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Marie-Flore était déjà vendeuse de velours, sa voix vous fait des choses qu’on ne peut pas toutes écrire en public… La voici championne de catch, à peine une demi-mesure et Number them nous a déjà accroché. On s’endort en fredonnant le refrain, on se réveille avec un couplet, et on danse en chantant sur ce midtempo diabolique. Il y a de la sorcière chez cette femme, on se dit qu’en tout petit en bas des paroles il doit y avoir quelque part “I put a spell on you”.

Il y a ces arrangements, qui savent accentuer les contrastes, façonnés avec Robin Leduc. Les claviers, instrument nouveau pour Marie-Flore et qu’elle aborde en autodidacte, changent la couleur de sa pop et lui apporte un côté hyper moderne, elle qui a été biberonnée aux mélodies 60s du Velvet et des Kinks. Quand on réalise le chemin parcouru par Empty walls depuis la toute première version qu’elle en fit, on saisit que ces morceaux sont assez solidement bâtis pour être réinterprétés à loisir.

Il y a cet art de l’accroche. Comme si la jeune femme, plutôt discrète à la ville, pas ramenarde pour deux ronds, craignait de ne pas savoir attirer l’attention.

Il y a ces ritournelles et ces tourneries. Ces intros délicieusement catchy. Ces breaks et contrepieds qui déboussolent en cours de morceau, sur Number them ou Fancy me, ou qui emmènent le morceau complètement ailleurs (By the dozen) rappellent l’espièglerie et l’inventivité mélodique des premiers Bowie. Cette manière de faire danser avec des paroles rongées par l’inquiétude accentue la comparaison.

Il y a ces paroles. Sur All mine, cette manière qu’elle a d’égrener les promesses d’un aimé, s’efforçant de se convaincre que tout va bien, cette fausse nonchalance confine au dandysme le plus élégant. Et puis ce dédain pour les rimes faciles, auxquelles elle préfère des tournures de son cru (« feathered with daggers », image aussi dérangeante qu’intraduisible).


Number Them

Il y a l’amour… encore l’amour. Et il y a ce qu’on en fait. Le laisser traîner au pied du lit entre deux chaussettes tirebouchonnées. L’oublier sur le frigo et le laisser dégouliner sur le plancher. Ce qu’on fait de l’amour… le bâcler. Ce qu’on en dit, pas grand chose, quelques mots creux qui ne font pas trop peur.
Il y a l’amour, et ce que Marie-Flore en fait. Ce vieux thème éculé que l’on n’ose plus aborder pour ne pas s’y engluer. Sous sa plume il retrouve vigueur et prestance. Dans sa bouche il garde cette acidité qui perce les joues et monte le rouge au front. Au front, crânement, prête à batailler.
Il y a l’amour et il y a savoir le faire, il y a savoir en parler, et même le chanter. C’est si trivial, c’est si difficile. C’est si beau, si beau quand c’est elle qui s’en empare.

Il y a ce chant, et ce grain de voix. La voix de Marie-Flore reste le pilier de son art. Le flow qu’elle déploie sur Fancy me ferait pâlir plus d’un rappeur. Les montagnes russes de Loud dark clown ne la font dérailler ni dans le grave ni les aigus, son chant virevolte, sexy en diable. Imaginez la plume de Jarvis Cocker avec la voix de Brian Ferry. Rien d’étonnant à ce qu’elle soit une guest de plus en plus convoitée, dernièrement par Baxter Dury à la Route du rock.

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D’ailleurs depuis ses débuts, et ce 45 tours remarquable gravé en Angleterre (épuisé, forcément), la française sait s’entourer. Sur ses disques ou ceux des autres, pour ses concerts (Owlle l’accompagna avant de se lancer en solo) ou sur des tournées (dans des Zénith pleins à craquer de fans de Peter Doherty), elle a juste ce qu’il faut de confiance en son art pour ne pas avoir peur des ombres portées.

Lorsqu’on a la chance de suivre Marie-Flore depuis un moment, on réalise combien de titres elle a écrits, remaniés, abandonnés parfois, réinventés… Alors que le premier album est parfois une saillie adolescente, l’expression d’une urgence qui laisse les mains vides et l’inspiration à sec, celui de Marie-Flore ne confirme que des certitudes. Malgré sa jeunesse, elle a déjà foulé des scènes un peu partout, d’abord seule à la guitare avec ses pédales d’effet. Elle a testé plusieurs formules, changé de musiciens jusqu’à trouver la combinaison voulue. Cette maîtrise, cette expérience acquise à l’ancienne, tomber neuf fois, dix fois se relever, explosent sur scène où elle nous a à sa pogne du début à la fin, laissant derrière elle une voie lactée de regard brillants.

Entre l’envoûtement de Feathered with daggers, le blues dopé de Loud dark crown, et le crush instantané provoqué par Number them, on cherche encore quel titre est le mieux à même de concurrencer Empty walls, amante qui hante nos rêves éveillés.

Quand ça vous rentre dans la peau, quand ça ressort par tous les pores, quand ça t’agrippe l’échine et te caresse partout ailleurs… c’est un peu plus que des chansons.
Quelques notes à peine et on ressent quelque chose de changé. L’air se fait plus épais, la peau électrisée se laisse parcourir par cette voix de louve, dont les refrains se lovent au creux de l’oreille.

By the dozen, sortie le 8 septembre chez Naïve.