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Person of interest : dormir avec son doudou ?

Par Arbobo, le 21-01-2015
Cinéma et Séries
Cet article, écrit en décembre 2014, résonne différemment après les tueries qui ont ébranlé Paris et suscité une mobilisation mondiale en janvier. Evidemment, il manque dans les lignes ci-dessous une référence au 11 septembre 2001, qui a durablement changé le rapport des Américains à la sécurité. Ce n'est qu'une série télé, peut-on dire. Ce ne sont que des morts, rétorqueront d'autres. Ce ne sont que nos peurs légitimes. Ce ne sont que nos libertés. Et les innombrables doutes et interrogations de l'auteur de ces lignes.

Nos sociétés obsédées par la surveillance, tout en étant attachées à la démocratie, au point que cela nous mette parfois en danger, génèrent des fictions qui donnent corps à nos monstres nocturnes.
La série Person of interest est de cette eau là.

Il y a dans cette organisation secrète qui intervient savamment dans les rues de New York, un cocktail d’ange gardien et de… papa-maman. Petit rappel pour les personnes peu habituées des soirées sur TF1 (qui diffuse régulièrement de bonnes séries). Un surdoué qui travaillait pour le gouvernement a créé une machine qui s’abreuve à toutes les sources de surveillance (téléphone, internet, caméras…), pour détecter les menaces imminentes. Le gouvernement ne tient compte que des menaces terroristes, nous explique le générique, tandis que pour cet homme et les personnes qui l’assistent dans sa mission officieuse, chaque vie compte. Le héros de chaque épisode, c’est donc un peu nous. Le jour où une menace quelle qu’elle soit pèsera sur nous, les personnages de Person of interest voleront à notre secours.

Les méthodes de surveillance mises en oeuvre existent depuis déjà pas mal d’années, les généraliser à ce point est largement question d’argent et de législation. Malgré tout il y a quelque chose de surnaturel dans ce qui se déroule à l’écran. Autant de désintérêt, de gratuité dans la bonne action. Un tel soin à rester secret et ne tirer aucun crédit de ses bonnes actions. On se croirait presque dans une série écrite par le Dalai Lama (on y tue son prochain, donc quand même pas, mais ce n’est pas loin). Une série dans la série génère et accentue l’angoisse, théorie du complot, l’Etat vérolé par des forces malines, la course entre agents doubles… Hollywood est peuplé de gens suffisamment doués pour savoir qu’on rassure d’autant mieux qu’on a soi-même provoqué une angoisse. Néanmoins cette série intérieure, qui ravive la peur, n’est que le prétexte qui justifie cette “agence” protectrice de nos vies menacées.

peut-être que de bonnes âmes veillent sur nous malgré tout, à notre insu

En même temps, papa-maman ne sont pas loin. Veiller sur nous sans en avoir l’air, c’est un peu le rôle des parents. Enfant, la pensée réconfortante par excellence est de de se dire qu’on a un/des parent qui veille sur nous et nous protègera toujours.
Souvenez-vous : « n’aie pas peur, je suis là… je serai toujours là pour te protéger ». Si vous n’avez pas entendu cette phrase enfant, ou prononcé une fois adulte, vous avez rêvé l’avoir fait tant vous l’avez entendue dans des films et séries télé. Plusieurs d’entre elles mettent en scène des bons samaritains, car nous savons bien que nos parents ne sont pas tout le temps à proximité pour nous tenir à l’abri du danger. Mais imaginez, qui sait, peut-être que de bonnes âmes veillent sur nous malgré tout, à notre insu… Certaines séries trouvent que cet espoir est si irréel qu’elles en confient l’incarnation à un extra-terrestre, Le visiteur (M6),  ou un presque surhomme (The sentinel, M6 1997-1999) passé par des expériences étranges. Parfois au contraire c’est le plus anonyme et le plus transparent de nos concitoyens, un chauffeur de taxi, qui veille sur nous (Le justicier de l’ombre, M6 encore).

Nous vivons dans un monde dur, il l’a toujours été, mais l’omniprésence médiatique rend le moindre danger plus angoissant, plus présent dans nos vies et menaçant.
Nous avons besoin d’être rassurés. La police, la vraie, fait ce qu’elle peut, parfois admirablement, parfois n’importe comment, elle est humaine et s’en sort ni mieux ni moins bien que la moyenne des humains. Adultes, nous avons intégré cette donnée. Nous ne pouvons pas “trop” en attendre. Comme les contes d’antan et les légendes transmises au coin du feu, les séries policières nous parlent du bien, du mal, de la peur, du grand méchant loup (expression fourre-tout qui recouvre une réalité aux multiples visages : le danger).
Pour nous rassurer, pour que nous nous endormions non pas à l’abri du danger mais consolés de l’angoisse, certaines fictions nous rappellent les mots rassurant du chasseur, de la fée, l’ange gardien, toutes ces incarnations du parent protecteur dont la voix sécurisante nous permet de nous abandonner au sommeil. Tout un pan des comics de super-héros repose sur ce ressort.

L’originalité et l’universalité d’un sujet sont cependant de peu poids lorsque l’écriture pèche. Le rêve rassurant va-t-il virer au cauchemar ?
Alors que la 3e saison reprend en France, les rustines habituelles de showrunners à court d’inspiration font leur apparition. On fouille le passé des personnages pour expliquer leurs traits de caractère les moins aimables (donc pour les rendre excusables, gommant du même coup les aspérités). On transforme l’association de fait de personnes aux vies sans lien en une sorte de petite famille. Et surtout, de manière plus surprenante, la vengeance et l’indifférence à la brutalité se font de plus en plus fréquentes, à l’exact opposé des valeurs prônées ouvertement par la série depuis ses débuts.
Sans doute est-ce le signe d’une série condamnée. Condamnée pour n’avoir pas su protéger ses spectateurs des pulsions de violence, comme ce fut en quelque sorte son projet initial. Condamnée pour n’avoir su se prémunir elle-même contre les habituels expédients qui ruinent la spécificité d’un programme, cédant aux “recettes habituelles” comme on ingurgiterait la potion miracle vendue par un bonimenteur.
Si la série poursuit cette évolution, la protection, le mythe des bons samaritains, ne deviendront qu’un pâle filigrane, et surnagera l’omniprésence du complot et la menace des organisations de malfaiteurs. Ce sera alors la fin de l’histoire, sans gentil chasseur, le loup pourra faire sa sieste en toute quiétude après avoir dévoré la grand-mère et l’enfant.

Un Bettelheim du futur écrira une psychanalyse des séries télévisées du 21e siècle. Il mentionnera sans doute Person of interest. Sans s’attarder sur ses qualités formelles ou scénaristiques (honorables, quoique pas inoubliables), mais avec surtout une pensée appuyée pour papa-maman. Après l’objet transitionnel… la série rassurancielle ?

Bonne nuit les petits.