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Rrose, artisan techno

Par Nathan Fournier, le 27-05-2014
Musique

Rrose est un monsieur discret. Quelques interviews disséminées ici et là sur internet, toujours les mêmes questions, et toujours les mêmes réponses. Non, nous ne savons pas qui est Rrose. Avec un nom comme un hommage absurde à la Rrose Sélavy de Duchamps, le producteur le dit tout net : c’est la musique qui importe.

La posture des musiciens qui refusent de révéler leur identité est toujours problématique. « Je veux que l’on se concentre sur ma musique plutôt que sur qui je suis ». Mais en se positionnant de cette façon, on recentre l’attention sur sa personne, qu’on le veuille ou non. Tout devient mystère, rumeur et projections douteuses, et on en oublie un peu la musique. Qui est Rrose ? Qui se cache derrière le masque rouge de Redshape ? Est-ce que Four Tet se cache derrière Burial ?

Mais le discours de Rrose a cela de différent qu’il ne se cache pas vraiment. Il le dit, il est dans la sphère des musiques électroniques depuis plus de 20 ans, et Rrose est un nouveau projet techno. Ses quelques réponses transpirent l’expérience et une certaine lassitude, le monsieur connait l’environnement dans lequel il travaille, il en connait les rouages et les attentes.

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Wedge of Chastity, EP colossal sorti en novembre 2012.

En fait, Rrose est un professionnel. Un vrai professionnel. Jamais ne transparait le statut d’artiste dans ce qu’il fait ou ce qu’il dit. Il maitrise ses sujets, ses envies, se produit sur scène (en Rrose Sélavy, d’ailleurs) parce que c’est attendu de lui. Il est comme un vieux sage de la techno, qui a déjà tout vu et n’en fait pas trop, alors qu’il est relativement nouveau sur cette scène.

Projeté à l’avant de l’underground techno par ses amis de Sandwell District, il enchaîne les maxis et collaborations prestigieuses (le remix de son Waterfall par Lucy est démoniaque). Ici encore, c’est du travail de pro.

Sa musique, il la veut vectrice de malaise, d’hallucinations, de violence, de danse, d’anxiété, de claustrophobie. Un cocktail fort en émotion, qui tambourine dans les entrailles et fait battre les cœurs à la chamade.

Calmement, mais sûrement, sans exubérance, il développe les beats, les textures et drape ses rythmes de drones et de bruits. La précision et l’austérité de ses productions en deviennent presque terrifiantes, car dans ces étendues de froideurs numériques se révèle la fibre même de la techno : la répétition et la lourdeur des beats.

En fait, Rrose se place du côté des artisans, jamais du côté des artistes. Là où des Jeff Mills, Robert Hood ou autre grands noms de la techno habillent leurs albums de concepts, de récits et d’envies futuristes, amenant le genre vers des sphères nouvelles, Rrose monte la garde avec talent.

Au lieu de refondre les canons pour en tirer du nouveau, il a décidé d’en maitriser la fabrication traditionnelle. Chacun de ses maxis est alors une démonstration de précision et de savoir-faire, où les méthodes sont sublimées. Rrose est ce meilleur ouvrier de France chez Bocuse, celui qui vous coupe une poularde de Bresse en deux coups précis de couteau. Tout est dans l’exécution.

Au lieu de refondre les canons pour en tirer du nouveau, il a décidé d’en maitriser la fabrication traditionnelle.

Mais la beauté, dans l’histoire, c’est quand la maitrise totale de l’artisan touche le statut d’art. Quand chaque détail est parfaitement exécuté, quand chaque beat est taillé avec ce savoir-faire, cette envie de créer le plus beau des ouvrages. Alors on se retrouve face à une musique d’une force tellurique. Cette puissance au final n’a rien à voir avec les envies de l’artisan. C’est l’œuvre en elle-même qui compte, pas la volonté ou l’idée qui se cache derrière.

En fait, avec sa dernière sortie Eating the Other, Rrose prouve que personne n’a besoin de savoir qui il est. Derrière le masque, il y a un professionnel qui forge sa techno avec soin. Et ces productions vivent d’elles-mêmes. Ce sont des petits chefs-d’œuvre sans prétention, qui se baladent de scène en scène, loin des grands concepts. Des chefs d’œuvres professionnels, en somme.

Depuis 2011, le monsieur derrière le projet Rrose fait en réalité tout l’inverse de Duchamps. Il est loin des provocations artistiques, des absurdités et des concepts de l’art. Il est dans le concret, dans les fondamentaux. Il maitrise la recette techno parfaitement, et continue de l’affiner pour en atteindre l’ultime expression.