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60 albums pour 2014

Par Julien Lafond-Laumond, le 14-01-2015
Musique
Chaque année je publie un top albums sur l’année écoulée. Cela m’aide à faire le point sur ce que j’ai pu écouter. Je le fais moins pour juger des albums que pour leur donner du sens. S’il y a un classement, c’est surtout pour distribuer les priorités. Les albums que je retiens avant les autres ne sont ainsi pas forcément meilleurs, mais je les estime plus intéressants, c’est à dire plus susceptible de satisfaire toutes les curiosités. Du coup, j’espère éviter autant que possible le classement onaniste de ce qui m’a donné le plus de plaisir à moi. Parce que bon, ça, personne n’en a rien à faire.

60 Lone – Reality Testing

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R & S Records

Virtuose des synthés, Lone est aussi un compositeur un brin pompier, qu’on aurait bien vu il y a quarante ans jouer avec Yes ou Emerson, Lake and Palmer. Sur Reality Testing, il ajoute cependant un élément nouveau qui fait beaucoup de bien à sa musique : le hip-hop, celui des 90’s et de DJ Premier. Ce hip-hop, qui est plutôt immédiat et minimaliste, a tendance à rééquilibrer une musique autrefois un peu trop portée vers les boursouflures rave et les démonstrations techniques. Ouf.

59 Cult of Youth – Final Days

Sacred Bones Records

Sacred Bones Records

Final Days est un album jouissif à écouter. Il est intense, avec un excellent feeling mélodique. Problème, il n’y a rien dans cet album qui ne sente pas la pièce rapportée. Sean Ragon, son leader, a beau en faire des tonnes sur son sentiment de liberté, sur l’angoisse qui l’assaille tout le temps et qui rendrait sa musique si authentique… son album sent le réchauffé. C’est comme ça. Ragon est avant tout un vendeur de disque passionné. Il n’y peut rien. J’adore ce disque. Je l’adore parce que moi aussi j’aime Death in June à la folie, et Throbbing Gristle aussi, et les Birthday Party, et les Pale Fountains. Mais définitivement pas parce que j’aime les Cult of Youth. Une sacrée limite pour un disque à l’efficacité démente.

58 FKA Twigs – LP1
Arca – Xen

Young Turks

Young Turks

À mon avis, l’engouement ne va pas durer des années. FKA Twigs est une synthèse un peu trop parfaite entre Sade et Aaliyah pour résister au temps qui passe. Concernant Arca, c’est la même chose. Même s’il se rattrape toujours in extremis avec son flair mélodique, ses instrus ressemblent quand même un peu trop à des démos techniques pour fabricants de matos. Bref, leur duo était génial en 2012 et 2013 ; en 2014, il commence à devenir ennuyeux. Et ne laisse pas optimiste pour la suite.

57 Fumaça Preta – Fumaça Preta

Soundway

Soundway

Un portugais installé à Amsterdam qui décide de revivre la grande aventure tropicaliste, c’est étrange et plutôt anachronique. Ça marche pourtant très bien et pour plusieurs raisons. D’abord parce que l’énergie d’Alex Figueira est particulièrement communicative – peut être parce que pour lui, le tropicalisme est une affaire personnelle et pas un simple héritage culturel. Ensuite parce qu’il ne se contente pas de refaire du Os Mutantes à l’identique : il poursuit au contraire leurs recherches en y ajoutant des éléments actuels, comme une agressivité typiquement punk ou des bidouillages électroniques. C’est pas toujours réussi, mais c’est débordant de fun.

56 SHXCXCHCXSH – Linear S Decoded

Avian

Avian

On pardonne sans problème aux deux Suédois de se la jouer mystérieux, cyniques, génies incompris et provocateurs de pacotille quand ils sortent des tracks aussi puissants et remarquables que ceux de STRGTHS, le meilleur album techno de 2013. Mais en 2014, on ne devait rien leur pardonner avec un successeur aussi mou et normalisé… Rien à faire, j’ai malgré tout encore cédé. Ils ont eu raison de ma corde sensible.

 

55 White Suns – Totem

Flenser records

Flenser records

S’il y a bien un groupe qui ne galvaude pas l’appellation noise, c’est bien les White Suns. Du hardcore, ils retiennent l’univers textuel et le mixage simpliste. Pour le reste, ils font appel à tous les procédés bruitistes et terroristes qu’ils connaissent : fluctuations du tempo, contretemps, fréquences suraiguës, guitares en forme de barres à mine. Que du bonheur. C’est un peu comme si on se trouvait dans une grande entreprise qui travaille à la chaîne. Et qu’on était le produit qui circule sur les tapis roulant, qui passe de machine en machine avant de se faire mettre en conserve. Réjouissant.

54 Deepchord – Lanterns

Astral Industries

Astral Industries

L’attention des médias prescripteurs s’est envolée, mais la qualité des enregistrements de Deepchord perdure. En quatre titres d’une quinzaine de minutes, Rod Modell démontre tout son savoir-faire. Sa dub-techno se déploie dans une douceur infinie, avec une maîtrise parfaite de l’espace-temps sonore. Lanterns n’est pas le moins immersif des albums de Deepchord, c’est tout ce qui compte.

 

53 Milllie & Andrea – Drop de Vowels
Andy Stott – Faith in Strangers

Modern Love

Modern Love

Après un début de carrière solide et sans génie, Andy Stott a depuis fait le yo-yo, entre l’excellent – les deux mini albums We Stay Together et Passed Me By – et l’affligeant – Luxury Problems, qui voyait Stott tomber dans les mêmes travers vulgarisateurs que Trentemoller. En 2014, il semble néanmoins avoir retrouvé son équilibre, en solo, à travers Faith in Strangers, comme en duo, avec Miles Whittaker de Demdike Stare. Faith in Strangers et Drop The Vowels sont ainsi deux albums assez similaires : des atmosphères planantes et évocatrices, une belle variété rythmique, et puis une espèce de menace latente, sourde et animale. À nouveau Andy Stott, redevient donc un producteur solide, brillant et sans génie. La boucle est bouclée.

