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Parmi la pléiade de micro-labels agitant aujourd’hui un milieu français en pleine ébullition, le label parisien Svn Sns Rcrds symbolise à lui seul l’idée de la petite structure passionnée, porteuse d’autres valeurs, plus proches de la musique elle-même. En quatre ans d’existence, le label monté par deux membres de To The Happy Few, Alex Poveda et David Gamelin, s’est construit une image d’une évidence rare, sans l’avoir tellement cherché mais en la méritant totalement. Le DIY chevillé au corps, adepte d’un mélange synth-pop / musique électronique très personnel, Svn Sns s’est fait sa place, simplement à l’instinct. Au point de devenir l’un de ses labels que l’on soutient les yeux fermés, pour ce qu’il est : un espace de liberté musicale animé par des acteurs comme on aimerait en rencontrer davantage. Rencontre avec Alex, moitié de Svn Sns Rcrds.

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Dom Tr : Ça fait 4 ans que Svn Sns existe. Tu peux nous refaire l’historique? D’où est parti le projet ?

Alex Poveda : Tout a débuté avec mon pote David en 2010. On avait déjà un groupe ensemble qui s’appelait To The Happy Few, depuis deux ou trois ans. Mais on ne s’y consacrait pas de manière très poussée, on n’était pas dessus à plein temps. D’autant que moi j’étais déjà engagé dans un autre groupe à l’époque, avec lequel on recevait pas mal de sollicitations et ça nous occupait beaucoup. Au début de To The Happy Few, on répétait dans la piaule de David, juste pour nous et nos quelques potes. C’est de là que vient le nom du groupe d’ailleurs (ndr : « Aux heureux élus »). On faisait surtout ça pour nous et on ne pensait pas vraiment faire écouter cette musique là à des gens. C’était l’époque Myspace, on s’était dit qu’on allait quand même balancer quelques sons et au final on a reçu des propositions de plusieurs labels. Mais après quelques mauvaises expériences, on s’est dit qu’on allait monter notre propre structure pour sortir notre musique.

A l’origine, il n’y a donc pas eu l’idée de se dire « On va créer un label, on va sortir d’autres artistes ».

Alex P. : Pas du tout, loin de là. Mais à force de bosser sur nos sorties, on s’est ouvert à d’autres projets et on en est venu naturellement à collaborer avec d’autres artistes, ça s’est fait comme ça.

Ton parcours personnel débute surtout dans la scène punk hardcore. Quand je regarde aujourd’hui To The Happy Few, par exemple, le grand écart est assez saisissant, on n’est plus du tout dans le même univers. C’est un virage conscient ?

Disons qu’on évolue en permanence, les goûts changent et on se plonge dans d’autres musiques qu’on n’aurait pas écouté des années auparavant. Mais de là à dire que c’est un virage à 360°, je ne pense pas, non. A l’époque où j’étais impliqué dans cette scène punk hardcore, j’écoutais déjà pas mal de rap, ça a toujours été le cas, beaucoup de musique électronique et puis de la pop, de la noise… Le seul style de musique auquel je suis allergique c’est le reggae, ça je n’y arrive pas (rires). Mais ça m’a tout de suite plu d’aller vers autre chose avec To The Happy Few, parce que ça restait cohérent avec ce que j’aimais déjà, comme style de musique.

Sur Svn Sns, à quel moment précis ça vous est venu cette idée de travailler sur d’autres musiques que la vôtre, concrètement ?

De manière assez progressive et naturelle, en fait. On a sorti le premier To The Happy Few en février 2010 en vinyle et on a rapidement reçu des retours assez positifs là-dessus. Suite à ça, on s’est mis à nous envoyer pas mal de démos de temps à autres, on a pris des claques et on s’est dit que ça pourrait être intéressant de ne pas rester dans notre coin et de porter d’autres musiques. Mais ce qui est sûr c’est qu’on n’avait pas monté Svn Sns avec de grands projets, un gros business plan ou une idée précise derrière la tête. Ça s’est juste mis en place tout seul par la force des choses.

Si tu te places aujourd’hui, 4 ans plus tard, tu vois un trait d’union entre les sorties ou une définition globale du label ?

