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“Find something difficult to do and do it” est une phrase qu’on retrouve sur un des anciens albums de Destroyer, le groupe articulé autour de l’omniprésente figure de Dan Bejar. Si on ne peut pas dire que l’enchainement de ses albums sente la difficulté, on peut néanmoins lui reconnaitre qu’il ne s’est jamais laissé enfermer dans un style. Tout semblait logique et progressif de ses débuts lo-fi jusqu’à Rubies, l’album qui l’a installé au firmament du rock indie américain à une période où ce genre était à son zénith, poussé par ce qu’on a autrefois appelé la blogosphère, conglomérat disparate de sites animés par des passionnés qui se retrouvaient un peu malgré eux à parler de la même chose.

Et puis il y eut le spectaculaire Troubles in Dreams (qui comportait le très beau “Shooting Rockets”) et puis paf, l’accident bête, le succès est arrivé sans prévenir avec Kaputt. Bejar avance trois pistes pour l’expliquer à posteriori. Tout d’abord il a été là au bon moment avec un mouvement chillwave qui remettait certains sons des années ’80 au goût du jour (le saxo n’était plus un marqueur inratable de mauvais goût), ensuite il s’est fait moins verbeux, cet album comportant trois fois moins de paroles (souvent cryptiques), et enfin, il a joué la carte de la cohérence.

Le succès critique est manifeste, l’Europe le découvre plus largement, et il se retrouve à Coachella sans trop comprendre ce qui lui arrive. Il enregistre ensuite son nouvel album dans un studio huppé qui appartient à Bryan Adams. Habitué à avoir un public fervent mais limité, il a évité les deux écueils qui se présentaient à lui : casser son jouet ou jouer la sécurité en prolongeant l’état de grâce.

Destroyer-1566

Dan Bejar est un individu à part que les louanges ne troublent pas. Et s’il partage volontiers ses talents et l’affiche avec d’autres au sein de formations comme The New Pornographers ou Swan Lake, c’est lui qui tient la barre de Destroyer. Mais il ne faudrait pas pour autant négliger l’apport de son groupe, solide formation à même d’appuyer son leader dans ses circonvolutions. Lors de sa dernière tournée, ce groupe donnait du liant entre tous les morceaux parfois composés et enregistrés à des époques différentes. C’est de cette dynamique qu’est née une des lignes de force de ce magnifique Poison Season.

On a souvent évoqué l’E-Street Band de Bruce Springsteen au tournant des seventies ou le David Bowie de Young Americans et il faut dire qu’il y a beaucoup de ça, de force et de spontanéité quand on se rend compte que le long en bouche “Midnight Meet The Rain” a été enregistré en direct après avoir été joué deux fois. C’est cette énergie qui traverse “The River” et procure un plaisir d’écoute rare.

L’autre dynamique est apportée par de classieux arrangements d’un quatuor à cordes, permettant  à toute l’intimité de “Girl In a Sling” ou de “Solace’s Bride” de se révéler. La meilleure illustration de ce balancier est la paire de fausses jumelles “Times Square”, interprétations différentes du même matériel, qui n’ont de commun que leur excellence. On retrouve aussi ces deux inclinations dans le partiellement épique “Bangkok”.

A 42 ans, avec dix albums au compteur, Béjar n’a jamais semblé être aussi à son affaire au chant. Son ton louvoyant et personnel est plus flexible qu’il n’y paraît. Il peut être percutant en simple guitare-voix, mais ne semble s’assumer en tant qu’interprète (il ne joue plus d’instrument sur scène) que maintenant. Par contre, il avoue encore n’obtenir des résultats presque pop par accident et admet avoir écarté de la sélection finale les deux morceaux les plus accrocheurs. Il n’en reste pas moins que Dan Béjar vient de livrer un des albums les plus excitants de 2015. Moins monolithiquement cohérent que Kaputt, il est plus puissant et subtil à la fois. Aidé par un backing-band de première bourre, Dan Bejar est un des rares artistes qui ne semble pas pouvoir décevoir, en perpétuelle évolution sous-jacente comme dans la sibylline citation du Concombre Masqué.