52 Protomartyr – Under Color of Official Rights

Hardly Art

Hardly Art

Exactement de ce qu’on peut attendre d’un album adoubé par Pitchfork : une efficacité sans faille et un niveau d’élaboration quand même bien supérieur à la moyenne. Bâti une section rythmique très classique, Protomartyr nuance par contre beaucoup ses textures de guitares. C’est un beau travail, aux tempos variés, porté un par un frontman, Joe Casey, au charisme indéniable. Donc non, rien d’exceptionnel à dire sur cet album, si ce n’est qu’il est très bon.

 

51 The Heliocentrics & Melvin Van Peebles – The Last Transmission

Now-Again Records

Now-Again Records

Depuis quelques années, le collectif de soul-funk The Heliocentrics invite des vieilles gloires de la black music à partager le studio avec eux. Après Mulatu Astatke, Lloyd Miller et Orlando Julius, ils ont cette fois invité le réalisateur / acteur / poète / compositeur Melvin Van Peebles à déclamer ses textes afrofuturistes. En résulte The Last Transmission, une session discrète, sans artifice, où la voix de Van Peebles semble comme perdue dans l’espace, à peine supportée par des vignettes jazz légères comme tout. À force d’écoutes, le psychédélisme latent de cette collaboration fait son oeuvre et, tout doucement, nous contamine. Très belle rencontre.

50 Ena – Binaural

Samurai Horo

Samurai Horo

Pour tester les limites du sound design techno actuel, j’attendais surtout Lucy ou Objekt. Seulement le premier a sorti un album complètement soporifique – Churches Schools and Guns – ; quant au second, son LP Flatland m’a semblé maigrelet par rapport aux attentes démesurées que j’en avais. Je me rabats donc sur Ena, producteur tokyoïte oeuvrant dans la drum’n’bass déliquescente. Le BPM est fixé à 170, mais pas de risque d’excès de vitesse, Binaural est surtout un disque noir, aride, aux grooves clairsemés. Avec donc un son de haute-volée. Petite anecdote marrante : la version CD / digitale ne contient pas du tout les mêmes morceaux que la version vinyle. Preuve de l’impersonnel absolu de ces compositions.

49 Dean Blunt – Black Metal

Rough Trade

Rough Trade

D’abord agitateur post-moderne au sein de Hype Williams, Dean Blunt semble depuis à la recherche de sa virginité perdue. Chacune de ses nouvelles sorties renouvelle sa demande de pardon, dans un chemin rédempteur visant la pop la plus candide et insouciante. Cela sonne tellement faux ! Plus en effet Dean Blunt sample Felt, plus il essaie de chanter normalement et de sonner propre, plus il semble seul, débraillé avec sa technologie contemporaine qui ne sera jamais un studio d’enregistrement des 80’s. En fait, Black Metal pousse plus loin que jamais le fascinant paradoxe de son auteur : un black qui voudrait plaire aux blacks mais n’intéresse que les hipsters, un compositeur qui en voulant se rapprocher de l’âge d’or de la pop ne fait que souligner l’architecture informatique de sa musique. Le plus beau contresens de l’année 2014.

48 Afrikan Sciences – Circuitous

Pan

Pan

Le parcours de Flying Lotus me déçoit tellement. Le voilà arrivé en plein jazz fusion, là où ses compétences de beatmaker ne sont plus qu’accessoires. Le problème, c’est que dans le champ du jazz électronique, petit neveu d’Alice Coltrane ou pas, Flying Lotus n’est à mon avis pas le meilleur. Eric Douglas Porter, par exemple, n’a pas à baisser les yeux devant lui. Son troisième album est du genre dense, bien plus dense que ne le l’était le trop court et superficiel You’re Dead!. Circuitous est un gros pavé, plein de broken beats et d’épaisses tartines de synthés. C’est dur à avaler et parfois complètement indigeste, mais la virtuosité d’Afrikan Sciences est dingue. Au moins lui ne fait pas dans la dentelle.

47 Natural Snow Buildings – The Night Country

Autoproduit

Autoproduction

C’est de pire en pire. Natural Snow Buildings devient un groupe de plus en plus obscur. The Night Country n’est sorti qu’à 50 exemplaires et n’a pas eu droit à la moindre critique spécialisée… Merde ! Il est pourtant magnifique, dans la même veine que ce que le duo breton produit depuis dix ans : un folk-ambient de rêve qui n’a rien à envier à celui très réputé et reconnu de Liz Harris (Grouper). Mais il a toujours manqué à Mehdi Ameziane et Solange Gularte quelques petits détails : des formes plus épurées, des morceaux et albums moins interchangeables… The Night Country est un album que personne n’a écouté, et qui ne se remet pas en question une seule seconde. Le lien entre les deux est évident. Tant pis pour tout le monde.

46 David Krakauer – The Big Picture

Table Pounding Records

Table Pounding Records

En 2014, le clarinettiste David Krakauer a surtout fait parler de lui pour son nouvel album de compositions, Checkpoint – un ouvrage de modern-klezmer dans les standards habituels de son géniteur. On a en revanche beaucoup moins communiqué sur The Big Picture, sorti à peu près au même moment, et qui s’avère pourtant bien plus rafraîchissant. Krakauer y interprète en toute naïveté onze grands thèmes de films abordant la condition juive. Le résultat est brillant, émouvant et heureusement sans ambition superflue.