Pour nous c’est surtout une affaire de feeling, de coups de cœur. Je crois qu’il y a une forme de cohérence entre nos sorties, dans un univers électronique et pop, en majeure partie. En tout cas de la musique à base de synthés, ouai. Mais on n’a jamais défini d’esthétique stricte. On a surtout voulu partager des projets qu’on aimait, grâce à nous ce projet là va pouvoir exister modestement. Si tu crées un label, c’est avant tout pour partager, pour ne pas garder des projets de qualité pour soi.

Ce tropisme synth-pop est clairement visible, je trouve. J’ai réécouté l’ensemble de vos sorties ces dernières semaines, c’est intéressant cette image globale qui s’en dégage. Depuis To The Happy Few, avec des morceaux très pop et très bien faits comme ‘Guide My Eyes’, jusqu’aux morceaux de Micro Cheval sortis récemment, on voit ce lien se faire entre les sorties. Même s’il reste des exceptions, comme Gremlock, par exemple, qui est un peu à part.

On est aussi parti parfois dans des univers plus sombres. Je pense au split entre Holy Other et Indigochild, en 2010, par exemple.

Au-delà de la musique, le lien pour moi se fait aussi via l’aspect graphique de vos sorties, sans que ce soit trop arty et maniéré. Mais le style est bien présent. Vous avez une sensibilité particulière à cet exercice, grâce à vos parcours ?

David et moi on s’est rencontré en fac de cinéma. On a toujours eu une sensibilisation particulière pour le milieu des arts. C’est aussi lié aux milieux familiaux dans lesquels on a grandi lui et moi. Ses parents et mes parents sont amateurs d’art. De mon côté j’ai toujours eu un attrait pour l’image. On n’a jamais défini une esthétique précise pour le label mais c’est un domaine qu’on aime travailler. J’ai fait le logo de Svn Sns, par exemple, c’est un exercice qui me plaît. J’aime bien faire un peu de peinture ou des collages de temps en temps. Mais ce logo c’était un peu une blague entre nous, aussi. On a grandi dans le hard rock, ça nous a fait marrer d’entretenir cette esthétique abusée, un peu black metal, c’était un pied de nez à ce passé. De ce point de vue là, un style peut s’en dégager, ouai. Mais au niveau des pochettes des disques, on laisse vraiment carte blanche aux artistes. Si eux ont une idée, ils proposent un truc et on discute.

Aujourd’hui Svn Sns c’est toujours David et toi ou tu mènes un peu la barque plutôt en solo ?

Svn Sns ça reste bien évidemment David et moi. C’est d’ailleurs un peu Thibault, aussi, qui nous a rejoint récemment. Concernant David, il était parti au Canada, il revient bientôt. Fatalement, il était un peu moins investi dans le projet et je me suis retrouvé un peu au four et au moulin ces derniers temps. Mais il va revenir à Paris, il va pouvoir reprendre le boulot (rires).

Si je prends un peu de recul, je constate que Svn Sns a connu globalement deux tendances un peu différentes depuis sa création : les deux premières années sont vraiment le moment où vous avez beaucoup bossé, il s’est passé pas mal de choses, de sorties et de collaborations. Disons jusqu’en 2012, on a senti la progression, aussi dans la manière dont les gens manifestaient leur enthousiasme pour le label. Mais il y a aussi eu cette période qui a suivi, où les choses ont nettement ralenti et le label a connu un petit trou d’air, pour des raisons qu’on pourra évoquer par la suite. Du coup le départ de David a aussi un peu joué là-dedans, non ?

Pour moi le ralentissement se situe un peu avant le départ de David. Mais c’est surtout lié à la vie, de manière globale. On a chacun eu des moments un peu compliqués à gérer dans nos vies personnelles. Et forcément, l’activité du label en a un peu pâti. Une phase de remise en question mais, paradoxalement, de développement aussi : ça nous a permis de nous poser, de nous reposer les bonnes questions. Même dans les coups durs, il faut savoir se projeter et on s’est demandé si le projet Svn Sns était quelque chose qui valait le coup d’être continué ou non. On ne s’est jamais vraiment dit qu’on allait arrêter mais il y a eu cette période difficile où il n’y a pas eu que le départ de David, ça a été un ensemble, en fait.

 A cette époque, vers 2012, vous aviez une image de label un peu en vogue, jeune label dynamique qui lançait de jeunes artistes. Et j’ai l’impression que ça vous a un peu porté au début.

Disons que ça a été pas mal de hasard mais ça nous a toujours plu d’aller chercher des artistes en devenir et de les aider à émerger d’une manière ou d’une autre.

Comme Holy Other, par exemple. C’était son premier projet, sa tape sur Svn Sns ?

