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Histoire de l’amour et de la haine de Charles Dantzig : rester dans sa tour

Paru le 19 août 2015. 480 pages. Éditions Grasset.

Par Lucile Bellan, le 30-09-2015
Littérature et BD
Cet article fait partie de la série 'Rentrée littéraire 2015' composée de 13 articles. Playlist Society fait sa rentrée littéraire 2015. Voir le sommaire de la série.

C’est un moment précis de notre histoire. Ce moment où nous a été donné le choix de laisser les couples de même sexe s’aimer et obtenir une reconnaissance légale de cet amour au même titre que les couples hétérosexuels. C’était donc une question d’amour et de liberté et ça a soulevé la France pendant de longs mois de débat, dans un climat de haine délétère.

Avec ses mots et son style encyclopédique, Charles Dantzig raconte cet instant, ces débats, cette France-là. Il choisit Paris et quelques figures comme des symboles. Et sa haine, personnifiée chez le député Fumesse, est celle du mépris, de la bêtise crasse, de la peur de perdre ses repères archaïques. Son fils Ferdinand étant lui-même ouvertement gay, il n’a pas l’excuse de l’ignorance. Dans ce Paris en pleine fièvre « Manif pour tous » gravitent Pierre, écrivain en panne d’inspiration, et son amante Ginevra, Armand et Aaron, couple branché, et Anne leur colocataire sculpturale.

Via le titre déjà, Charles Dantzig assume son manichéisme : il y a l’amour, il y a la haine, il y a les gentils et les méchants, il y a la beauté et la laideur, il y a Paris et… et il y a Paris. Dans ces 500 pages, anecdotes, bons mots, réflexions sur des thèmes choisis ainsi que, proportionnellement, les rares passages romancés, se noie l’air du temps. C’est une vision étriquée d’une évolution sociétale, de problématiques humaines.

Et si l’auteur maîtrise l’art du portrait, il se trompe peut-être de porte-drapeaux. La lutte qui s’est réellement jouée pendant des mois dans toute la France n’a pas concerné que les salons branchés d’une élite culturelle acquise à la cause des LGBT, mais bien les rues, les fenêtres avec ses drapeaux assumés pour un camp ou pour l’autre, les sorties d’école, les marchés. C’est un débat public qui a dégouliné partout, y compris dans les déjeuners du dimanche en province.

Les personnages de Dantzig, concernés au premier plan ou pas par ce débat furieux, regardent de haut l’histoire se faire. Comme une élite regarde la plèbe se soulever. Finalement, les personnages comme Pierre, Aaron, Armand, Anne et Ferdinand ne valent pas mieux que le député aux traits mal dégrossis. Ils méprisent les fourmis qui s’enflamment, plus bas, dans la rue.

L’auteur s’emmitoufle dans une érudition béate, une complaisance des sentiments nobles, un attrait assumé pour les personnages déconnectés du réel.

À vouloir rester au-dessus d’un débat qu’il juge, à raison, médiocre et contre-nature (c’était bien la première fois qu’on a vu la foule se soulever pour refuser un droit et non pas en préserver ou en acquérir un), l’auteur s’emmitoufle dans une érudition béate, une complaisance des sentiments nobles, un attrait assumé pour les personnages déconnectés du réel.

Il est triste que cette vision de ce pan de notre histoire soit aussi antipathique et joue le jeu de ses détracteurs. Aussi charmants soient-ils, aussi cultivés et beaux et parisiens soient-ils, ses personnages ne racontent pas l’histoire mais sont bien les symptômes de l’incompréhension qui s’est jouée à ce moment là. Ils sont les clichés qui ont tant fait de mal à la cause. Charles Dantzig est-il si déconnecté du monde ? Est-il si méprisant envers les petites gens (ceux qui, pour une cause ou pour une autre, ont fait entendre leurs voix dans la rue) ?

L’amour n’est pas réservé à l’élite et la haine n’est pas l’apanage du petit peuple.

Le roman s’étend des premières manifestations contre le mariage pour tous jusqu’au vote de la loi. Mais il entend se placer au-dessus de tout ça, dans les hauteurs des appartements cossus de Paris. Il refuse de s’abaisser à la pédagogie ou au réel, de partager ses mots avec la majorité de ceux qui ont vécu ce débat français. Il est au-dessus et c’est un sentiment amer qu’il laisse au lecteur, à enfoncer une porte ouverte avec des sentiments si nobles qu’ils ne touchent personne. Accoucher après coup d’un plaidoyer pour l’amour, la belle affaire, quand il aurait fallu des visages, des histoires, des expériences, juste des gens pour toucher au cœur. L’amour n’est pas réservé à l’élite et la haine n’est pas l’apanage du petit peuple. Il serait peut-être temps que Charles Dantzig descende de sa tour pour le constater.