45 Pharmakon – Bestial Burden

Sacred Bones Records

Sacred Bones Records

Abandon, le premier album de Margaret Chardiet sorti l’an dernier, suscitait des remarques un brin machistes, du type « pour une petite blonde, elle fait un sacré boucan ». Heureusement, Bestial Burden amène à des commentaires nettement plus subtiles. Il faut dire que la jeune newyorkaise a bien appris en une année, que ce soit musicalement – avec un bagage technique bien plus étoffé – ou humainement – grâce ou à cause d’une lourde maladie sur laquelle elle s’appuie aujourd’hui dans sa pratique artistique. Le résultat est un album violent et tourmenté, bien sûr, mais avec aussi plus d’épaisseur et de nuances que son prédécesseur.

44 Daedelus – The Light Brigade

Brainfeeder

Brainfeeder

J’ai depuis longtemps de l’affection pour la musique d’Alfred Darlington. Dommage qu’il s’égare si souvent. C’est pour ça que The Light Brigade me réchauffe autant le coeur. Sur celui-ci Daedelus veut juste nous cocooner, avec un downtempo mélancolique, des voix douces, des belles textures et quelques touches de bossa. C’est sans doute l’album le moins ambitieux de l’album de Daedelus, et c’est tant mieux.

 

43 Cooly G – Wait ‘Til tonight

Hyperdub

Hyperdub

Avec une mère dj d’acid house et un père passionné de rap, Cooly G a été biberonnée aux nouvelles musiques urbaines. Elle est issue d’une nouvelle génération, pour laquelle la musique de papa maman, ça n’est plus Kraftwerk et James Brown, mais directement Nas et Carl Craig. Et ça donne quelque chose de différent… Cooly G a l’air si petite à côté des références de ses parents (dont elle parle tout le temps en interview). Elle bricole, joue comme une gamine avec des rythmiques de trap, des samples éthérées, des paroles sexuelles dont elle ne mesure pas la portée. Elle se cherche, elle est immature, elle n’a pas encore trouvé sa voie. C’est bien sûr cette immaturité qui rend sa musique si attachante.

42 Bohren & Der Club of Gore – Piano Nights

[PIAS] Recordings

[PIAS] Recordings

L’évolution de Bohren au fil du temps est à peine perceptible ; peu importe, leur musique continue toujours de nous faire planer bizarre. Réduit à quelques frises répétitives et lancinantes, leur jazz s’adresse avant tout aux âmes en peines, aux gothiques de tous poils à la recherche d’une bande-son lounge et sexy pour passer le temps.

 

 

41 Moniek Darge & Graham Lambkin – Indian Soundies

Kye

Kye

Moniek Darge aime les sons de la ville, de la civilisation, du sacré. Elle aime aussi les sons de la nature. Tous ces sons, elle essaie de les capter et de les garder pour elle. Ce sont ses petits « soundies », comme elle dit. Ici, elle invite Graham Lambkin à lui montrer les siens. Pour les mettre côte à côte. Écouter ce que ça donne. La seule consigne ici est que ce soit « made in India ». Cela renvoie à une sensation de voyage. Pas avec le Michelin ni avec le Routard, non, simplement comme si on se retrouvait là-bas par hasard, en pleine journée ordinaire.

40 Gruff Rhys – American Interior

Turnstile

Turnstile

American Interior est le concept album d’un projet qui comprend aussi un documentaire, un livre et une appli smartphone, et dans lequel le Gallois Gruff Rhys part aux Etats-Unis sur les traces de son descendant John Evans, lui-même parti à la fin du XVIIIème siècle à la recherche de légendaires Gallois supposés être venus là plusieurs siècles avant Christophe Colomb. Au-delà de ce concept aventureux, American Interior est une collection de très belles pop songs, collection un peu éclatée, un peu fofolle, où Gruff Rhys exprime à fond son goût de l’arrangement étonnant et de la mélodie belle à pleurer. De quoi attendre tranquillement la fin de la dépression des Flaming Lips.

39 Valerio Tricoli – Miseri Lares

Pan

Pan

Le deuxième album de Valerio Tricoli est assez inégal. Très long (1h20), il nous fait passer par tous les stades. Sur son ouverture, La Distanza, on reste les yeux écarquillés : la musique concrète peut vraiment être extraordinaire – c’est ici un captivant jeu de bruits, de voix, de sons glaçants. Plus tard, par contre, on s’ennuie. La stéréo est moins remplie, les cassures volumiques sont plus rares. On ne voit plus très bien où Tricoli nous amène. L’intérêt revient en fin de parcours, avec à nouveau des sources et un montage plus singuliers. Bref, Miseri Lares embarrasse. Tricoli fera son chef d’oeuvre une autre fois.

38 Mac Demarco – Salad Days

Captured Tracks

Captured Tracks

Mac Demarco est quand même un sacré bonhomme. Hipster ironique et quasiment mainstream, il arrive quand même à pondre des chansons merveilleuses qui ne laissent pas le moindre doute : aussi bordeline est-il, Mac Demarco est bien un putain de songwriter. Salad Days est son rayon de soleil imposé. Après, je prend les paris que d’ici deux ans à peu près tout le monde le détestera. À se croire le plus malin…

 

37 Gesloten Cirkel – Submit X

Murder Capital

Murder Capital

Gesloten Cirkel est le maître de la techno « je m’en bats la race ». Formellement, il est quasi finkelkrautien, c’est à dire passéiste. Des rythmes qui tapent, des samples qui foutent la misère, et un traitement à l’ancienne, à la main, d’avant l’époque où on parlait des meilleurs plugins. Submit X fait donc dans le brut : un LP qui commence par deux fois le même titre, de l’acid, de l’électro vulgaire, des mélodies primitives, un feeling post-punk. Rien que du bonnard à écouter sur des enceintes qui saturent.

