunissant par exemple Sun Ra, George Clinton, Afrika Bambaata, Drexcyia, Outkast ou Janelle Monáe. La musique de Future n’est certes pas tout à fait une musique de rupture, mais elle se situe néanmoins quelques pas plus loin que ses contemporains : la technologie n’y est pas qu’un outil au service de l’homme, elle fait au contraire intrinsèquement partie de lui, elle forme avec lui un tout homogène. La voix que l’on entend tout au long d’Honest est ainsi celle d’une entité où homme et machine ont fusionné. La voix de Future n’existe pas sans l’appareillage logiciel d’Auto-Tune, et, de même, l’Auto-Tune a besoin d’un signal humain pour exister. Tout n’est qu’interdépendance entre le charnel et le scientifique. De ce fait, la vision d’anticipation ici développée se veut quasi cosmique, c’est la vision d’un univers synthétique où toute forme de vie aurait besoin de technologie pour subsister.

Future est égoïste, vénal, misogyne, affabulateur, mais sa façon de l’exprimer est bouleversante

Et l’humanité s’en trouverait-elle menacée ? Future nous répond que non. C’est là la prouesse de cet album. Car si rarement une sortie hip-hop ou r’n’b n’aura sonné aussi artificielle, rarement aussi notre empathie n’aura été aussi sollicitée. Honest est un disque profondément humain, humain et donc bourré d’émotions et de sentiments incodables. On assiste, prêtre bâti en circuits imprimés, à une confession du siècle prochain, où un demi-robot chasse de lui tout ce qui ne peut être traité par ses programmes habituels. Nayvadius Cash est un salaud, avouons-le tout net, il est égoïste, vénal, misogyne, affabulateur, mais sa façon de l’exprimer est bouleversante, à la fois grâce et malgré le filtre informatique. Tout est dans son « ok, soyons honnêtes, je vais vous dire comment je suis » ; le reste n’a pas d’importance, nous sommes quoiqu’il arrive voués à la miséricorde.

La technologisation du monde agite de nombreux musiciens depuis des décennies. Certains ont fait le choix de la dénoncer pour la combattre (la musique industrielle), d’autres ont pris le parti de l’accepter pour « rêver autrement » (le krautrock, la techno de Detroit) ; Future, lui, semble prendre un sentier encore différent. Il ne milite pas, n’encourage rien, mais il consent à se connecter, en faisant le pari (pour beaucoup insensé) que jamais sa sensibilité n’en sera alterée. Et pour l’instant, elle s’exprime encore très bien.

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