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Salgado n’est pas le moins doué des photographes de sa génération, c’est peu dire. Depuis quarante ans, il arpente le monde pour le capturer en noir et blanc. Parfois majestueuse, souvent terrible, la planète y est vivace. Mais Sebastião Salgado a surtout une réputation de photographe social : en Ethiopie lors de la grande famine de 1984, en Yougoslavie en 1995, dans les mines d’or ou encore lors d’exodes de peuples en quête de terre promise. Salgado a capté les instants de familles déchirées par la guerre, la maladie, la faim et donc la mort. Les cadavres jonchent le vivant. Les clichés sont parfois à la limite du supportable faisant surgir frissons ou larmes.

Wim Wenders, tout en voix-off lénifiante, nous explique qu’il a rencontré « plus qu’un photographe ». Sans blague.

Véritable hagiographie, Le Sel de la terre raconte cette épopée. Wim Wenders, tout en voix-off lénifiante, nous explique qu’il a rencontré « plus qu’un photographe ». Sans blague. L’idée de rendre hommage à Salgado n’est pas une mauvaise idée en soi. D’ailleurs, nous y reviendrons, ça a son intérêt. Mais la manière dont Wenders et son co-réalisateur Juliano Ribeiro Salgado, fils du héros de ce film, tentent l’immersion avec le photographe pose problème. Le fiston veut suivre son père dans le cercle arctique, pour voir qui est vraiment cet homme qui partait tout le temps en voyage. Tout ce pan du film, narrant platement la vie du photographe comme on recopie une fiche wikipédia pour son exposé, assomme. Seule bonne idée, le noir et blanc d’une partie des images, comme pour se fondre avec l’esthétique des photos. Or, à y regarder de plus près, les images de Wenders sont plus plates, plus grises, moins soyeuses et en dégradés. Gageons qu’il s’agisse de modestie. Tout le monde ne peut pas faire d’images de la qualité de Sebastião Salgado.

La comparaison a même du bon. Lors d’une expédition pour photographier les morses et les ours polaires, Sebastião Salgado se plaint de la laideur des images, expliquant qu’il ne suffit pas d’être présent sur le lieu pour faire de la photographie, mais qu’il faut savoir cadrer. En illustration de cette plainte défile les images anodines des réalisateurs sur un ours blanc pourtant très beau.

Limbes et Genèse

Paradoxalement, Le Sel de la terre est néanmoins un film fascinant. La majeure partie du temps, Salgado père explique son travail. Il raconte ses aventures, du Brésil au Rwanda en passant par les puits enflammés du Koweit que les pompiers tentent d’éteindre. Là, sur grand écran, les clichés prennent toute leur puissance d’immersion. Les regards nous pénètrent, les décors nous étourdissent. Parfois, en surimpression, le beau visage du photographe apparaît. Car il fait partie de ses œuvres. Sa voix délicate, faite d’un mélange d’accent brésilien et de fierté européenne, contextualise, jusqu’à faire part de ses états d’âme.

Du Sel de la terre émerge la beauté des choses visibles et la puissance de l’invisible.

Sans laisser frémir sa voix, il narre ; ce sont ses yeux qui font passer toute l’humanité – et l’humilité – du personnage. Salgado vivra une profonde dépression devant les horreurs humaines, notamment après le génocide du Rwanda, limbes terrestres d’où rien de bon ne pouvait émerger. Il retrouvera le goût de la photo en quittant le social et en se concentrant sur la beauté plastique du monde. Une nouvelle Genèse comme il le dit lui-même. Et au final, la beauté des choses visibles et la puissance de l’invisible émergent du Sel de la terre

L'art du noir et blanc par Salgado

L’art du noir et blanc par Salgado