Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive
de Christophe Donner

Par Thomas Messias, le 02-10-2014
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2014' composée de 9 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2014. Voir le sommaire de la série.

Le processus d’écriture qui consiste à bâtir un texte appelé roman autour de personnages ayant réellement existé est une chose infiniment délicate. Certains auteurs procèdent à un véritable travail d’historien afin d’extraire, détail après détail et phrase après phrase, l’essence de ceux et celles à qui ils entendent redonner vie. D’autres choisissent de réellement romancer la vie de leurs héros, de la raconter telle qu’ils la fantasment, d’être le prisme forcément déformant de l’existence de gens qui les fascinent pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Le problème du roman de Christophe Donner, c’est qu’il ne s’inscrit réellement dans aucune de ces veines, et sa façon d’avoir en permanence le cul entre deux chaises n’a franchement rien de convaincant. Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive (titre emprunté à une citation d’Orson Welles à propos des gens du cinéma) entend suivre les premiers pas, puis les suivants, de quelques petits mecs qui ont compté dans le cinéma français : Jean-Pierre Rassam, Claude Berri et Maurice Pialat. Rassam, le moins connu pour le grand public, est un producteur aux dents longues, fils d’un magnat du pétrole libanais, et dont la courte vie (il est mort à 44 ans en 1985) aura été tumultueuse mais pas sans panache. Nous ne vieillirons pas ensemble, La grande bouffe, Tess, c’est lui. En tout cas c’est son argent. Car Rassam apparaît avant tout comme un financier ambitieux, qui met son fric dans le septième art comme d’autres achèteraient des chevaux : pour se faire mousser et se sentir important. On sent que Christophe Donner s’est régalé à lui redonner vie : les répliques fleuries pleuvent, la cocaïne et le sentiment de pouvoir transformant le producteur en un monstre d’arrogance.

À chaque page où Donner épouse le point de vue de Rassam, il le fait avec complaisance

Le portrait aurait pu être acerbe et pointu, il n’est que faussement truculent. L’impression qui prédomine, c’est que Christophe Donner se sert de Jean-Pierre Rassam de la même manière que Jean-Pierre Rassam se servait des films qu’il produisait : pour se faire mousser. On sent la jubilation de l’auteur à broder des dialogues qu’il imagine à la Audiard. On ressent à chaque page l’exutoire que constitue pour lui le fait de pouvoir embrasser le point de vue de Rassam. Donner se régale à insister sur le côté interchangeable des femmes, à souligner que ce sont un peu toutes des putes, sauf deux ou trois, parce que quand même, loin de lui l’idée de toutes les mettre dans le même sac. « Il y a plus de filles que de garçons », écrit-il pour décrire une soirée, « on a parfois du mal à distinguer les putains des thésardes tellement elles sont toutes belles, libérées, ou en voie de l’être ». À chaque page où Donner épouse le point de vue de Rassam, il le fait avec complaisance, ravi d’avoir trouvé un prétexte pour pouvoir écrire mille vulgarités sur les femmes ou le cinéma. Et c’est terriblement désagréable.

Les personnages les plus intéressants du livre sont curieusement en retrait, sans doute parce qu’ils ne véhiculaient pas assez de vitriol et de bons mots pour appâter le chaland. Le portrait de Claude Berri, s’il n’apprend pas grand chose à quiconque connaît un peu le cinéma des années 60-70, se révèle plutôt touchant. Avec sa gueule de petit oiseau mal rasé, trop tôt tombé du nid, Berri balade ses complexes et ses angoisses au gré d’une carrière de cinéaste – producteur – acteur traversée par le doute et par le mépris de lui-même. Dans certains passages, lorsque Christophe Donner accepte de s’oublier un peu au profit de ceux qu’il décrit, il naît une véritable compassion pour Berri et son petit monde. Des instants trop fugaces mais néanmoins présents.

La partie Pialat, elle, est chichement racontée. Pialat est pourtant le personnage le plus fascinant de tous, un monstre de talent et de charisme dont le caractère merdique et les hautes ambitions cinématographiques ont rarement collé avec les desiderata des financiers. Un homme frustré par l’existence, rongé par l’envie de tourner davantage de films, qui traversa la vie avec une dureté qui n’excluait pas la violence. Il faut se contenter de quelques miettes sur ce monstre sacré, l’exaspérant Jean-Pierre Rassam prenant décidément toute la place, dans le roman comme dans la vraie vie.

Le travail de documentation semble assez léger, la stylisation du récit bien insuffisante

Teinté de name-dropping et d’anecdotes voulues comme hautes en couleurs, comme un Paris Match de 300 pages, Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive résonne comme une immersion superficielle dans un univers trop souvent résumé par Donner aux cigarettes, au whisky et aux petites pépées. Le travail de documentation semble assez léger, la stylisation du récit bien insuffisante, faisant de Christophe Donner l’équivalent de ces types un peu frimeurs qu’on rencontre dans les soirées parisiennes, capables de jouer les amis des stars alors qu’ils ont vaguement passé dix minutes dans la même pièce que telle ou telle célébrité. On a envie d’aller reprendre un verre, de trouver un prétexte pour aller rejoindre des gens plus intéressants et moins superficiels, mais en aucun cas de rester plus longtemps à écouter les sornettes d’un type qui mérite juste qu’on lui tourne le dos.