36 Current 93 – I Am the Last Of All the Field That Fell

The Spheres

The Spheres

Il est dramatique de voir à quel point les albums de Current 93 sont banalisés. Tellement banalisés qu’ils passent inaperçus – encore un de plus, c’est tout. Pourtant, quand on s’y penche d’un plus près, I Am the Last Of All the Field That Fell est, comme ses prédécesseurs, phénoménal. Sur celui-ci, David Tibet convie Antony et Nick Cave au chant, James Blackshaw à la basse, John Zorn au saxo et le très précieux Reiner van Houdt au piano. Le résultat navigue entre néo-folk, ambiances gothiques et acid rock. Et c’est bien sûr magnifique.

35 Fatima al Qadiri – Asiatisch

Hyperdub

Hyperdub

New-Yorkaise née au Koweït, ayant vécue au Sénégal, compositrice mais aussi active dans les milieux de la mode, du journalisme et de la photographie, Fatima al Qadiri sort un premier album mélangeant grime anglaise et musiques traditionnelles chinoises, avec un titre en allemand. Compris ? De manière étonnante, son album a pourtant une identité sonore bien ancrée et parfaitement exploitée. Rien qui ne dépasse, ou qui sente la fumisterie ; Asiatisch est tout simplement un album original et pertinent. C’était pas gagné.

34 Sleaford Mods – Divide and Exit

Harbinger Sound

Harbinger Sound

Si en foot tu aimes Wayne Rooney ou Paul Gascoigne, tu dois aussi aimer les Sleaford Mods pour ce qu’ils représentent dans la scène rock anglaise, à savoir une working class qui fait irruption dans un milieu où elle n’a en général pas sa place. Et les Sleaford Mods ne font pas leur entrée en douceur : ils tapent sur tout ce qui bouge parce que merde, fini de minauder ou de pleurnicher, il y a des chantiers sociaux qui sont prioritaires. Avec leurs gueules cassées et leurs parcours bien entamés (ils ont au moins la quarantaine), Jason Williamson et Andrew Fearn sont les mecs plus crédibles qui soient pour se redevendiquer punks. Ils ne le font pas. À la place ils préfèrent s’inspirer du Wu-Tang Clan sans la moindre gêne : bien que Williamson ait un accent à couper au couteau et que Fearn bricole des salle instrus de blanc-bec. Rien à foutre.

33 Lil B – Basedworld Paradise

Autoproduction

Autoproduction

Presque chaque année je me dis c’est bon, la blague a assez duré. Et presque chaque année, je craque et je me réaffirme que Lil B est bien ce qu’il prétend être : un dieu vivant. Il est le prophète du rap virtuel, celui qui rappelle que l’industrie musicale est un détail de l’histoire, qu’au fond, la musique s’adresse à tous. Et lil B s’adresse effectivement à tous, il est le Dieu spinoziste (avec quelques tatouages et une connexion 4G) qui nous illumine, nous rappelle que nous sommes tous liés, que l’univers est une totalité logique, et que ce qui doit nous animer, ce sont les passions joyeuses et la recherche du bonheur, pas la complaisance dans les passions tristes. Thank you Basedgod !

32 Sun Araw – Belomancie

Sun Ark Records

Sun Ark Records

Bien que n’ayant comme membre permanent que Cameron Stallones, Sun Araw a souvent ressemblé à un projet dense et ouvert, oeuvrant dans un psychédélisme multiple et tisseur de liens. Sur Belomancie, que Stallones a enregistré seul, on ressent tout l’inverse. Ses fresques improvisées semblent minuscules. C’est comme si Stallones se battait contre le vide avec des moyens limités (peu de pistes d’enregistrement, peu d’effets spatialisants, des instruments aux timbres étriqués). Naturellement, cette impression est voulue, ce qui rend l’ascèse de Belomancie particulièrement audacieuse.

31 Ought – More Than The Other Day

Constellation

Constellation

À propos du premier album d’Ought, on a pu lire des comparaisons avec à peu près tous les grands noms du rock, depuis le Velvet jusqu’aux Strokes en passant par les Talking Heads. Même surenchère de namedropping qu’avec Foxygen. À la différence qu’Ought semble quand même être un groupe d’une autre trempe, avec un vrai charisme. C’est donc dommage qu’on ait pas suffisamment relevé à quel point More Than The Other Day était un excellent album en lui-même. Fiévreux et romantique. Constellation n’en finit pas de nous surprendre.

30 Call Super – Suzi Ecto

Houndstooth

Houndstooth

Des producteurs de dance music qui veulent proposer quelque chose de différent, ça file souvent mal au crâne par avance – on voit déjà venir les rythmes bancals, les atmosphères perturbées et / ou le traitement sonore chelou. Avec Call Super, on aurait pourtant tort de se faire du mouron. Son premier LP, Suzi Ecto, est bel et bien un album exploratoire avec des trouvailles à chaque coin de track, mais, belle surprise, il est aussi un album chaleureux et enveloppant, fait de belles textures et de boucles réconfortantes . C’est en fait de la techno de cocktail, oui, mais de cocktails de mixologie moléculaire.

29 Radio Cegeste – Three Inclements

Consumer Waste

Consumer Waste

Pour ces trois enregistrements, Sally Ann McIntyre s’est installée en résidence sur une petite île de son pays natal, la Nouvelle-Zélande. Ses micro grands ouverts ont capté deux types de sons qu’elle essaie de faire dialoguer : d’une part des sons naturels issus de cet environnement – eau, tempête, vent, oiseaux –, d’autre part les modulations qu’elle effectue sur un récepteur radio, dont elle se sert comme d’un instrument à part entière (en plus d’un violon cassé qu’elle utilise sur un morceau). La réussite de ce travail est que ces deux types de sons se fondent littéralement dans un même tout, dans un complexe où nature et culture sont indissociables ; car là est bien là finalité de Radio Cegeste, pour qui enregistrer sur une île reculée n’est pas l’occasion de traquer un naturalisme idéal, mais d’au contraire aller aux sources d’une anthropologie occidentale contemporaine où l’écologique, le culturel et le technologique sont intriqués.

