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Juan Atkins, la quête du futur (deuxième partie)

Par Marc di Rosa, le 05-03-2015
Musique
Deuxième partie de notre portrait de Juan Atkins par Marc di Rosa. La première partie est disponible ici.

Model 500, Audio Tech ou Infiniti. Le DJ et producteur de musique électronique Juan Atkins ne se « brande » pas. Il n’est pas dans sa nature de se transformer en une marque, pour suivre les préceptes marketing du moment. À l’instar de ses mystérieux morceaux, il arbore différents noms de code selon le genre de musique qu’il aborde (cf. « Juan Atkins, la quête du futur », première partie). D’après Atkins lui-même, Infiniti lui sert d’alias pour « la forme la plus stricte de techno ». Derrière cette définition, dont l’austérité n’est que d’apparence, se cache une exploration des galaxies émouvantes et spirituelles de la techno. « Magic Juan » n’imagine pas les compositions d’Infiniti comme de la musique fonctionnelle pour des stades ou de gigantesques salles de concert, mais comme une conquête musicale de l’espace. Moins réputée que son versant électro, cette partie là de son œuvre est aussi la plus méconnue. Elle ne comporte qu’une dizaine de titres, dont la particularité est de montrer combien Juan Atkins était en avance sur son temps.

Un sentiment de chaos, de cosmos et d’infini au gré d’une odyssée sonore.

C’est au cours de l’année 90, semble-t-il, soit presque dix ans après ses débuts dans le groupe Cybotron, que Juan Atkins se lance dans l’aventure Infiniti. Dans les studios de son propre label Metroplex (qui fêtera son trentième anniversaire cette année), il compose des titres qui s’éloignent de ses œuvres précédentes. Sous l’identité de Model 500, son projet électro (au sens premier du terme), il a créé des morceaux qui se rapprochent parfois du format d’une chanson. Avec Infiniti, le canevas change véritablement. Les boucles sont plus obsédantes et l’effet hypnotique, nettement plus marqué. C’est le cas d’Impulse, le premier des morceaux composés à cette période à paraître sous le pseudo d’Infiniti. Les sonorités et l’agressivité des riffs rappellent celles des raves. Deux ans plus tard, Game One parvient à un degré d’aboutissement supérieur. Infiniti a trouvé son style, son mode d’expression. Plus épuré qu’Impulse, Game One possède une énergie entraînante et une atmosphère sombre à la fois, caractéristiques d’une certaine techno de Détroit. L’enchevêtrement des différentes couches sonores est parfaitement maîtrisé.

Juan Atkins

Juan Atkins

Rien ne distingue a priori les morceaux d’Infiniti des autres productions de Détroit. Le rythme est à quatre temps par mesure ; les textures, synthétiques et les nappes de synthé, mélodiques. Les boîtes à rythmes employées sont les fameuses 808 et 909 (TR-808 et TR-909 du fabricant Roland). Lors d’une écoute prolongée, une impression émerge pourtant. Un sentiment de chaos, de cosmos et d’infini au gré d’une odyssée sonore. Une sorte de carte postale envoyée depuis le futur pour reprendre littéralement un des titres d’Infiniti (Postcard from the Future), paru en 1998 sur le seul album de ce projet à date, Skynet.

Rétrospectivement, les morceaux d’Infiniti préfigurent tous les courants qui allaient irriguer ce style dans les vingt années d’après.

Si les éléments sont similaires à ceux de la techno de Détroit, l’esprit d’Atkins les transcende. « Toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien », pensait Racine, « Magic Juan » lui fait quelque chose d’autre à partir de riens. Il module par de subtiles variations une interprétation très fidèle de l’esprit de la techno de Détroit. Rétrospectivement, les morceaux d’Infiniti préfigurent tous les courants qui allaient irriguer ce style dans les vingt années d’après. Raindrops, sorti en 1996, donne l’impression d’écouter de la techno minimale, des années avant qu’elle n’envahisse les clubs et les festivals européens. Certes, un de ses voisins de Détroit, Robert Hood, avait déjà défini le genre d’une certaine façon, à travers la publication de son double vinyle Minimal Nation deux ans auparavant. Juan Atkins adopte cependant une approche moins minimaliste et plus moelleuse du son.

The Infiniti Collection,

The Infiniti Collection

Doté d’un rythme et d’un groove rebondissant, Sunlight se teinte d’une coloration « acid ». Il donne l’impression d’être à bord d’une navette spatiale qui dérive dans l’espace, au gré de ses collisions avec des astéroïdes. Cher à Moritz von Oswald, ami et collaborateur de « Magic Juan », le dub s’injecte dans des compositions d’Infiniti (Coffeeshop Connection, Walking on Water) qui jouent sur des climats plus aériens encore. Le producteur et ingénieur du son berlinois mixe d’ailleurs les dix minutes élégiaques de Think Quick, qui clôt la compilation The Infiniti Collection. Paru en 1996, Moon Beam est une perle, toute en nuances et en finesse, à la frontière de l’ambient. A contrario, I-94, hommage à l’autoroute qui traverse Détroit dont il emprunte le nom, regorge de « blips » qui crissent, de filtres qui couinent et d’échos qui tournoient.

Il existerait un point commun à toutes ses déclinaisons. « Plus que d’un type de son en particulier, la techno relève davantage d’un état d’esprit, proche des rêves et des idées de Derrick May et Juan Atkins lorsqu’ils étaient enfants », estime le journaliste spécialiste de Détroit, Dan Sicko, dans son livre « Techno Rebels. The Renegades of electronic Funk ».
Depuis la fin du siècle dernier, Infiniti est en sommeil. Pour fêter sa 250ème sortie, le label allemand Tresor a bien publié en 2012 une série de disques (aux vinyles colorés) de ce projet, mais les seules nouveautés qui y figurent sont des remixes. On se demande quelle direction pourrait prendre le premier morceau d’Infiniti au XXIème siècle…