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Alors qu’il pèche dans le canal à Paris, Claude, retraité à la moustache grisonnante, se fait aborder par un inconnu avec son micro “France Musique”. Cet inconnu, très poli, lui pose des questions sur sa pêche. Il répond avec amusement. Puis l’inconnu lui fait écouter de la musique. La Truite de Schubert résonne alors dans ses oreilles. Claude reconnaît le morceau. Tous les deux, ils décrivent ce qu’ils imaginent de ce poisson. L’inconnu, c’est Julien Cernobori. Tous les lundis sur France Musique, il reproduit la même démarche. Il va voir un passant dans la rue, un vendeur dans une boutique ou un employé dans un salon de coiffure. Après quelques politesses, il lui pose ses écouteurs sur les oreilles et enclenche “Play”. Un morceau de musique classique de son choix retentit, puis la personne rencontrée réagit à cette musique. Souvent, elle dira que “c’est reposant”, que “ça donne à réfléchir”, que “c’est pas forcément ce que j’écoute mais c’est sympa.”

Son Baladeur classique a le pouvoir de nous faire aimer les gens… et la musique classique. Car des anonymes s’y livrent avec pudeur mais sincérité. La musique a un pouvoir absolu, celui de renvoyer chaque personne à son propre vécu.

Julien Cernobori ne s’arrête pas là. Son Baladeur classique – c’est le nom de la chronique – a le pouvoir de nous faire aimer les gens… et la musique classique. Car des anonymes s’y livrent avec pudeur mais sincérité. La musique a un pouvoir absolu, celui de renvoyer chaque personne à son propre vécu. En quelques notes, c’est tout un univers intérieur qui ressurgit. Le plus beau des épisodes concerne une certaine Sara. Julien la rencontre dans un parc où elle dessine en écoutant de la pop italienne. Julien lui passe son baladeur et démarre une musique dominée par un piano. Sara ne sait pas encore ce qu’elle écoute. Elle avoue juste vouloir devenir comédienne. Avec une sincérité bouleversante, elle y raconte ses souvenirs d’Italie, où elle rêve de se baigner à nouveau. “Je me sens tellement bien. Vraiment.” La musique déploie sa poésie. “Je suis à moitié italienne. Je prends des bribes de souvenirs que j’ai et ils se mettent ensemble, naturellement”, raconte-t-elle. Alors, Julien lui révèle le morceau qu’elle écoute : les jeux d’eau à la villa d’Este de Liszt. Sara se retrouve projetée instantanément chez elle. “J’habitais à Rome. C’est une belle coïncidence, confesse-t-elle les larmes aux yeux. J’ai de trop bons souvenirs à la villa d’Este !”

En dépit des confessions intimes, Le baladeur classique n’a rien à voir avec le regard malsain d’émissions souvent racoleuses. Ce n’est pas l’intimité qui se révèle à nous, mais la part de vivant qui était en sommeil ; une tendresse inhalée par le quotidien et sa grisaille, une douceur que le stress et la monotonie tuent à petit feu. Alors, à l’aide de Poulenc ou de Sibelius, l’oreille se détend et le cœur arrive à parler. Il faut dire que Julien a le don pour mettre en confiance. Il est à l’écoute, il pose les bonnes questions. Sa voix est délicate. On le sent dans le partage, dans le plaisir de la rencontre, pas dans le sensationnel.

Ce n’est pas l’intimité qui se révèle à nous, mais la part de vivant qui était en sommeil ; une tendresse inhalée par le quotidien et sa grisaille, une douceur que le stress et la monotonie tuent à petit feu.

La voyageuse et la pragmatique

Parfois, ce sont les gens qui viennent à Julien. Émeline le voit avec un micro, elle l’aborde spontanément. C’est une voyageuse, son gros sac-à-dos en atteste. Elle se prête volontiers au jeu du baladeur. “Ces petites notes qui vont vers le haut, ça me fait penser à une fille. Forcément la musique est belle, ça me fait penser à une fille. Je pars dans mon film. Je pars dans mes histoires.” Émeline rêve sur Der Wanderer de Franz Liszt (encore lui), alors forcément il y a de quoi se faire son film. “Der Wanderer, ça veut dire “le voyageur” ” précise Julien, espiègle. À la rêverie se mêle pourtant le quotidien : la recherche de boulot, le besoin d’un appartement.

JulienCernobori

Julien Cernobori

Tous ne sont pas aussi libres qu’Émeline. Quelques semaines plus tard, Julien va voir Chantal, sa coiffeuse. “T’es toujours avec ton baladeur Julien ? C’est ça que j’aurais dû faire dans la vie : baladeuse” clame-t-elle dans un grand éclat de rire. Avec Chantal, il sera question de se sentir bien dans sa peau – c’est pour ça qu’elle fait coiffeuse. Face à son miroir, elle rêve en écoutant la 3e Symphonie de Brahms. “C’est une musique qui te fait pas poser de questions… [Celles du genre] ce soir qu’est ce que je vais faire à manger, est-ce que j’ai payé mon loyer ? […] Et là t’oublies tout.”

Ce baladeur magique, véritable “médicament pour l’âme” pour reprendre l’expression de Gilles, barman mélomane, fait autant de bien à celui qui y participe qu’à l’auditeur de l’émission. À nos oreilles attentives, des personnalités s’affirment en délicatesse. L’individu sort de la masse. Chaque émission est passionnante car elle nous révèle des gens que l’on croise chaque jour sans jamais leur adresser la parole. Ici, Julien rencontre Déodat et Severac, deux jeunes métaleux qui se voient pour la première fois ; là, il croise Tiphaine, lycéenne qui lit du Sartre. Parfois, il discute avec son bouquiniste préféré, Mathias. Julien fait aussi la connaissance de Denise, une voyante pas très douée pour reconnaître les instruments (elle confond le son d’un piano ou d’une trompette avec un hautbois !). Bizarrement, rien n’est idiot dans ce qui est dit. La musique amène la sincérité et la justesse. Chacun y dévoile son monde. Et surtout, l’émission nous rappelle que la musique classique n’est pas du passé ou ringarde. Au contraire, elle est toujours vivace, plus que jamais en lien avec notre monde.

Le baladeur classique, tous les lundi à 9h40 sur France musique.
Le podcast sur le site. https://www.francemusique.fr/emission/le-baladeur-classique
Le podcast illustré à cette adresse : https://nvx.francemusique.fr/baladeur-classique/