Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

Depuis la publication cet été de Death Magic, troisième album studio de Health, six ans après l’excellent Get Color, on entend souvent que le groupe vient enfin de sortir de son long hiatus. Pourtant, entre un album de remix en 2010 et surtout la bande originale de Max Payne 3 en 2012, on ne peut pas considérer que le quatuor de Los Angeles ait été complètement inactif. Je m’étonne tout particulièrement que la bande-son qui a accompagné la résurrection de Payne ne soit pas considérée comme une étape importante de sa discographie, tant celle-ci contient de nombreux très beau morceaux d’indus ambient, qui non seulement prouvent que Health n’a rien d’une escroquerie, mais surtout que le groupe possède un véritable talent de composition à même de lui permettre de s’échapper du style qu’il s’est lui-même défini. Est-ce parce qu’il est difficile d’admettre qu’un groupe à l’esthétique punk s’associe à un gros studio comme Rockstar ? Est-ce parce que contrairement à une BO de film, la BO de jeux-vidéo est encore considéré comme un exercice mineur  – seul Amon Tobin et son Chaos Theory: Splinter Cell 3 Soundtrack semble jusqu’alors être sorti grandi de l’expérience ? Pourtant Max Payne 3 a tout de l’œuvre électronique riche et intense, qui, si elle n’avait pas été autant produite, aurait pu s’inscrire dans la lignée des travaux portés par le label Ad Noiseam. En tout cas, si cette BO, in fine, ne donnera pas d’indices sur les chemins empruntés par la suite, elle aura eu un impact significatif sur le groupe, lui refusant dès lors toute prétention à se revendiquer punk, et en lui conférant une assise financière à même de lui permettre de ne pas enregistrer Death Magic dans la précipitation.

Aujourd’hui, deux groupes s’inscrivent intelligemment dans le sillon de Nine Inch Nails. D’un côté, The Soft Moon qui puise dans la musique de Trent Reznor sa manière de construire des édifices sonores par couche, et de l’autre Health qui ne cache pas son intérêt pour l’introduction de mélodies dans une musique purement indus, ce que NIN a été dans les premiers à faire. Chacun à sa manière, les deux groupes exploitent cet héritage pour réaliser des disques au rendu naturel et moderne.

Ce nouvel album ne cache pas ses ambitions d’imposer Health comme le plus mainstream des groupes indus à tendance réflexive.

Death Magic ne s’intéresse pas au sound design comme Max Payne 3, mais reste très concerné par l’idée de sonner à la fois moderne et différent. Produit par The Haxan Cloak, dont le travail sur le bruit et les ambiances reste l’un des plus intéressants de ces dernières années, mais enregistré par Andrew Dawson, fidèle collaborateur de Kanye West, ce nouvel album ne cache pas ses ambitions d’imposer Health comme le plus mainstream des groupes indus à tendance réflexive. Jake Duzsik l’explique d’ailleurs en interview : s’ils ont restés aussi longtemps en studio, c’est que, les yeux rivés sur la concurrence, ils étaient obsédés par l’idée de ne pas livrer un album qui dépasserait les attentes. Health ne fait définitivement pas partie de ces groupes, hermétiques au monde, qui travaillent dans leur coin. Comme chez Crystal Castles, être un groupe de pop sans perdre son identité est au cœur des préoccupations. Pas étonnant qu’il revendique pour modèle des groupes comme Depeche Mode, archétype de la grosse machine musicale qui n’a jamais nié sa nature profonde tout en enchainant les tubes radiophoniques. À ce stade, il n’est peut-être même pas utile de préciser que Health se sent aussi proche de l’indus de Skinny Puppy que des sucreries de Rihanna.

health-band

En fait, Health ne fait pas partie de ces groupes incapables de se laisser aller à la moindre concession, de ces groupes qui créent en marchant contre le vent et jamais dans le sens du courant. L’aspect entraînant et musique de stade du  nouvel album ne relève pas du hasard et traduit, d’après les dires du groupe, une volonté de toucher un public plus large. Contrairement à Nine Inch Nails où les digressions pop donnent souvent l’impression de s’imposer à Trent Reznor contre sa volonté et sans mettre en danger sa personnalité, Health fout les deux pieds dans la pop, tout en cherchant à rester lui-même. Si les intentions sont un peu trop lisibles – ce côté « si la pop ne vient pas à toi, c’est à toi d’aller vers la pop » – la musique s’avère factuellement dansante et efficace.

Health arrive toujours à s’appuyer sur sa culture pour ne pas sombrer dans le vulgaire et rester dans le fun

Tout cela n’est pas incroyable dans l’idée et les exemples de chansons d’obédience industrielle hyper dansantes sont légions. Mais d’habitude ces titres sexy semblent arriver comme par accident (comme le « Closer » de NIN), alors que chez Health, chaque fois que l’on a envie de danser, on sait que c’est exactement ce que recherche le groupe. Death Magic  n’est pas un coup de chance. Bien que volontairement efficace, l’album n’est pas pour autant superficiel, comme l’illustre « Flesh World (UK) », accrocheur tout en étant très concerné par la densité du son. La puissance des beats et de la batterie donne l’impression d’être face à des drops dubstep qu’on aurait purgé de leurs gimmicks. Certes, Health en fait souvent des tonnes – on pourrait citer par exemple le manque de subtilité du beat de « Dark Enough » –, mais le mélange entre l’indus et les mélodies, entre le gros son de caisse claire et les débordements expérimentaux, s’avère réjouissant. Parfois putassier au possible, comme sur « Life », Health arrive toujours à s’appuyer sur sa culture pour ne pas sombrer dans le vulgaire et rester dans le fun. Les textes et les ambiances évitent ainsi tous les clichés du genre  – seuls les noms des titres pour le coup très typés indus ( « Flesh World », « Dark Enough », « Hurt Yourself » ou encore « Drugs Exist »), peuvent prêter à sourire. L’album  parle de l’amour, ou plutôt de l’absence d’amour, de la mort, des doutes et des mensonges, avec à la fois beaucoup de sérieux et de légèreté.

Les mauvaises langues diront qu’au fond, Death Magic sonne comme une compilation de titres issus pour moitié de Get Color et de Health::Disco2 (l’album de remix qui a suivi, avec des titres de Gold Panda, Salem et Crystal Castles), le tout avec des intentions trop implicites en matière d’élargissement du public. Mais en réalité, cela n’a rien d’anodin que Health n’attende plus d’être remixé par d’autres pour envahir le dancefloor. Le groupe prend les devants, assume ses envies, tout en restant cohérent avec lui-même. Je ne vois pas ce qu’on pouvait lui demander de plus. Difficile à situer, volontairement complexe et exigeant dans son rapport au son, tout en étant prêt à toutes les bassesses pour conquérir les foules, Health oublie tout complexe et se transforme en une machine aussi attractive que parfois repoussante.