28 Future – Honest

Epic

Epic

C’est vrai que Young Thug ou Rich Homie Quan le talonnent de plus en plus près, mais Future reste encore le prince d’Atlanta. Honest est un des rares albums de rap qui mérite encore d’être acheté. Il a une ampleur, une dramaturgie qui dépassent de loin tout ce que peuvent proposés ces quantités de mixtapes uploadées à la sauvette. C’est grand, c’est un peu sale, et c’est surtout très beau. Future est un salaud bouleversant, qui, dans son egotrip, en profite pour redessiner les contours du rap.

27 Slackk – Palm Tree Fire

Local Action

Local Action

La tendance principale de la bass music, c’est la fin de l’âge d’or de la juke et le retour en grâce de la grime anglaise. Pour s’en rendre compte, le mieux est bien sûr de traîner en clubs, mais le meilleur reflet discographique de ce virage est sans conteste Palm Tree Fire. Palm Tree Fire est le manifeste théorique du mouvement, un peu plus cérébral et downtempo que la normale des soirées Boxed, mais décrivant impeccablement les caractéristiques intrinsèques du genre : sonorités « chip », rythmiques complexes et instables, combinaisons harmoniques étonnantes et intensément psychédéliques. Vraiment un univers à part.

26 Swans – To Be Kind

Young God Records

Young God Records

Il y a rien à faire. To be Kind a beau être extraordinaire et gargantuesque, je ne retiendrai en dernier lieu qu’un sentiment mitigé : la dernière épopée du plus grand groupe actuel m’ennuie un peu… Je n’arrive en fait pas à me dégager d’une désagréable impression de formalisme – des compositions parfaites, des arrangements parfaits, mais aucune nécessité. The Seer, à l’inverse, m’emportait dans un tourbillon émotionnel ininterrompu. Je sais, je pinaille.

25 Ambrose Akinmusire – The Imagined Savior Is Far Easier To Paint

Blue Note

Blue Note

Ce trompettiste américain a seulement 32 ans mais est bien plus qu’un simple espoir. When the Heart Emerges Glistening, en 2011, avait fait déjà grand bruit dans les cercles avertis du jazz. Avec son dernier album, la marche en avant continue. Akinmusire est un virtuose de son instrument. C’est aussi un grand rassembleur : un compositeur à la fois exigeant, polyvalent et pédagogue. Son oeuvre ne cherche pas à inventer, mais à synthétiser et à bonifier toutes les approches. Il y arrive à la perfection.

24 Wreck and Reference – Want

Flenser Records

Flenser Records

Want est un album de metal sans guitare ni basse. On y entend du doom, du death, du black, avec seulement batterie, clavier et sampler. L’effet est étonnant et tout à fait convaincant. De surcroît, passé le temps d’accoutumance nécessaire, on découvre que c’est avant toute chose un album magnifique, aux ambiances superbement travaillées. Alors oui, il faut aimer la musique désespérée et les affects dépressifs. C’est un coup à prendre.

 

23 LV & Joshua Idehen – Islands

Keysound Recordings

Keysound Recordings

Si en UK bass, la palme de l’originalité va cette année à Slackk, celle de la meilleure production va illico à LV. Ok Islands n’apporte rien par rapport à Routes, sorti en 2011, mais sa qualité de réalisation est telle qu’il paraît tout aussi indispensable. Bien qu’il soit en général difficile pour une musique enracinée en clubs de s’adapter aux conditions de la vie quotidienne, LV réalise lui cette contorsion avec une facilité déconcertante. Islands est une bombe à tous points de vue : avec des grooves implacables, des mélodies inoubliables, une construction intelligente et une place idéale laissée à la poésie urbaine de Joshua Idehen. C’est brillant et sur tous terrains.

22 Wadada Leo Smith – The Great Lakes Suites

Tum Records

Tum Records

Les septuagénaires Jack DeJohnette (batterie), Henry Threadgill (flûte et saxophone) et Wadada Leo Smith (trompette) se connaissent depuis les années 60 et n’avaient à ce jour jamais enregistré ensemble. C’est désormais chose faite, avec l’aide du plus jeune contrebassiste John Lindberg. Sur The Great Lakes Suites, ils témoignent tous d’une santé éclatante. Il est par exemple bon de se rappeler à quel point DeJohnette est un batteur extraordinaire quand il n’est pas avec Keith Jarrett. Idem pour le plus méconnu Henry Threadgill, qui sublime ce double-album avec son inépuisable force d’invention. En solo, duo ou quatuor, les instruments défrichent des territoires vierges, explorent des combinaisons nouvelles avec une fraîcheur insolente. J’ai hâte d’avoir 70 ans moi aussi.

21 Todd Terje – It’s Album Time

Olsen

Olsen

Sacré Todd, qui réussit là où tant d’autres se sont pris les pieds dans le tapis. Non seulement son premier long-format ne déçoit pas, mais en plus il surprend et excite comme jamais. S’il risquait d’être linéaire et mélancolique, It’s Album Time étonne au contraire par sa variété et son feeling « exotica ». Dans ce grand festival kitsch, Todd Terje a toujours le geste juste. On traverse plusieurs fois les tropiques, on surf sur plusieurs décennies, mais la nausée ne vient pas, et même on en redemande. Une prouesse pour un disque aussi bigarré et exalté.