En fait il l’a sortie de manière simultanée avec un 7” chez Transparent, la même année, qui s’appelait « We Over ». Et il a décollé directement, il est parti chez Tri Angle dans la foulée. Je trouve ça génial. Je ne dirais pas que c’est « grâce à nous » mais je suis super content pour lui, j’adore ce qu’il fait et sa progression est amplement méritée. Mais je ne suis pas sûr d’y avoir joué un rôle déterminant.

Concernant To The Happy Few, le projet est toujours actif ? Vous avez sorti un nouvel EP en 2012, « Digital Graveyard», mais vous en êtes où ?

Avec la distance, le projet a fatalement connu un gros hiatus. D’abord, on était trois dans le groupe, ensuite ça s’est réduit à deux, et puis David est parti, donc ça a été mis en stand by. Mais à son retour, c’est sûr qu’on va se remettre à faire de la musique, on a des projets en cours. Ceci dit, je pense qu’on va enterrer le nom To The Happy Few et on va démarrer autre chose, un projet frais. Ce ne sera plus la même chose qu’en 2010, autant changer de nom. Et même peut-être de musique, on verra.

Au rang des histoires qui ont fait parti de la vie du label, il y a ce disque n°009 qui n’est jamais sorti qui a aussi beaucoup impacté la dynamique et l’élan de Svn Sns…

Pour revenir à ce que tu disais avant, la baisse de régime du label, ça s’explique par des circonstances personnelles, comme je te disais. Et puis ça s’explique par ça aussi, ce n°009. C’était un sacré camouflet à se prendre dans la gueule. Je n’ai pas tellement envie de rentrer dans les détails de l’histoire ou de faire le vieux haineux. Du coup je préfère laisser ça de côté, ne pas faire de pub à qui que ce soit, et continuer d’avancer.

Aujourd’hui Svn Sns c’est aussi ça, quelque part. Un enseignement pour toi. Et aussi pour les gens autour : voilà ce que c’est de bosser dans ce milieu, même à une petite échelle. On rencontre des gens super et des enfoirés qui foutent ton boulot en l’air. Du temps et de l’argent perdus.

Bien sûr, oui. C’est une manière que j’ai d’expliquer ce que je fais habituellement : gérer un label ou sortir de la musique, il y a presque un rapport amoureux avec ce que tu fais. Ça peut paraître cheesy ce que je te dis mais je le pense sincèrement (rires). Forcément ça implique de prendre des risques et de prêter le flan à des échecs ou des déceptions. Souvent ça crée de bonnes surprises mais parfois, des mauvaises. Là en l’occurrence j’ai peut-être pêché par naïveté, je pense avoir ma part de responsabilité, comme tous les gens impliqués là-dedans.

Cette histoire autour de ce n°009,tu penses que ça t’a amené quelque chose de positif, au final ? Ça t’a donné une motivation ou une énergie nouvelle ?

Complètement, oui. Ça te permet aussi de te remettre en question, de voir que tout le monde n’est pas gentil et mignon, même à un niveau ultra-clandestin et DIY. Mais ça a consolidé mes convictions, au final. De faire ça pour les bonnes raisons. Ça ne m’a pas du tout donné envie de couper le côté humain du label, au contraire, j’ai voulu y aller encore plus franchement.

Ça a donné naissance à une espèce de deuxième chapitre dans la vie de Svn Sns, au final. Après un an de hiatus, tu es reparti dans une série de sorties en septembre 2013, un nouvel élan en somme.

C’est tout à fait ça. Je blague souvent autour de moi en disant qu’on a eu une année creuse en 2013, ou presque. Et que là en 2014 on revient, on va faire plein de trucs. Plein de projets prévus, très excité de se remettre dans cette dynamique. Voir les projets se concrétiser et sortir, c’est très satisfaisant. Voir qu’un projet que tu adores fini par exister et que tu as pu y participer, c’est quelque chose qui fait vraiment du bien.

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Quand tu prends un peu de recul et que tu regardes tout ce que vous avez fait avec Svn Sns, les sorties, les concerts, les collaborations… Même si tu n’avais pas d’idée concrète il y a quatre ans, est-ce que tu parviens à te dire que ce label ressemble aujourd’hui à ce que tu aurais aimé qu’il soit si tu l’avais anticipé lors de sa création ? Comment tu vois le chemin parcouru ?

