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S’il y a bien un revival réjouissant, c’est celui de la soul music. En soi un revival n’a rien d’étonnant, mais celui-ci a quelque chose de différent, si l’on veut bien se pencher sur les personnes qui l’animent aujourd’hui.

La soul, une musique d’antiquaires

Le succès mondial d’Amy Winehouse, celui en France de Ben l’oncle soul, ont redonné des succès à la soul music. Un genre tellement associé aux années 60 qu’il fallait être bien informé, dans les années 90, pour s’apercevoir que des artistes continuaient à publier des disques de cette veine. Il faut bien avouer que les gloires du genre ont peiné à enregistrer des disques à la hauteur de leurs années au pinacle. Bobby Womack est passé à la soupasse, Al Green a préféré son nouveau job de pasteur, James Brown tournait en roue libre sur ses vieux tubes, et seul l’ultime album d’Isaac Hayes a troué la grisaille.

La soul était devenue une musique d’antiquaire, pour mélomanes pas dans leur époque

Durant cette décennie, les amateurs faisaient provision de rééditions et, surtout, de compilations de titres très rares exhumés par des labels de passionnés comme Strut ou Souljazz. La soul était devenue une musique d’antiquaire, pour mélomanes pas dans leur époque.
Il a donc fallu une jeune étoile filante, une torchère brune, anglaise de surcroît, pour redonner au grand public le goût inimitable de la soul des années Stax et Motown. Dans la foulée, certains anciens ont retrouvé l’inspiration. Le Al Green de 2008 fait honneur à sa discographie. Aaron Neville a repris en 2006 des classiques sans les défigurer (après une série de disques anecdotiques). Et puis surtout, Mavis Staples est redevenue une référence, elle enfile avec régularité de beaux disques entre blues et soul sur lesquels on se rue.

La génération manquante

lee-fields-problemsD’un côté les jeunes pousses. De l’autre les vieilles gloires sur le retour. Normal, quoi.
Mais le plus surprenant n’est pas là. A quarante-cinquante ans, beaucoup d’artistes raccrochent les gants, après des années à tirer le diable par la queue dans des salles miteuses et sans pouvoir s’offrir mieux que la banquette arrière du van pour des nuits toujours trop courtes. Plus le temps passe et plus l’éphémère succès des tout débuts est oublié de tous, et il devient temps de renoncer au rêve, trop coûteux le rêve, pour passer à des activités alimentaires et voir grandir ses petits-enfants.
Looking for sugar man, documentaire couvert de récompenses, a permis la réédition des albums de Sixto Rodriguez et des tournées mondiales avec ses tubes de l’époque. Come back en forme de conte de fée Carabosse, d’un homme abîmé et cabossé par les décennies de labeur. Mais le cas Sixto est l’exception, et le contre-exemple de cet article. Le jeune musicien vivotait et jouait dans les plus petits bars de Detroit, jusqu’à ce qu’il soit remarqué. L’un des meilleurs producteurs de l’époque (et membre des fameux funk brothers de Motown), Dennis Coffey, l’aide à accoucher de ses deux albums. De très bons disques contenant quelques véritables joyaux. Mais 40 ans plus tard, si le cinéma a permis le retour de Sixto, c’est pour jouer ses morceaux de l’époque. Il avait tiré un trait sur la musique et, à 70 ans, il n’a aucun projet de nouvelle chanson. Du moins ce retour lui aura apporté la reconnaissance et de quoi assurer l’avenir de ses filles.

La soul music a écrit récemment de belles histoires. Celle de Sixto est touchante, le succès du film qui lui est consacré le prouve. Mais elle reste une fenêtre ouverte sur le passé. Alors que pour d’autres artistes, pas toujours beaucoup plus jeunes, le 21e siècle apporte un vrai départ. Tardif, mais bel et bien le départ d’une carrière et d’une avalanche d’enregistrements nouveaux, de titres inédits.

Lee Fields n’avait jamais réussi à sortir de la semi obscurité, depuis le début de sa carrière en 1969. A l’époque les labels n’avaient qu’à tendre la main pour cueillir chaque jour de nouveaux talents. Elmer “Lee” a vivoté en passant d’un backup band à un autre, assez pour gagner sa croûte, jamais suffisamment pour mettre son nom sur une affiche. Jusqu’en 2002. Il a alors 51 ans, et une discographie chargée de 45t et 7 albums tous passés inaperçus. Avec Problems, magnifique disque dont le son intact colle au revival 60s, sa carrière décolle… 33 ans après ses débuts. En 2014 il poursuit sa route avec un 4e album en 12 ans, rythme très honorable.
Cette même année 2002, un type encore plus vieux sort de l’oubli. Charles Bradley, lui, n’a pas eu la chance de sortir de disque. Le génial label Daptone lui permet d’égrener une série de 45 tours, alors qu’il a déjà l’âge d’être grand-père. En 2011 il publie le premier de ses deux albums, à 63 ans. Comment ne pas croire, après ça, qu’aux Etats-Unis “tout est possible”.

Et Amy Winehouse là-dedans?

Sans doute n’aurait-elle pas connu un tel succès sans les meilleurs musiciens du monde. Un groupe hors pair, associé à un label de puristes new yorkais, Daptone records.
sharon-jones-100daysOr les Dap Kings accompagnent aussi la vraie diva soul du 21e siècle: Sharon Jones. Quel destin que celui de cette femme qui n’a pas eu besoin d’un corps de mannequin pour faire carrière. A 40 ans, elle laisse derrière elle des jobs improbables, convoyeuse de fonds, gardienne de prison à Rykers island, et même policière du NYPD si la limite d’âge ne l’en avait pas empêché in extremis.
Depuis, 5 albums enchaînés au même rythme effréné que ses tournées mondiales. Puis une pause forcée pour prendre le dessus sur une saloperie de cancer, et à peine remise sur pied elle nous revient avec un sixième album. Bel album punchy et varié, qui redonne un coup d’accélérateur à une discographie guettée par le ronronnement. Il est grand temps pour vous d’écouter Give the people what they want.

Sharon Jones, Charles Bradley, Lee Fields, leur succès est aussi tardif que largement mérité. Mais leurs disques n’ont finalement rien d’un revival. C’est cela le plus inattendu de cette affaire, et ce qui rend leurs disques aussi attachants. Cette soul aux odeurs de grenier, c’est celle qu’ils écoutaient dans leur jeunesse et qu’ils n’ont jamais cessé d’aimer. Rien à voir avec Amy Winehouse, jeune anglaise férue d’une musique pas de son âge ni de son pays. Une petite blanche, qui plus est. Une jeune femme géniale au destin tragique, et à qui ces vieux américains doivent finalement une fière chandelle.

Le message? Mmmmm… oui il y a bien un message après tout : soul music never dies.