20 E+E – The Light That You Gave Me

Autoproduction

Autoproduction

Dans les années 80, John Oswald a développé le concept des plunderphonics, des musiques bâties uniquement sur des samples massifs et des emprunts divers. Elijah Paul Crampton est aussi dans cette mouvance, qu’il pousse avec The Life That You Gave Me dans ses retranchements. Les matériaux récupérés sont multiples : tubes latinos, balades r’n’b, new age, slogans de pubs, bruitages de films, séquences TV… Et ces éléments sont empilés et enchevêtrés de manière totalement dingue. Si The Avalanches ou Dj Shadow avaient pour finalité une certaine homogénéité, E+E semble viser quelque chose de plus confus – une sorte de dérèglement sensoriel radical ou de fissure dans l’espace-temps. Je ne sais pas si l’objectif est tout à fait atteint, mais en tout cas le résultat est déstabilisant, et même plutôt marrant.

19 Owen Pallett – In Conflict

Domino

Domino

Seul dans son coin, Owen Pallett écrit, chante, et surtout bâtit des arrangements déments où il superpose un nombre invraisemblable de pistes de violon et d’éléments électroniques. Son abattage de travail est impressionnant, mais, dorénavant, sa subtilité aussi. In Conflict est beaucoup plus qu’une simple démonstration de force ; à la manière des meilleures Beach Boys, sa richesse harmonique et orchestrale sert un projet avant tout émotionnel. C’est un peu la nouveauté de la musique d’Owen Pallett, qui se contente de moins en moins d’être un homme-orchestre et un phénomène de foire. À certains moments, on lui reconnaîtrait même la douceur de Belle & Sebastian. C’est assez inattendu quand on se souvient des bruyants débuts du Canadien.

18 Francis Harris – Minutes of Sleep

Scissor and Thread

Scissor and Thread

Avec Minutes of Sleep encore plus qu’avec Leland, Harris s’éloigne des canons tech-house qu’il utilisait sous le nom d’Adultnapper. Sur ce dernière album, il s’éloigne même de la house à proprement parlé. Sur Minutes of Sleep, les rythmiques se minorent, les ambiances gagnent du terrain et les instruments acoustiques prennent une place nouvelle. À propos de ces derniers, ils sont partout, mais ces pianos, trompettes ou violons sont en même temps privés de leurs fréquences aigues et donc de leur épanouissement naturel. Ce mixage bizarre et audacieux leur donne une distance spectrale tout à fait intéressante. Du coup, l’ambiance générale de ce disque est vraiment troublante (on croirait entendre Murcof à Ibiza).

17 The War on Drugs – Lost in The Dream

Secretly Canadian

Secretly Canadian

Avec cet album, The War on Drugs rentre dans la cour des grands, de ceux comme Wilco, Lambchop, Destroyer, Calexico ou Woven Hand qui ont envoyé la country et l’american way of life dans les étoiles. Lost in The Dream porte de fait bien son nom : il ne touche jamais terre. On pourra lui reprocher d’être trop maîtrisé, trop réfléchi, mais après tout, c’est n’est qu’un parti pris parfaitement assumé. Au moins on y gagne en précision.

 

16 Nicholas Szczepanik – Not Knowing

Desire Path Recordings

Desire Path Recordings

Not Knowing est la dernière composition de ce prolifique artiste chicagoan. C’est un sublime morceau évolutif de 52 minutes s’ouvrant sur des sinusoïdes grave et répétitives, qui instaurent un intense climat méditatif peu à peu perturbé par des notes plus aigües et acérées. Au bout de quinze minutes, un ensemble orchestral romantique émerge et se développe à la manière des travaux de William Basinski. L’orchestre finit par se dilater et disparaitre sous une note fascinante, une sorte de micro-résonance de cloche coincée dans le temps, qui sera finalement remplacée par les mêmes sinusoïdes pendulaires qu’au début. Construit sur des principes minimalistes et symétriques, Not Knowing est une composition rituelle particulièrement prenante et émouvante qui, avec trois bouts de ficelle, provoque des réactions intenses. L’expérience mérite d’être réalisée.

15 Nmesh – Dream Sequins®

Autoproduction

Autoproduction

Cet album constitue pour moi l’apothéose du mouvement vaporwave, celle d’une musique génétiquement ambiguë, tout à la fois ridicule et formidable. Dream Sequins® a beau ressembler au départ à un hommage à Boards of Canada ou KLF, au final, toutes les interprétations sont permises. Nmesh passe en effet son temps à enlaidir sa musique, à la déconstruire délibérément. Son œuvre est une série de mises en abîmes, de faux-semblants et de ruptures ironiques. Toutes nos émotions y passent, les meilleures comme les pires. En découle l’une des expériences les plus psychédéliques de l’année.

14 Oren Ambarchi – Quixotism

Editions Mego

Editions Mego

Quixotism est une magnifique cuvée pour le guitariste minimaliste Oren Ambarchi. Il s’agit d’une composition en cinq parties, très aride et renfermée à son commencement, et qui peu à peu bourgeonne et s’épanouit dans des rythmiques frémissantes et des motifs mélodiques particulièrement lumineux. Comme d’habitude, Ambarchi s’entoure bien, avec des artistes aussi doués que singuliers : le technophile Thomas Brinkmann aux beats, Jim O’rourke aux claviers, Eyvind Kang au violon et même l’orchestre symphonique islandais au grand complet. Quitoxism, sans être l’effort le plus aventureux d’Ambarchi, est par contre, toutes proportions gardées, son plus limpide et son plus lyrique. Une réussite totale.