Disons que pour moi Svn Sns c’est avant tout quelque chose qui fonctionne grâce à de l’humain, et donc difficile à prévoir ou à anticiper. On continue d’évoluer, de rencontrer de nouvelles personnes, tu t’affirmes et tu te remets en question en permanence. Et du coup je n’aurais jamais pu anticiper certaines sorties que nous avons faites. Tu m’aurais dit que j’allais sortir Happy New Year, Micro Cheval ou Night Riders, non franchement je ne l’aurais jamais imaginé. Je n’ai pas une vision télescopique de ce que je fais, je n’anticipe pas loin. C’est au coup de cœur, dans une immédiateté.

 Et tu trouves que Svn Sns vous ressemble aujourd’hui en tout cas ?

Complètement, oui. Ça c’est indéniable.

 Comment tu vois Svn Sns par rapport à d’autres labels ? Est-ce que tu te sens intégré à une dynamique, proche de certains ?

Chacun bosse dans son coin, difficile de répondre à ça, très honnêtement. Je ne me pose pas trop la question. Il y a pas mal de labels dont je me sens proche, d’un point de vue esthétique musicale ou même au niveau du passif. Je pense à Hands In The Dark, Atelier Ciseaux ou Beko, notamment, que je suis de près, même si on ne fait pas vraiment le même type de musique. Ou BLWBCK, pour rester sur la scène française, de petits labels qui se sont à peu près créé au même moment, j’y vois des liens, ouai. Maintenant, je ne me vois pas impliqué dedans complètement, on n’a jamais travaillé ensemble, mais il y a des valeurs communes, une vision.

Pour la petite histoire, Onito de HITD, et Romain de BLWBCK, ce sont des mecs de la scène punk hardcore, on a partagé des scènes et 2-3 concerts ensemble, je les ai connu à ce moment là. Le délire DIY vient de là, aussi. Ces mecs là ont toujours écouté plein de styles de musiques aussi, même s’ils étaient en plein dans cette scène punk hardcore. Chacun a ensuite monté sa structure dans son coin, comme moi au final, et on sort des projets qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’on jouait à l’époque. Les parcours sont assez parallèles, quelque part, même si on ne se voit quasi jamais, qu’on ne se parle pas super souvent et qu’on n’habite pas du tout dans les mêmes coins.

Est-ce que toi tu ressens cette forme de dynamique qui existe depuis 3 ou 4 ans, autour de petits labels et collectifs qui sont apparus à ce moment là, de manière plus ou moins spontanée ?

Carrément, oui. Je pense notamment aux labels pré-cités. Mais aussi à vous, chez Fin De Siècle, on ne sort pas les mêmes trucs mais il y a un faisceau de gens, de manières de faire, de valeurs, que l’on retrouve un peu chez tout le monde.

C’est assez marrant cette manière dont tout est arrivé à peu près en même temps. Si tu remontes à il y a 5 ans, la majeure partie des petits labels autour de nous n’existait pas ou commençait tout juste. Une forme de niche plus ou moins spontanée s’est créée et commence aujourd’hui à faire un peu parler d’elle, à différents niveaux. Elle ne se reconnaît pas par un genre musical à proprement parler mais plutôt par une manière de s’inscrire dans l’époque dans laquelle elle se trouve, des manières de faire les choses.

En France, c’est assez visible, oui. C’était moins le cas il y a une dizaine d’années ; ou ils étaient moins visibles, je ne sais pas. On ne peut pas tout connaître, je me trompe peut-être, mais c’est une impression. Alors que dans certains pays ça a toujours plus ou moins existé, en France il s’est passé quelque chose ces dernières années, dont on se disait que c’était un peu plus rare auparavant. Moi je crois pas mal aux délires de coïncidences là-dedans. Ou alors les médias ont super bien fait leur boulot et insidieusement on a été poussé à faire ça pour relancer le lobby du vinyle (rires).

 Vu que tu voyages pas mal, à l’étranger, si tu devais comparer avec la France, tu vois des différences entre ici et ailleurs ?

C’est très compliqué à dire, honnêtement. A part le garage qui connaît un revival important, notamment à Paris dernièrement, mais je suis ça d’un peu loin, ça n’est pas trop une scène qui m’intéresse pour tout te dire. Dans les musiques qui m’intéressent, il y a pas mal d’artistes ou de groupes que je trouve mortels mais de là à dire qu’il y a un truc français ou parisien reconnaissable, c’est très compliqué. Paris ramène beaucoup de gens de partout, je pense pas qu’on puisse faire une synthèse d’un style qui pourrait définir tout ça, je ne sais pas honnêtement. Pour Svn Sns, les seuls artistes français du label avant Micro Cheval ou Night Riders, c’était To The Happy Few et le projet de David. On n’a jamais vraiment cherché à entretenir une scène locale, en fait.

C’était une volonté de collaborer en priorité avec des artistes étrangers ?

Non, ça s’est fait au coup par coup, sans réflexion préalable. On avait quelques contacts à l’étranger. Et dés le début, en terme de ventes, c’était surtout à l’étranger. La France ça n’est pas le pays dans lequel on vend le plus en fait, loin de là.

C’est un discours que j’entends assez souvent de la part des labels avec qui je discute, que la France n’est pas l’endroit qui semble manifester le plus d’intérêt pour ce qu’il s’y passe.

Mais ça ne m’étonne pas vraiment, en fait. C’est peut-être lié au format, aussi, le vinyle ou la K7. Quand je sortais des tapes il y a quatre ans, on se foutait limite de ma gueule. Je pense que dans les pays anglo-saxons, la culture musicale et la manière dont tu consommes la musique, même à un niveau populaire, folklorique, n’est pas du tout la même. En France, c’est clairement moins prononcé.

Tu crois que ce manque de passion manifestée empêche parfois la création de lieux, de salles, de projets nécessaires à la vie d’une petite scène musicale dynamique ? Qu’il y a des opportunités qui ne se réalisent pas à cause de ça ?

Non pas vraiment, au contraire je trouve que la situation est meilleure qu’il y a quelques années. Par rapport à deux ou trois ans, il y a une forme de progression au niveau des orgas, des lieux de concerts, des événements… Il y avait peut-être davantage de squats ou ce genre de lieux qui n’existent plus aujourd’hui, mais qui ont été remplacés par autre chose, finalement. Les salles ont compris qu’organiser des événements, faire des petits concerts pour faire tourner ton bar, aujourd’hui c’est incontournable. Ça crée des dynamiques fortes. C’est un cercle vertueux, quelque part. Au-delà de ça, tu te rends compte aussi qu’une scène musicale se développe parce qu’elle sait qu’il y aura des débouchés.

Regarde en Islande par exemple : on en entend tout le temps parler alors qu’il y a 300 000 habitants. C’est une politique locale, faire briller ton Pays, quel aspect de ton pays tu veux mettre en avant. Mais hors de la « muséification » : c’est notre délire en France, les musées. Et ça vaut ailleurs que dans la musique. Ça doit être aussi difficile pour les artistes plastiques émergents, je pense. Chez nous, on attend souvent que les artistes crèvent pour les célébrer, c’est bizarre. On en pâtit quelque part. Et la situation sera de toute manière assez compliquée, Paris ne sera jamais l’endroit le plus dingue pour la nuit ou la vie culturelle actuelle. Mais il s’y passe plein de choses et j’ai impression qu’il y a un peu plus d’ouverture d’esprit, beaucoup d’initiatives et de petites associations qui essaient de faire des choses.

Pour revenir à Svn Sns, comment tu gères l’organisation ou la promo du label ?

Je balance des mails, j’ai parfois l’impression de lancer des bouteilles à la mer. Je fais tout ça mais pas comme une brute, je te l’avoue. On est en train d’intégrer des gens pour nous aider là-dessus, ça se met tranquillement en place. Sinon je fais ça sur mon temps libre et j’ai la chance d’avoir un travail alimentaire qui me permet de pouvoir consacrer suffisamment de temps au label, qui occupe une grosse partie de mes journées, même si je ne fais pas que ça, heureusement.

Justement, en parlant de temps libre, je voulais qu’on se parle du volet plutôt journalistique te concernant. Tu bosses notamment sur Hartzine. Ce sont des choses que tu avais déjà fait auparavant ?