13 Shabazz Palaces – Lese Majesty

Sub Pop

Sub Pop

En trouvant le Freddie Gibbs & Madlib un poil trop régressif, le Clipping un chouilla trop vert, je me dis que le second album de Shabazz Palaces est un bon compromis entre les deux. Plein à craquer d’idées lumineuses, Lese Majesty jouit en même temps d’une belle construction et d’une excellente finition ; ces choses combinées en faisant l’album rap que j’ai le plus apprécié écouter cette année. Encore plus que Black Up en 2011, Lese Majesty incarne un futur alternatif, dans lequel le boom bap serait encore prédominant et n’aurait jamais rencontré l’influence sudiste – il se serait seulement pris d’un amour fou pour les prouesses technologiques.

12 Cheveu – Bum

Bord Bad Records

Bord Bad Records

La qualité extraordinaire de Bum est d’être constamment un album double : simultanément fun – efficace, rigolo, dansant – et cérébral – avec en toile de fond une vision extrêmement réformatrice du post-punk et de ses attributs formels. Pour le dire autrement, Bum convient aussi bien pour ambiancer les fêtes de village que pour exciter les thésards en musicologie, et sans qu’à un seul instant, on puisse se dire que le grand écart tire un peu dans les jambes.

 

11 Theo Parrish – American Intelligence

Sound Signature

Sound Signature

Theo Parrish est un magicien, on le sait depuis longtemps. Il utilise les mêmes synthés que tout le monde, les même drumkits, les mêmes méthodes de fabrication, pourtant au final sa musique est toujours aussi unique et magnétique. La raison est peut-être que Theo Parrish est un type différent de ses pairs, que sa passion de la culture black est plus dévorante qu’eux, plus identitaire encore ; ou alors Parrish est un type trop obsessionnel, qui a trop avancé techniquement, au point qu’il arrive aujourd’hui à manipuler des forces que les autres n’arrivent qu’à peine à déceler. Je pense en fait que Theo Parrish possède un don exceptionnel, celui de la transfiguration. Obnubilé par la musique noire, il ne se contente par de coller à elle. Il la métamorphose. C’est comme ça qu’il évolue : en questionnant ses racines et ses origines à un degré tel qu’il en déforme le contenu. Le neuf vient toujours chez lui de la même matière, de ce même passé sans cesse ressassé jusqu’à ce que jaillissent encore de nouvelles interprétations, de nouvelles associations. American Intelligence n’est fait que de ça. De fertiles ruminations sur des longueurs interminables.

10 Giant Claw – Dark Web

Orange Milk

Orange Milk

Depuis maintenant un paquet d’années, on voit pulluler des tas de petits producteurs DIY qui s’amusent avec l’air du temps. Qui veulent mettre en musique l’ère Youtube et la nostalgie des 90’s depuis leur chambre d’ado ou leur bureau de travail. Et pour des centaines de mauvais farceurs, on ne compte que quelques Oneohtrix Point Never ou James ferraro qui ont quelque chose d’intéressant à nous proposer. À ces chefs de file, il faudra désormais en rajouter un autre : Giant Claw. Son Dark Web a certes tout sur le papier pour inquiéter. Lorgner vers le genre musical le plus hype du moment – le r’n’b –, en utilisant des vieux sons midi et en se présentant comme un aventurier du net, ça éveille les soupçons. Mais ces soupçons sont vite envolés grâce au talent bluffant de Keith Rankin, qui à partir de tous ces matériaux impropres et incongrus construit des symphonies électroniques à la richesse inespérée. Dark Web se veut presque baroque, avec ses morceaux longs, ses arrangements exubérants et ses effets dramatiques. En fait, Giant Claw combine un formalisme post-moderne avec une écriture proche de la tradition pop expérimentale incluant les Beatles, XTC ou Ariel Pink. Le mélange est étonnant, long à digérer, et en fin de compte génial.

9 Roman Flügel – Happiness is Happening

Dial

Dial

En vingt ans d’activitisme discographique, Flügel a sensiblement tout essayé et visiblement tout compris. C’est maintenant un vieux sage. On le sent à chaque seconde d’Happiness is Happening, qui est une œuvre aussi complexe qu’espiègle. Tout ici est d’une élégance folle, d’une élégance jamais entachée de fierté mal placée. Avec son groove pointilliste et ses textures délicates, Flügel navigue dans des contrées multiples – krautrock, ambient, techno, disco – et à chaque fois le rendu est identique : c’est beau, accueillant, stimulant, rafraîchissant. Pour une fois, il n’est pas galvaudé de parler d’ « album de la maturité ».

8 Maurice Louca – Benhayyi Al-Baghbaghan

Nawa Recordings

Nawa Recordings

Figure émergente de la scène underground du Caire, Maurice Louca construit une matière hybride, entre electronica locale, psychédélisme et musique populaire shaabi. Son deuxième album est un coup de maître, dont on doit évidemment louer l’originalité, mais aussi l’aisance et la maîtrise. Maurice Louca décrit sa musique comme autant imprégnée des traditions de son pays qu’impacté par ses mutations actuelles. C’est exactement ce qu’on entend dans Benhayyi Al-Baghbaghan, qui est un disque d’avant-garde, oui, mais bien ancré dans sa réalité socioculturel.

7 Janek Schaefer – Lay-By Lullaby

12k

12k

Il est très simple d’expliquer la nature de cet album : des longues nappes aux variations infimes entrecoupées de voitures qui passent sur l’autoroute. Lay-By Lullaby tient sur presque rien. Mais écouté au calme, avec une installation de qualité et une bonne stéréo, il est bouleversant. Chaque micro-détail, chaque superposition de fréquence sont captivants. Et quand une voiture passe, défile le long de l’espace sonore et menace d’entrer sur notre territoire, on défaille. Lay-By Lullaby joue sur des effets minimalistes et répétitifs qui décuplent sa puissance évocatrice. C’est d’une précision exceptionnelle.