Sans plus, pour tout te dire. Quand on tournait pas mal avec Revok, de temps en temps, on faisait des live reports ou des tour reports et je trouvais ça cool mais je n’avais jamais fait ça réellement moi-même. Avec Hartzine, disons que c’était surtout des potes d’abord. Thibault et moi on s’est rencontré sur une interview et on est devenu pote ensuite. Ils m’ont proposé d’intégrer l’équipe pour bosser sur l’organisation des événements. Et puis petit à petit, je me suis lancé dans les live reports. Du coup je suis aussi concentré là-dessus aujourd’hui : pour moi c’est plus facile de parler d’un événement parce qu’on est dans l’instant, je ne me concentre pas que sur la musique. Parler d’un album, c’est parler d’une œuvre, on ne peut pas en parler de la même façon, je ne me sens pas à l’aise de commenter les disques d’autres en en sortant moi-même. Et ça reste une exercice que je ne trouve pas facile, je n’ai pas envie d’imposer mon opinion ou de la rendre publique.

Tu peux revenir sur les derniers projets sortis par le label ? Comment se sont passés les rencontres et la création des disques / K7 ?

Pour Micro Cheval, l’un de mes colocs, J.C., m’a parlé d’elle. « Hé mec, je connais cette fille, je l’ai rencontrée à une soirée, elle fait de la musique, je pense que ça pourrait te plaire ». Voila, ça s’est fait comme ça, un peu par hasard.

C’est assez atypique, son style et son chant.

Oui tout à fait, c’est singulier. Mais c’est ce qui me plaît, les projets avec une vraie personnalité. Une forme de fragilité mais très intense. Micro Cheval s’inscrit dans un style synth-pop / minimal wave qui me parle vraiment. Ça s’est fait comme ça, on a tout de suite accroché, on l’a fait jouer avec Hartzine et puis ça s’est enchaîné. Là on bosse sur un projet de split vinyle avec TerrorBird.

Chevalier Avant Garde, tu les connaissais déjà je crois, c’est ça ?

Carrément, ce sont vraiment des potes pour le coup. Je les avais rencontré en 2012, on avait pas mal échangé et on avait traîné ensemble lors de leur passage à Paris. On est resté en contact suite à ça et, pour la petite histoire, on partage des origines grecques communes avec Dimitri, l’un des deux membres du duo. Je ne sais pas si ça a eu une incidence mais on a une vision similaire de la musique, on parlait depuis un moment de sortir un projet ensemble, ça s’est concrétisé avec cette tape « Realign » sortie début 2014. On va probablement retravailler ensemble dans un avenir proche, on est sur un projet d’album pour l’hiver prochain.

Avec Chevalier Avant Garde, Micro Cheval ou d’autres, tu cherches une forme de continuité dans ton travail avec les artistes ? C’est un projet qui t’intéresse ?

Évidemment, ça m’intéresse. Pouvoir suivre quelqu’un, avancer ensemble, c’est vraiment enrichissant. Maintenant, ça n’est pas quelque chose sur lequel je me focalise parce que je pars du principe que l’artiste doit être totalement libre. C’est ce qui me plaît. Je ne suis pas là pour les verrouiller dans quoi que ce soit. Si je sors un disque et que l’artiste répond à des sirènes plus importantes, qui lui offrent quelque chose que je ne peux pas leur offrir, je suis hyper content. Si on peut poursuivre ensemble, c’est avant tout selon la volonté de chacun.

Et Gremlock, il vient d’où ? Pour le coup, c’est un peu le darkside de Svn Sns, avec son style très dur et sombre.

Carrément (rires). Gremlock vient de Los Angeles, en fait. De Los Feliz. Il nous a contacté par mail, « J’aime bien ce que vous sortez, ce que j’ai enregistré peut vous plaire, je m’appelle Jason », c’est arrivé comme ça. J’ai adoré à la première écoute, on s’est parlé et il venait à Paris avec sa copine. On s’est rencontré à ce moment là, on a pas mal discuté et ça s’est fait naturellement, on a super accroché humainement. Il fait de la musique depuis longtemps, il vient de la scène death rock de L.A., limite Christian Death et tout ça. C’est un mec un peu plus âgé, il a presque 40 piges. Dans la vie, il est créateur de vêtements. La musique c’était plutôt clandestin mais à un moment, il a voulu sortir des choses puis enchaîner sur des concerts.

Mais encore une fois, sans vouloir être un vieux romantique à la con, si ça me touche, j’ai envie d’y aller directement. Je n’ai pas forcément calculer, de savoir si ça allait super marcher ou non, je ne suis pas un bon businessman, je n’ai pas fait d’école de commerce (rires). C’est limite un truc altruiste, comme je te disais tout à l’heure. L’envie de partager ; comme à l’époque où tu draguais une nana et tu faisais des compils mixtape sur ton auto reverse. C’est ça l’essentiel d’un label, ça ne peut pas être juste une aventure commerciale. En tout cas pour moi ça ne l’est pas du tout (rires). Le premier conseil que je pourrais donner : si tu veux te faire de la thune, ne monte pas un label. En tout cas pas comme ça.

 La dernière sortie en date, « Soleil Noir » de Night Riders, tu peux me raconter l’histoire du projet ?

C’est assez marrant parce que je connaissais Anthony, membre du groupe. Encore une fois, de la scène punk hardcore. Et on avait joué ensemble, même, dans un vieux groupe. Mais on s’était perdu de vue. Ça m’arrive encore d’en écouter aujourd’hui mais je me suis pas mal désintéressé de cette scène, je squatte moins dans ces concerts là, du coup je vois moins certaines personnes. Un jour, à un concert organisé avec Hartzine, je vois Anthony, on discute et il m’envoie les trucs de son nouveau projet, Night Riders. J’ai tout de suite accroché. On se connaît depuis sept ou huit ans mais c’est marrant de se retrouver dans un contexte complètement différent. Encore une fois autour de la musique, mais une musique qui n’a plus rien à voir.

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Ce « Soleil Noir » a vraiment un côté assez vintage et seventies, en fait. Type jazz funk français de l’époque, tu vois.

Je pense que tu sens bien le truc, je suis assez d’accord. Charlotte a vraiment une voix très particulière, très typée. On parlait de Micro Cheval mais là c’est la même chose, dans un autre genre. Elle vient d’une culture plutôt chanson française / jazz, ça participe à cette sensation. Mais avec un côté machines plus prononcé, même si ça reste très vintage. Night Riders c’est un groupe totalement analogique et ça s’entend. Cette profondeur, ils bossent beaucoup par épure tout en cherchant à créer de la texture et en respectant l’espace entre les différents sons, un truc qui ne se fait plus trop aujourd’hui, ou de moins en moins. Cette voix qui fonctionne presque comme un compteur, elle a de la place pour s’exprimer.

Sur les deux premiers morceaux, il y a une patte et une composition, avec un véritable univers. Je pense notamment à ‘Mon Parallèle’, qui est vraiment très fort, dans ce style. Un côté chanson française exigeant, ça colle bien à l’esprit Svn Sns d’aujourd’hui avec ce projet qui amène encore autre chose. A l’inverse, les deux remixs associés viennent exploser ces codes là.

C’est ce que je trouve assez intéressant sur ce « Soleil Noir », en fait. On avait cette discussion avec Anthony : ils ont leur petite structure qui s’appelle C’est Ça, sur laquelle ils ont déjà sorti un EP et ils avaient l’habitude de faire appel à d’autres gens. Pour « Soleil Noir », j’ai fait appel à mon bon pote Nico, aka Geena, qui a sorti des trucs sur Antinote et qui revient avec un tout nouveau projet très bientôt. Complètement dans la tradition Chicago house. Au-delà du fait que ce soit un pote, j’aime beaucoup ce qu’il fait, avec une démarche extrémiste. J’aime bien ce genre d’approche. Il a isolé un petit bout du morceau, il s’est approprié le truc et l’a ressorti à sa façon. C’est ce qu’on se disait avec Anthony:ce côté très construit, très fin, en face A ; puis cette autre face où il s’agit d’exploser ce qui a été fait, pour donner aux morceaux un côté électronique plus raide. On refait l’histoire et on la déglingue.

Pour le deuxième remix, c’est Apostille qui s’en est chargé. Je connais Michael depuis un moment parce que c’était le gars chargé des acquisitions à Rough Trade. Depuis notre première sortie, il nous avait contacté pour nous prendre des disques en magasin. On a eu pas mal de chances de ce côté là, d’ailleurs. A force, on a noué une relation. Et il se trouve que ce type là c’est le boss de Night School, Michael Kasparis. Mais c’est un truc que j’ai appris il y a peu (rires). Il fait de la musique sous le nom d’Apostille. Pour le coup, le délire est différent : il a changé le tempo, pas mal à son image. Son dernier EP tue d’ailleurs. Il a fait un truc assez surprenant, pas easy listening mais que je trouve assez cool. Juste après le long tunnel fait par Geena, tu tombes sur un truc déroutant qui fonctionne totalement, bien à son image. Mais c’est rigolo pour un mec qui a commencé à jouer de la basse pour Franz Ferdinand. Il a une chanson à son nom d’ailleurs, ‘Michael’. Je l’ai su en lisant une interview, en fait. Mais il n’en parle jamais, je ne sais pas si je devrais (rires).