6 Anthroprophh – Outside The Circle

Rocket Recordings

Rocket Recordings

On peut toujours se demander si faire du rock psychédélique a encore du sens de nos jours. Dans l’ensemble, bof. Et puis là arrive un groupe qui nous fout une rouste et nous fait cracher ce qu’il veut entendre – oui oui, on est toujours dans les années 70, pas de problème. C’est ce qui m’est arrivé avec Anthroprophh. Outside The Circle est tellement spontané et tellement libéré qu’on ne peut rien reprocher à ces trois anglais. Sérieusement, par leur débauche d’énergie colossale ils emportent tout leur passage, quel que soit le style abordé (stoner, acid rock, proto electronica). Ils sont les meilleurs du monde, et ils l’ont bien cherché à me le faire dire.

5 Lee Gamble – Koch

Pan

Pan

Koch marque l’éboulement des grands pans culturels de la musique électronique. Avec lui, il n’y a pas d’un côté la composition savante et institutionnalisée (Ina GRM), de l’autre la musique alambiquées d’amateurs (IDM), et enfin, à la limite du respectable, la musique de clubs ou de free party. Il n’y a qu’un tas de décombres, qu’on peut réassembler à loisir. C’est ce que Lee Gamble fait avec un talent de plus en plus certain.

 

4 Richard Dawson – Nothing Important

Weird World

Weird World

Deux titres fleuves de 15 minutes entourés de deux instrumentaux particulièrement compliqués, on peut dire que pour du folk, cette structure d’album change des habitudes. En écoutant Nothing Important, on se demande d’ailleurs si l’on doit encore appeler ça du folk, tant le travail sur cette guitare saturée et dissonante est intrigant. Disons quand même que oui, Richard Dawson chante un folk rugueux et exalté, avec des textes profonds et engagés, mais qu’à la lisière de sa musique, il y a tout un tas de point de fuites expérimentaux, vers l’american primitivism, vers la musique arabe ou vers la science acoustique. Drôle d’album, qui grandit et s’affine à mesure qu’on s’y accoutume.

3 Trent Reznor & Atticus Ross – Gone Girl OST

Columbia

Columbia

Gone Girl est un film monstrueux. Ce qu’il y a de si fort avec lui, c’est qu’on peut le prendre par tous les bouts avec la même facilité. On peut par exemple s’intéresser à sa seule dimension esthétique (et à son régime d’images conceptuel), à sa seule dynamique narrative qui impressionne de bout en bout, tout comme on peut l’attaquer sous de multiples angles thématiques a priori bien éloignées – féminisme, masculinisme, marxisme ou situationnisme. Il est ainsi impossible de comprendre les intentions profondes qui ont motivées Fincher. Gone Girl reste son énigme indéchiffrable. Quant à Trent Reznor et Atticus Ross, ils font aussi leur part du boulot. Leur BO est tout aussi ambiguë que le film. Elle incarne à merveille les tensions fincheriennes qui existent entre froideur et empathie, authenticité et machination. On est sur la crête. L’atmosphère générale se veut reposante, inspirée de Badalementi et des méthodes de relaxation, mais doit-y croire ? En partie seulement. Car derrière l’apparence de l’apaisement on sent un trouble, une menace imminente. Il faut se méfier de l’eau qui dort. À l’inverse, dans les éclats de violence de cette bande-son, dans ses zébrures électroniques tout à fait vicieuses, il y a aussi des instants de grâce de possibles. L’ambivalence, encore une fois, est partout. Et la rendre à ce point subtile n’est pas simple, ni au cinéma, ni en musique.

2 Ariel Pink – Pom Pom

4AD

4AD

Dans dix ans je parie qu’on parlera de Pom Pom comme de l’album définitif d’Ariel Pink. Ce qui est certain, c’est qu’il en est déjà son plus radical – celui où ses constructions délirantes vont le plus loin. C’est vrai qu’on trouve de tout dans cette tambouille. Ariel Pink veut tout jouer, tout mélanger, tout ce que la pop et le rock ont produit de meilleur et de pire depuis 60 ans. Et sans se prendre la tête, en s’autorisant les manœuvres les plus osées et les régressions les plus malpolies. C’est ici est un véritable bordel, une suite ininterrompue de ruptures de tons et d’enchaînements étranges, où à chaque instant on risque de décrocher. Mais on ne décroche jamais, parce qu’Ariel Pink est un mélodiste formidable, un arrangeur de génie et un as du montage. Des qualités qui rendent sa pop plus addictive et euphorisante que n’importe laquelle moins piégeuse.

1 Kevin Drumm & Jason Lescalleet – The Abyss

Erstwhile Records

Erstwhile Records

Deux géants actuels de la musique expérimentale qui se rencontrent ? On pourrait craindre qu’ils ne cherchent ensemble qu’à trouver un terrain d’entente un peu trop douillet. C’est mal connaître Drumm et Lescalleet, qui au contraire prennent ici tous les risques et arpentent tous les extrêmes. La première partie de The Abyss est une épreuve ; elle cherche à nous confronter aux fréquences les plus douloureuses, aux procédés les musicaux les plus épouvantables. Mais si on arrive à voir le bout du tunnel, on peut vivre alors une expérience spirituelle extraordinaire. The Abyss et The Echo of Your Past, les deux titres finaux, sont en effet immenses (30 et 50 minutes), souvent à deux pas du silence, et par leur ambiguïté, leur abstraction, la souplesse de leur structure et leur travail merveilleux sur les harmoniques, invitent à un bonheur total et irradiant. Il faut seulement faire quelques efforts. D’abord passer les difficultés, affronter quelques ennemis, ensuite accepter un relâchement inhabituel et à la limite du malaisé. Et là le miracle se produit.