Parmi tous les disques sortis dont on a parlé, si tu devais retenir une seule sortie, celle que tu proposerais en premier aux gens pour découvrir le travail de Svn Sns ?

C’est moche comme question, je ne peux pas mettre une échelle de valeur, toutes les sorties m’ont marqué pour des choses différentes. Si je parle de la toute première, To The Happy Few, c’est essentiel parce qu’elle a une valeur particulière, c’était notre musique, on lançait le truc. Mais la deuxième, la sortie avec le Portugais Dreams, c’est pareil : c’était notre première collaboration avec un artiste extérieur. Etc etc. Je pourrais te donner à chaque fois une raison différente. Je pourrais même te reparler de la sortie n°009 avortée, elle m’a marqué quelque part. Ou la sortie de Micro Cheval, la toute première après cette histoire là. A chaque fois c’est différent, nos goûts sont multiples, on ne projette pas les mêmes choses dans chaque disque. On essaie de partir sur des choses qui nous surprennent, quelque part.

J’écoute systématiquement toutes les démos que je reçois. Parfois je n’insiste pas trop mais quand j’adore un truc, je vais l’écouter vingt fois de suite, jusqu’à m’en dégoûter. A un moment, je me dis « Tiens ça vaudrait le coup que je le sorte », juste parce que ça me plaît carrément en fait. Tout ce qu’on a sorti quand on nous a sollicité, j’aurais regretté de ne pas les avoir sorti. Parce que ce sont des projets que j’adore réellement. Mais de toute façon c’est limite déontologique, pour nous : quand tu dis aux gens « Envoyez-nous vos démos », la moindre des choses c’est d’écouter, pour moi.

 Dernièrement, tu es beaucoup reparti sur de la K7. C’était surtout pour des raisons financières, j’imagine ? Ou plutôt une question de matière à exploiter ?

Évidemment, l’histoire autour du 009 nous a mis un coup financièrement parlant, même si au final ça s’est bien terminé, grâce à l’intervention du ciel. Je ne parle pas du petit Jésus mais de la pluie (rires). Les K7 coûtent moins cher à faire, bien sûr. Mais pour moi certains projets se prêtent plus à faire ce type de format. Et puis il y a un truc que j’ai envie de dire : la K7, putain, c’est un format que j’adore. Le vinyle, tout le monde voit ça comme le Saint Graal. Je suis 100% ok avec ça mais je suis très attaché sentimentalement à la K7. Pour moi ça n’est pas une sortie cheap du vinyle, loin de là. C’est pour des projets qui s’y prêtent. La raison financière existe bien sûr mais ça n’explique pas tout. D’ailleurs on a un vinyle en préparation.

J’allais y venir, d’ailleurs. Même si tu ne regardes pas dans 10 ans, tu as déjà prévu des sorties dans les mois à venir ?

C’est marrant parce que, pour reprendre ce qu’on disait tout à l’heure, c’est la première fois depuis la création du label que j’ai fait un réel plan de travail, avec des projets. Comme je te disais, là on bosse sur un split entre la Canadienne TerrorBird et la Française Micro Cheval. Et j’ai envie de faire une série de trois sorties d’échanges franco-canadiens : un premier volet avec des artistes féminins, un deuxième avec des artistes masculins et un troisième volet groupe.

Groupe, transgenre tu veux dire (rires) ?

Tout à fait, je suis pour le troisième genre. D’ailleurs big up à l’Australie qui a voté la reconnaissance officielle des transgenres l’année dernière.

 Tu as déjà défini les autres groupes et un timing de sortie ?

Pour les autres groupes, pas encore. Pour le timing, pendant ou après l’été. On prévoit trois ou quatre morceaux par artiste, sur un 12”. Notre projet le plus compliqué depuis longtemps, en fait. Le dernier vinyle sorti est le Happy New Year en 2012. Et pour les cinq ans du label, je prévois aussi une sortie vinyle. Je ne sais pas trop où ça va aller mais l’idée est de faire des remixs de morceaux qu’on a sorti par le passé. Organiser une sortie spéciale, pour célébrer le truc. C’est plutôt cool d’atteindre les cinq ans pour un projet où rien n’était prévu. On a clairement envie de fêter ça et d’en faire quelque chose de particulier.